Il était tôt lorsque Caleb ouvrit les portes de son auberge. Cet endroit, il le connaissait par coeur. Chaque recoin de la pièce, les endroits que certains de ses clients préféraient, le coin des joueurs de cartes, celui des joueurs de dés... Cela faisait un bout de temps qu'il tenait cette échoppe, et il en était fier. Chaque matin, quand il ouvrait ces lourdes portes de bois, il pensait à ses parents. Ils auraient été si fiers de lui, de ce qu'il était devenu. Son père était certes un pirate, et certes il naviguait à tout va, mais il aurait était heureux de voir son fils tenir un lieu où tous ses compagnons pourraient se réunir.

On peut au moins conspirer tranquille, pensa-t-il en souriant.

Il ouvrit en grand une des deux portes, laissant entrer l'air frais de la matinée. Il resta quelques minutes à l'entrée, regardant au loin le village des pêcheurs, puis cette grande étendue d'eau qu'il avait tant parcouru durant quinze ans. Il rentra à l'intérieur et se plaça derrière le comptoir, attendant ses premiers habitués. En tout cas, ceux qui n'étaient pas en mer. Il se servit un verre de rhum, et s'accouda contre le comptoir. Son regard noir parcourut la salle vide. Son regard s'arrêta sur son sabre, caché derrière son comptoir. Ce sabre avait vu passer tant de combats... Il en détourna son regard et entama son verre, pensif.

Marianne arriva dans l'auberge le sourire aux lèvres. La porte était grande ouverte, l'odeur de sueur et de bière de la veille s'en échappait encore lorsque la jeune femme entra. Caleb était derrière son comptoir. Marianne hocha la tête en sa direction puis s'assit en face de lui, comme chaque fois qu'elle venait s'oublier dans l'alcool parmi les pirates en tous genres.
Marianne fouilla rapidement ses poches, sachant parfaitement qu'elles étaient vides. Elle était fauchée, comme à son habitude. Vivement qu'elle reprenne la mer.
La jeune femme attrapa la longue tresse qui pendait à l'arrière de son crâne, et en arracha quelques piécettes d'argents trouées en leur centre. Elles étaient vieilles et crasseuse, pleines de cheveux abimés, mais elle espérait que Caleb n'en tienne pas rigueur. Après tout, toute richesse était bonne à prendre, non ? Marianne posa les pièces sur le comptoir et les fit glisser en direction du tavernier, avec un sourire en coin.

- Une chope, pour bien entamer la journée.

Attendant une réponse, la jeune femme s'enfonça loin dans ses pensées, impatiente de partir pour l'inconnu.

Caleb vit rentrer une jeune femme. Il la reconnut facilement, étant une habituée de sa taverne.

Marianne..., se remémora-t-il.

Elle venait souvent et buvait autant que certains des autres pirates qui côtoyaient son établissement. Une battante surement, une femme solide, pas comme celle de la capitale. Il la vit fouiller ses poches, une expression de déception sur le visage. Une femme fauchée aussi semblait-il. Il la regarda du coin de l'œil, la règle étant la même pour tout le monde. Pas d'argent, pas de boissons. Il attendit de voir comment elle paierait. Il la vit enlever des pièces de sa tresse et les glisser vers lui.

- Une chope, pour bien entamer la journée.

Il regarda attentivement les pièces. Elles étaient abimées mais semblaient tout de même acceptables. Et puis il trouverait sûrement quelqu'un à qui les revendre. Il haussa les épaules et fourra les pièces dans sa bourse. Il servit une chope de bière et lui posa sur le comptoir devant elle. Il s'écarta un peu et s'accouda non loin d'elle. Il la regarda si pensive, décidant de lui parler. Il n'aimait pas avoir des clients qui ne parlaient pas, ce n'était pas eux qui animerait son auberge, c'est sur.

- Alors, les affaires n'ont pas l'air de marcher ?

Marianne poussa un soupire de soulagement en le voyant embarquer ses pièces, et saisi la chope avec un sourire charmeur.

- Alors, les affaires n'ont pas l'air de marcher ?

Marianne grimaça. En effet, en ce moment elle devait se serrer un peu la ceinture, vivoter, grappiller de l'argent un peu partout, même là où il n'était plus. Elle répondit à Caleb avec un regard de défit, un sourire narquois sur les lèvres.

- Ne vas pas croire que je me laisse aller. Je pars en mer très bientôt, et je suis ici pour recruter des hommes.

Elle leva sa chope, le menton haut, puis pris une longue gorgée. La jeune femme s'essuya la bouche d'un revers de main, puis laissa son regard se promener sur les tables encore propres et vides, légèrement moqueuse.

- Il n'y a pas non plus foule par ici !

Kane devait recruter. Il connaissait les bons coins, et lorsqu'il arriva devant cette auberge, il pensait y trouver tout le monde qu'il voulait. Seulement, comme on peut le savoir, Kane, c'est pas le copain du temps. Il venait au petit matin, alors que les pirates aimaient se saouler le midi et la soirée.
Il entra dans la taverne tout de même, fouet enroulé sous l'aisselle droite, Pico sur l'épaule gauche. Il scruta les environs et maugréa une onomatopée incompréhensible. Evidemment, personne. Il s'approcha de la taverne, et y retrouva Marianne.

