Deep Black leva les yeux vers le plafond en bois de sa cabine et laissa s’échapper un soupir. Il reposa sa plume préférée dans l’encrier, et prit le parchemin qui se trouvait devant lui à deux mains. Bien entendu, le texte était irréprochable, mais il avait fait couler un peu d’encre par accident et le papier avait été souillé de manière irréversible. Il s’agissait de sa colonne hebdomadaire pour Corsaire Matin, intitulée « Ourdir pour la Domination Mondiale (dans une certaine mesure) ». L’éditeur était très à cheval sur la propreté des soumissions, et si son article venait à être rejeté, Deep Black se retrouverait dans l’obligation de faire cesser toutes les affaires courantes pour aller mettre la rédaction à feu et à sang. Puis il devrait arpenter ciel et terre pour retrouver les familles de tous les contributeurs, les violer, les passer par le fil de l’épée, et les violer encore.

C’était le genre d’escapade à l’improviste qui l’aurait amusé dans sa folle jeunesse. Avec Low, ils n’auraient pas attendu d’avoir un prétexte. Ils se seraient mis d’accord sur un nom de famille choisi au hasard, et auraient écumé les tavernes, procédé à des interrogatoires musclés, jusqu’à trouver quelqu’un qui portait ce nom. Et ils lui auraient fait payer très cher d’avoir été si dur(e) à trouver.

Mais à son grand regret, il avait passé l’âge pour ces enfantillages. Il avait une frégate à gérer, un équipage à diriger, un capitaine à manipuler… Et globalement, une domination mondiale à ourdir (dans une certaine mesure). Il reposa le parchemin : il recommencerait cette page plus tard – mais pas trop, la date butoir approchait. Sur le bureau propre de sa cabine, on pouvait trouver de nombreuses cartes, étalées en pagaille, avec des épingles plantées ça et là, parfois reliées par des ficelles de couleur pour matérialiser des objectifs ou des liens de causalité que lui-seul comprenait. Sous celles-ci se trouvaient divers pense-bête, notes, ou même schémas relatifs à ses projets scientifiques en cours. Quelque part, dans cette pile d’idées toujours machiavéliques, se trouvaient les plans de cette future figure-de-proue-cracheuse-de-flammes qui tenait tant à cœur à l’équipage.

Il y avait aussi une lettre du gouverneur (désagréable personnage), qui avait l’audace d’exiger du Chacal Borgne qu’il aille à la rescousse d’un confrère corsaire bloqué sur une île déserte pour une raison non précisée. Si le gouverneur s’imaginait que la loyauté de Deep Black se monnayait en frégates, l’équipage du Chacal Borgne lui réservait un chien de sa chienne. Au mieux, il avait acheté une relative immunité pour les vaisseaux régaliens – et au pire, si tout se déroulait selon les plans de Jonas Deep, il avait investi dans sa propre exécution : commandé les planches de son cercueil, et fait inscrire « Chacal Borgne » dessus.

Deep sortit de sa cabine, qu’il prit soin de refermer à clef derrière lui. Il avait toujours eu peur que Durzo Blint ne s’y introduise, et de le retrouver mangeant une grappe de raisins sur son lit, nu comme un ver, la peau huileuse et l’œil lubrique. Aussi, il traitait la sécurité de sa cabine avec le plus grand sérieux.

Malgré sa réticence naturelle à faire quoi que ce soit qui lui ait été suggéré par le gouverneur, le capitaine officieux du Chacal Borgne avait décidé d’aller jeter un œil à ce corsaire échoué. Les vaillants matelots ne courent pas les rues, pensa-t-il en arrivant sur le pont, jetant un regard dur à ce vieux briscard de Craster qui trainait des boulets de canon jusqu’à Barnes pour son entrainement quotidien. Si ça se trouve, ce nouveau aura le cœur suffisamment accroché pour devenir l’un des nôtres. Et dans le cas contraire, je pourrai toujours renvoyer ses boyaux un par un au gouverneur pour lui dire : on a retrouvé votre gars, mission accomplie, et si on peut encore rendre service, n’hésitez pas.

Presque impatient à cette idée, il monta jusqu’au gouvernail, et donna une violente chiquenaude derrière la tête de son navigateur.