- Fana de la picole ?

Il commanda ensuite, sans même saluer le tavernier, un bon rhum comme il les aime. Cette taverne n'est pas son lieu préféré, et le tavernier n'est pas son copain non plus. En fait, Kane était plutôt un bagarreur récidiviste, ce qui lui valait le droit de sortir sans passer par la case départ quand il était jeune. Seulement, avec le temps, il a un tout petit peu grandi. Il ne s'amuse donc plus à la castagne, sauf quand il s'agit de recruter. Et c'était son jour.
Kane ne s'amuserait pas à payer, comme toujours. On ne fait pas le payer le bras droit de l'Ordre ici. C'est ainsi qu'il le pensait. Et c'est aussi ce que les rares commerçants à qui il achetait quelque chose pensaient. Ou alors ils pensaient à comment s'évader de leur prison. Au choix. Il reprit finalement la conversation avec Marianne, et lui dit :

- Bah de toute façon je sais même pas pourquoi je te pose cette question, t'es tout le temps là !

Il regarda le tavernier, et avec un sourire moqueur, lui dit ironiquement :

- Alors ? Comment ça va mon gros ? La forme ?

- Ne vas pas croire que je me laisse aller. Je pars en mer très bientôt, et je suis ici pour recruter des hommes.

Ce regard... Il le connaissait bien. Il avait lui même ce regard lorsqu'il était jeune. Un regard de défi, d'envie de trésors, de richesse. Le besoin de l'aventure. Il la regarda avec un sourire.

- Et bien, tant mieux. J'espère que tu pilleras les bateaux du gouvernement comme il se doit, dit il en faisant un large sourire.

Il la regarda boire sa choppe, amusé. Cette jeune femme faisait comme les hommes qu'il voyait souvent dans son auberge. De vrais pirates souvent bourrus et grands buveurs. Dans un milieu avec essentiellement, il était sur qu'une femme ne trouvait repère qu'en se fondant dans la masse. Et visiblement, Marianne avait bien réussi son insertion.

- Il n'y a pas non plus foule par ici !

Il balaya la salle du regard. Effectivement, pour le moment, la salle restait désespérément vide.

- La journée ne fait que commencer. Et puis le commerce, c'est une surprise perpétuelle. C'est comme en mer, on ne sait jamais de quoi sera fait la journée, lança-t-il en riant.

Soudain, un homme entra. Il n'avait pas l'air commode. Sans même lui adresser un salut, il lui commanda un verre. Mais une chose retenait Caleb. L'argent. Il ne voyait pas l'homme sortir de pièces. Caleb le regarda droit dans les yeux.

- Alors ? Comment ça va mon gros ? La forme ?

Là, c'était trop. Qui était-il pour parler ainsi? Il importunait sa seule cliente de la matinée et en plus il l'insultait. Il n'allait pas laisser passer ça. Il lui lança un regard noir avant de lui dire:

Ici, quand on veut boire, faut montrer la couleur de l'argent. Et vous n'avez pas à importuner les gens comme ça, ni même à m'insulter.

Caleb soutenait le regard de l'homme, attendant sa réaction. Il était prêt à agir si il le fallait. Et il ne comptait pas perdre.

- Et bien, tant mieux. J'espère que tu pilleras les bateaux du gouvernement comme il se doit, dit il en faisant un large sourire.

Marianne sourit, d'un sourire joyeux, pour une fois. De légère rides se creusèrent sous ses yeux pétillants. Elle avait l'impression d'être encouragée par un grand frère. Cela lui faisait un bien fou, dans le monde dur et masculin dans lequel elle évoluait perpétuellement.

J'espère aussi ! Marianne montra sa tresse où seulement quelques pièces de cuivres pendaient encore. Où je vais bientôt être à sec ! Vous devriez prendre la mer, vous savez.

Marianne lui sourit, avec un air interrogateur. Elle ne comprenait pas pourquoi Caleb avait renoncé à la piraterie. On voyait sur ses traits qu'il aimait la mer. Il n'était pas encore trop vieux pour embarquer...
Lorsque Kane entra, Marianne commença par l'ignorer. Son visage avait perdu toute trace de bonheur, de fragilité.
Il puait la sueur et le sang et la jeune femme plissa le nez de dégoût. Elle ne savait pas ce qu'ils avaient encore bien pu faire avec Erika, mais préférait l'ignorer : ils étaient tous les deux bien plus tordus que ce que l'équipage s'imaginait. Elle écouta l'échange entre les deux hommes avec patience, immobile. Comme à son habitude, Kane chercha à la rabaisser. Qu'il essaye, ce n'est pas aujoud'hui qu'elle allait se laisser faire sans rechigner.
Marianne échangea un regard avec Caleb. Elle avait beaucoup plus de respect pour le tavernier que pour cet imbécile. Elle posa une main sur l'épaule de son supérieur, puis s'adressa à lui d'un ton enjoué.