« On est bientôt arrivés, marin d’eau douce ? J’ai bien l’intention de massacrer quelqu’un une fois sur cette île ! N’oublie pas que si le sans-bateau meurt de soif par ta faute, tu es le prochain sur la liste ! »

Et il râlait, et il râlait… William Barnes venait de faire irruption avec toute la délicatesse qui le caractérisait. Il ne semblait pas soupçonner que Deep Black n’avait pas plus envie que lui d’aller secourir qui que ce soit, et ses plaintes ne faisaient que remuer le couteau dans la plaie. Une fois de plus, il se montrait bien incapable de voir plus loin que son petit plaisir immédiat… Et une fois de plus, c’était à Black de payer pour ça – de sa patience, en l’occurrence.

Il prit une grande inspiration, et se tourna vers la mer. Une tempête approchait : il pouvait le dire rien qu’en observant la taille des vagues et le clappement des voiles. D’ici quelques heures, le Chacal Borgne évoluera sur des eaux noires. Quand j’enverrai Barnes tenir le cap, on verra bien qui sentira le chien mouillé, se dit-il avec une pointe de perfidie.

Les voiles repeintes en noir étaient de son fait, mais William semblait avoir trouvé son coupable et il n’était nul besoin de le détromper. En fait, la dispute serait certainement comique et procurerait à l’équipage une détente bienvenue. Quant à l’autre sujet de préoccupation du canonnier, il commença ses explications à contrecœur. Pourquoi devait-il se justifier en permanence ? N’était-il pas le capitaine légitime du Chacal Borgne ? Les nouvelles recrues savaient à quoi s’en tenir, mais Barnes était trop précieux aux yeux de Low et Blint pour pouvoir être châtié adéquatement. Note à moi-même : demander à Durzo de remettre William à sa place. En voila une vaine entreprise.

« Sache que la décision d’aller « secourir » ce corsaire n’a pas été prise à la légère. Et ce n’est certainement pas parce que nous sommes devenus des bons samaritains. C’est une occasion de recruter un marin expérimenté, ou de rappeler qui commande à l’Emp… »

« Cap’taine ! »

C’en était trop. Un mousse était brusquement sorti de nulle part, et avait eu le culot de couper la parole de Black. Après l’insolence de Barnes, c’était la goutte qui faisait déborder le grog. De sa main gigantesque, il attrapa le visage du mousse en un éclair et serra, la paume appuyée sous son menton, l’index et le majeur plantés dans chacun de ses yeux.

« Quelle audace. Ca a intérêt à être important. Parle, nous t’écoutons » , répondit-il froidement, mais il ne retira pas sa main. Le mousse, ne put lâcher que quelques consonnes difformes avant de tousser, de s’étouffer. « Alors ? » Il tirait secrètement un plaisir infini de cette domination, de la caresse du souffle de vie qui glissait lentement entre ses doits. D’un geste qui sembla d’une douceur étrange et déplacée pour la scène, il guida le mousse au sol en appuyant lentement vers le bas, et le laissa enfin choir, libérant son minois d’adolescent. La tension était montée sur le pont : des matelots suivaient la scène du coin de l’œil sans oser interrompre leur travail. Certains étaient compatissants. Les autres, plus nombreux, étaient hypnotisés par la violence et en oubliaient presque que le mousse était l’un des leur. Tous, en revanche, craignaient que l’ire du capitaine Deep ne s’étende à de nouvelles victimes dont ils pourraient faire partie… Mais lorsque le mousse toucha le sol, un soupir traversa la foule, comme pour décharger l’air de son électricité. C’était fini.

Ils avaient tort.

« ALORS ? », hurla Black en décochant un terrible coup de pied dans les côtes du petit mousse à terre. Crac, crac. Je crois que j’en ai entendu deux. Je ferais mieux de m’arrêter là. Il jeta un regard circulaire tout en demandant : « Est-ce que quelqu’un sait ce qu’il voulait ? » Et, devant le silence prévisible, il ajouta : « Ou alors est-ce que je vais avoir à interroger mon propre équipage ? »

Près des cabines, Craster prit la parole d’une voix trop faible :

« Un pigeon vient d’arriver, Capitaine Black. Ce satané Empereur nous fait savoir que la personne à aller chercher se trouve maintenant quelque part dans le port de Wecia… »

En pleine zone de non droit. Parfait. La mission venait de devenir très compliquée – mais les tenants et aboutissants étaient toujours les mêmes. Il ordonna au navigateur de lâcher la barre et d’aller préparer l’itinéraire le plus rapide jusqu’à Wecia.

« Hissez notre pavillon pirate, et remballez-moi cette figure de proue. Elle ne risque pas d’être très populaire là où nous allons ! » Au loin, d’inquiétants nuages gris émergeaient de l’horizon, semblables à de la fumée toxique crachée par de hautes flammèches gris-bleu. La tempête. « Maintiens le cap en attendant le retour du navigateur, William. »

Sans attendre sa réponse, Deep Black attrapa le mousse inconscient par le col et le traîna à bout de bras, réprimant un air satisfait. Il traversa le pont, et fut accompagné par un silence total jusqu’à la cabine d’Edward. Il déposa le mousse contre la porte et toqua sans retenue.

« Edward ! T’as du boulot ! (une pause) …Oh, et William veut te voir au sujet des voiles. »

Seul, il ne put s’empêcher de ricaner bêtement. Quelques minutes plus tard, en rentrant dans sa propre cabine, il réalisa que les portes s’ouvraient vers l’extérieur. Il ricana encore.

Et ça s'agitait encore et encore. Mais qu'avaient-ils tous à faire un pareil boucan. Durzo ouvrit un œil et réalisa que le soleil avait dépassé le huitième décan et grogna quand son dos protesta contre un réveil aussi brutal. Fichu marins, pas foutus de respecter le sommeil des autres ! Dans sa cabine de capitaine sommaire mais confortable, on y trouvait des habits dela veille et non pas par hasard, une bouteille de rhum qui gouttait contre le plancher. Les pauvres mousses auraient encore du travail après la nuit bien arrosée que venait de passer Blint. Il s’était cru bien tranquille depuis quelques temps à bord du Chacal Borgne et les missives se faisaient rares ces derniers temps. A l’annonce d’une nouvelle mission par le Gouverneur, le capitaine s’était enfin réjouit d’un peu d’action et avait fêté à sa manière le départ d’une nouvelle aventure. Cela promettait beaucoup. Une nouvelle recrue pour le chacal borgne? Une nouvelle distraction oui…
Durzo se leva donc en grimaçant et après avoir étiré son dos, remis ses cheveux en place devant le miroir piqueté de sa cabine et vérifié que le reste des repas de la veille n’entachaient pas son sourire, se dirigea d’un pas qui lui semblait assuré rejoindre son second. Arrivant sur le pont, il dût se tenir à la rambarde, de peur de glisser devant ses marins. Ressaisie toi Blint! Il parvint néanmoins à la barre où se tenait Barnes.

- Bon boulot mon gars. Cette tempête au loin n’annonce rien de bon, mais rien de mieux pour te fouetter les sangs pas vrai?

Durzo se fendit d’un clin d’œil et attendit la réaction de William. Il avait toujours su le dégout de ce dernier pour les penchants de son capitaine, et Durzo s’en amusait bien. Peu importe, les rouages du navire finirent par réveiller pour de bon Durzo qui devait alors contrôler son estomac. Cherchant Deep du regard, il trouva à la place Craster qui se faisait tout petit dans un coin du navire. Il marcha droit vers lui et se penchant en avant avec un sourire mielleux lui demanda d’une voix patiente mais toutefois
menaçante.

- Où est Deep? J’ai deux mots à lui dire
- Dans… dans sa cabine… m’sieur.

Durzo attrapa alors Craster par le col de sa chemise et approcha ses lèvres des siennes sans toutefois les toucher.

- Capitaine tu comprends? Je suis le capitaine et non un simple monsieur! Compris? Tu ne veux pas retourner dans la cale non? Bien sûr que non... ( Craster secouait la tête de droite à gauche désespérément)

Blint lâcha alors le marin de pacotille pour finalement lisser sa chemise et adresser un sourire carnassier à ce dernier. Il y avait d’autres forme de persécutions que les coups et les injures. Chacun sa méthode.

Blint se dirigea vers la cabine de Deep et tambourina à la porte

- Black, faut qu’on parle! Maintenant!

Après Barnes, c’est au tour de Durzo de me mettre des bâtons dans les roues. Ca ne rate jamais.

Il s’était installé dans sa cabine il y a quelques minutes à peine. L’épisode du mousse lui avait permis d’évacuer sa colère, et d’envoyer un message relativement peu subtil à William. Durzo mérite une démonstration du même gout… Mais la maltraitance d’un équipage est un outil délicat à manipuler. Zèle et mutinerie, résignation et rébellion, bourreau et victime n’étaient séparés que par une mince frontière autour de laquelle Deep Black dansait parfois sans grâce mais toujours avec virtuosité.

En tout état de cause, il n’était pas disposé à tendre l’oreille à cet onctueux simulacre de capitaine. Il voulait toujours quelque chose – de quoi s’agissait-il aujourd’hui ? Black s’était posé cette question bien trop souvent, et tenait même dans ses petits carnets un décompte précis du nombre de fois où il aurait mieux fait de se faire porter pâle. Ce décompte, dont la consultation n’était guère flatteuse pour Blint (86%), servait justement à ça : lui rappeler que lorsque le devoir l’appelait, mieux valait faire la sourde oreille.

Il vérifia d’un regard que la clef de sa cabine était bien sur la porte, que celle-ci était bien fermée, et rebaissa les yeux vers son bureau. Le pigeon voyageur de l’Empereur avait amené avec lui un portrait du corsaire à « secourir ». Wecia… C’était une véritable mission suicide. Pas question de montrer la moindre faiblesse sur le pont, mais dans l’intimité de sa cabine, Deep Black s’arrachait les cheveux. Piller une ville marchande était une chose, et prendre d’assaut un gigantesque refuge de pirates sanguinaires et endurcis en était une autre. Même la réputation du Chacal Borgne ne lui permettrait pas de renverser Wecia avec une misérable centaine d’hommes.

A quoi joue l’Empereur ? Est-ce qu’il essaie de se débarrasser de nous, ou est-il complètement inconscient ? Est-ce qu’il s’imagine qu’on va en profiter pour procéder à une poignée d’arrestations ?

En fixant le portrait, il commença à entrevoir une nouvelle possibilité. Il reconnut cette sensation familière : celle d’un plan qui s’esquissait en lui, comme une lueur qu’on aperçoit au loin alors qu’on titube dans la nuit. De plus en plus vive, elle éclaira bientôt un dessein élégant, cruel, et même lucratif. Il savait comment il allait récupérer le corsaire.

Voilà deux semaines qu’Edward n’avait plus torturé un homme, ou même un animal. Il ne demandait pourtant pas grand-chose, au pire, un poisson se tortillant sur le pont en quête d’eau… mais rien. Et son état commençait à s’en ressentir, les nausées pointaient le bout de leur nez. Il avait déjà vomi deux fois hier mais il savait bien que ce n’était que le début. Au moment où il pensait inviter un des nouveaux marins à partager une soirée avec lui dans sa cale, il entendit Black s’en prendre à l’un d’eux. Il sortit de sa cabine et se rendit sur le pont jetant un coup d’œil à ses instruments en chemin. Il se promit de les utiliser sous peu. La lumière du soleil le fit cligner des yeux, voilà longtemps qu'il n'était pas sorti. Bon sang, les voiles sont toujours blanches !

"Un pigeon vient d’arriver capitaine Black. Ce satané Empereur nous fait savoir que la personne à aller chercher se trouver maintenant quelque part dans le port de Wecia"

Voilà qui devient intéressant, le sang ne devrait pas manquer de couler ! Depuis qu'ils étaient corsaires, il n'étaient revenu qu'une seule fois à Ybella et c'était dans une crique complètement inhabitée de l'autre côté de l'île. Tout s'était bien passé et ils avaient pu récupérer Craster mais s'introduire à Wecia n'était jamais une formalité.

"Edward ! T’as du boulot ! …Oh, et William veut te voir au sujet des voiles. »

Black venait de lancer le corps du mouss à ses pieds. Parfait !

"Williams attendra, je dois m'occuper de celui-ci avant qu'on ne perde un nouveau membre d'équipage."

Il balança le corps sur son épaule et commença à se diriger vers sa cale quand il cru reconnaître un des marins, Thomas si ses souvenirs étaient bons.

"Toi, ne t'avais-je pas dit de peindre ces voiles en noir ?"
"Mais lieutenant, j'avais commencé quand..."

Low s'approcha alors tout près, captant le regard de l'homme qui perdit ses mots.

"Tu tiens vraiment à te justifier devant moi Thomas ?
"Lieutenant, je... non"
"Tu sais donc ce qu'il te reste à faire."
"Tout de suite"

Il entra dans la cale et posa son patient sur un des lits. Il prit deux paires de menottes ayant appartenu à un gouverneur avec qui il avait passé quelque jours tous aussi merveilleux les uns que les autres avant qu'il passe l'arme à gauche. Il attacha le jeune homme aux pieds du lit. N'étant pas d'humeur à entendre des cris ou des supplications, il le bâillonna.
Il revint vers ses instruments et les caressa les uns après les autres. Je vous avais promis Il prit un petit couteau courbe et se retourna vers le lit dont l'occupant n'avait toujours pas reprit conscience.

"Dans quatre jours, tu pourras te lever comme si tout ceci était un mauvais rêve mais vois-tu, mon mal de mer commence à empirer et tu dois bien comprendre qu'il faut que je sois à 100% de mes moyens avec toute la préparation que va demander cette mission à Wecia.
La souffrance des autres m'a toujours tellement détendu..."

- Deep!

Toujours aucune réponse. Black faisait la sourde oreille et Durzo frappa plus fort jusqu'à donner un coup de poing dans la porte de la cabine. Sa main dérapa et il s'écorcha sur le bois mal polie. Du sang perla sur sa main et dégoulina sur son poignet. Durzo l’essuya avec énergie de sa main valide, mais le sang continuait de couler maintenant qu’il avait trouvé une porte de sortie. Blint jura entre ses dents et souffla pour contenir sa rage, oubliant un temps sa douleur à la main. C'était un manque de respect total à son statut de capitaine, mais que pouvait-il y faire? Défoncer la porte? Et puis quoi encore? Cela allait froisser ses cheveux et il risquait en plus de se casser un ongle! Une main c’était déjà assez aux nombres de ses blessures. Durzo ne comptait plus les siennes mais quand il pouvait les éviter, il le faisait. Blint secoua la tête, au fond de lui il avait toujours su qu'il avait perdu les rennes de son bateau dès le jour où il était partit aider Black à secourir ses acolytes. Il grogna de frustration et lissa une fois de plus sa chemise pour se donner une constance. Des marins jetaient de fréquents coups d'œil vers leur capitaine qui leur rendit alors son plus terrifiant sourire : celui de quelqu'un qui avait des projets bien précis pour eux.

Durzo vit Craster détaler plus vite que les autres et songea au bon temps qu'il avait eu avec lui. Il espérait en trouver autant dans le petit nouveau de la bande, mais pour cela il devait connaître les plans de Black.

- Deep, je sais que t'es là. Retrouves-moi dans ma cabine dans dix minutes... c'est un ordre !

Black n'y répondrait surement pas à la minute près, mais devant les marins, Durzo se devait de maintenir sa position. Pensaient-ils qu’il y avait deux capitaines et non un seul? Donnant un coup de pied dans la porte pour faire bonne figure et pour énerver Deep, Blint s'aventura vers le repaire d'Edward. Il n’avait jamais aimé cet endroit. Des instruments de toutes sortes y étaient suspendus et il y régnait une ambiance plus que malsaine. Il put voir que la porte de la cale était légèrement ouverte et s’aventura à l’intérieur. Les lampes à l’huile suspendues pour donner un peu de clarté à cet endroit sombre, donnaient aux instruments et autres bocaux de Low une apparence maléfique. Durzo vit que le médecin du bord était déjà occupé avec un jeune matelos.

*Tiens il lui est arrivé quoi ? Il allait bien hier, on s’est bien amusé… y ai-je été un peu fort ?*

- Hey Edwards, où tu ranges tes bandages, b’soin de me réparer. dit-il en montrant sa main blessée. Et qu’est-ce qu’il lui est arrivé ?
Durzo s’avança vers son jouet de la nuit dernière, et inspecta les instruments de tortures du médecin. Propres.

-Un conseil, bâillonne le. Il a tendance à gémir un peu trop fort à mon goût.

*Surement son seul défaut, voyons ce que Low va lui faire…*

Recruter ? C'était donc ça ! Et ça ne changeait rien. William préférait amplement leur autre façon de peupler le navire : débarquer dans un port quelconque, et se servir. À quoi bon s'embêter à recruter dans la plus pure tradition, si c'était pour ne le garder que quelques mois, tout au plus ? Barnes allait exposer sa manière de penser à cet incompétent de capitaine (quoiqu'il avait aussi des questions à se poser sur les capacités du capitaine bis), mais un matelot vint perturber la petite conversation qu'il entretenait avec Black. Ce dernier le prit de court en s'en saisissant et lui donnant un aperçu de ce qui arrive lorsque l'on ose interférer dans une discussion entre les "sommités" du navire. Barnes leva les yeux au ciel, maudissant Deep, lui reprochant de se montrer un peu trop exclusif. C'est que ça faisait au moins dix minutes qu'il n'avait pas maltraité un mousse ! Ce genre de chose, ça se partage !

Il ne fallut pas longtemps avant que celui qui amusait Black ne tourne de l'oeil. De nos jours, les gaillards endurants étaient rares, et la nouvelle recrue qui mobilisait le Chacal Borgne avait intérêt de s'en montrer digne.
Ce fut finalement Craster qui apporta la nouvelle. Et quelle nouvelle ! Direction Wecia ! Il lorgna son soi disant supérieur en affichant un sourire ironique.

- Ta recrue a tant d'intérêt que ça que t'irais nous perdre à Wecia ?

William était fou, certes, mais intelligent avant tout. Et bien qu'un peu d'action ait toujours été son divertissement favori, il savait pertinemment qu'une escale à Wecia pouvait s'avérer plus dangereuse pour eux que pour les occupants de l'île, pavillon pirate ou non. Et puis, pourquoi diable ce gonze était-il allé se perdre là bas ? Encore une fois, mieux valait-il pour lui qu'il ait de la valeur. Barnes avait horreur de se déplacer pour rien.

Par le même réflexe que le capitaine, il tourna l'oeil vers les nuages menaçants qui les attendait. Son visage prit alors un air sérieux que l'on voyait rarement s'afficher. Tout ceci n'annonçait rien de bon, et l'atmosphère qui planait sur le pont montrait bien que tout le monde était de cet avis. Cette expression sur son visage ne fut qu'éphémère, laissant place à une mine fâchée, presque boudeuse lorsqu'il lui fut presque ordonné, rendez-vous compte, de tenir la barre. La BARRE ! Depuis quand un canonnier se chargeait-il de diriger un navire ?!? Il était chargé de dérouter ceux des ennemis !

Soit, il le ferait. Mais aussi bien qu'un canonnier.

Observant tout ce petit monde qui s'affairait sur le pont, il ne pipa mot pendant un temps, n'ayant toujours pas changé la trajectoire du bâtiment. De toute manière, personne ne semblait s'en rendre compte. Même l'irruption de Blint ne lui fit pas prendre la parole. Et pourtant, il en avait des choses à dire à propos de cette grande folle navigante ! Le capitaine bis repartit aussi vite qu'il n'était monté le voir, et se dirigea vers la cabine de son homologue, tambourinant sur la porte sans qu'elle ne s'ouvre. Sourire narquois de la part de Barnes. Un vrai petit couple ces deux là.

Mais croyez-vous vraiment que William était du genre à rester là, se contentant de tenir un gouvernail dont il n'avait que faire ? Ne vous doutez-vous donc pas que tout ce qu'il attendait, c'était, pardonnez-moi l'expression, d'emmerder son monde ? Que vous êtes naïfs ! En véritable gamin capricieux, il n'attendait qu'une chose, montrer son mécontentement. Ni une, ni deux, il donna un coup de botte dans le gouvernail, faisant brusquement virer le navire de bord. Quelques marins montés recoudre une voile furent projetés à l'eau. Barnes n'étant pas non plus un surhomme, se retrouva à terre. La pluie, encore fine, rendait le parquet glissant, aussi était-il adossé à quelques tonneaux non loin de là. Son rire perça alors le silence étonné qui s'était fait sur le pont. Il se releva, et reprit le gouvernail, sous l'oeil éberlué de quelques matelots encore peu habitués à ses sautes d'humeur. Ouvrant grand les bras, il se mit de nouveau à rire, et informa à voix haute l'équipage de sa destination.

- Messieurs-dames, nous vous souhaitons un agréable voyage à bord ! Destination Wecia ! Restez pas plantés là, écopez !

Leur indiquer qu'ils ne seraient pas spécialement bien vus, certes, mais autant leur expliquer pourquoi !

~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~