Oui oui je ne suis qu'une alcoolique incompétente, blablabla, tu ne peux pas changer de refrain pour une fois ? Et je crois que dans une taverne, il faut payer...

Marianne lui adressa un sourire ironique. Elle le connaissait assez pour savoir qu'il n'allait pas apprécier.

Kane était amusé de tout cela. Une mutinerie, et même pas sur le bateau. Marianne allait payer ses affronts. Quant à Caleb, il pourrait bien finir au cachot, ce soir, ou même maintenant si Kane le désirait. Ce ne serait pas une mince affaire, mais il n'était pas bras droit si il avait le niveau d'un tavernier. C'est pourquoi il se mit à pouffer d'un coup, plongeant la tête en arrière, puis revint sur Caleb, avec le même regard amusé. Il aimait ses réactions et son tempérament, mais il n'en ferait pas son matelot.

Ici, quand on veut boire, faut montrer la couleur de l'argent. Et vous n'avez pas à importuner les gens comme ça, ni même à m'insulter.

Kane sortit une pièce de sa poche et la montra à Caleb. Il fit bien attention que celui-ci la regarde, puis la rangea.

- Maintenant tu l'as vu, la couleur de l'argent !

Il pouffa encore une fois, et Pico aussi au passage. Il fixa ensuite Marianne qui avait l'air de s'amuser à provoquer Kane. Elle oubliait un peu qui c'était le patron, ici.

- Toi, la ferme. Je suis ton supérieur, et si tu veux pas faire le voyage accrochée à la proue, tu ferais mieux de pas la ramener. Surtout une rousse, non mais on aura tout vu ici. Une rousse qui me dénigre.

Il fixa ensuite le tavernier, puis lui dit :

- Bah, de toute façon ta taverne miteuse, j'y viens que pour remplir mes prisons. Et quand t'auras plus de clients, ce sera toi qui finira au fond de mon trou, avant que je te torture, et que je t'offre à l'animalerie. Ils aiment bien l'avarié, les tigres.

Kane se leva, puis renversa une table.

- Mon rhum ou je continue.

- Toi, la ferme. Je suis ton supérieur, et si tu veux pas faire le voyage accrochée à la proue, tu ferais mieux de pas la ramener. Surtout une rousse, non mais on aura tout vu ici. Une rousse qui me dénigre.

Marianne faillit s'étrangler avec sa bière en entendant ça. Une rousse ? Et alors, où était le problème ? Kane venait de toucher un point sensible, et Marianne vit rouge immédiatement. Elle se leva, évita d'un geste souple la table que venait de renverser son "supérieur". Comme à son habitude, Marianne ne pensa pas aux conséquences de ses gestes lorsque son crachat atterrit dans le visage de Kane. Elle le regarda avec un air de défi, puis lui adressa un simulacre de baiser.

- Tes belles paroles ne m'impressionnent pas, Kane.

Marianne le regarda, la tête haute. Elle sentait la suite arriver, et ses yeux brillaient, non pas de peur, mais de provocation, et un sourire moqueur flottant sur ses lèvres.
La table renversée laissait un mètre ou deux de vide entre eux, elle aurait peut-être le temps d'esquiver les deux premiers coups, avant qu'il ne l'attrape.
Marianne secoua la tête, faisant bouffer ses cheveux enflammés, puis enroula une longue mèche rousse autour de son index avec un air langoureux.

- Maintenant tu l'as vu, la couleur de l'argent !

Il le regarda droit dans les yeux. Il avait beau être bras droit de l'Impératrice, cela ne faisait pas de lui un dieu. Il posa discrètement sa main sur sa dague. Il ne servira pas cette brute tant qu'il ne verra pas de la monnaie sonnante et trébuchante sur le comptoir. Il ne lâchera pas. Il le regarda pouffer. Ce type était tellement abject, une personne cruelle.

- Bah, de toute façon ta taverne miteuse, j'y viens que pour remplir mes prisons. Et quand t'auras plus de clients, ce sera toi qui finira au fond de mon trou, avant que je te torture, et que je t'offre à l'animalerie. Ils aiment bien l'avarié, les tigres.

- Et bien, puisque c'est comme ça, allez voir ailleurs! Vous n'avez pas tous les droits!, dit-il, campant sur ces positions.

Il faillit bondir de derrière son comptoir lorsqu'il vit Kane renverser une table. Son auberge, c'était son gagne pain!

- Mon rhum ou je continue.

- Non! Le chantage ne marche pas. Sortez de mon auberge!!

Il regarda Marianne cracher au visage de Kane, se retenant de rire et d'en faire de même. Il ne supportait vraiment pas cet homme, et il n'en voulait vraiment plus dans son auberge. Il passa de l'autre côté du comptoir, s'avançant vers Kane et Marianne. Il se tenait à les mettre dehors, ne voulant pas d'esclandre ici.

Un crachat, un ! Kane ne le vit pas venir, et Marianne, elle, ne vit certainement pas venir le canon de l'arme en sa direction. En effet, Kane n'avait pas réfléchi longtemps et avait dégainé. Elle avait dépassée les bornes. Il regarda son épaule, puis essuya le crachat d'un revers de bras. Pico n'y était plus. En regardant, il voulait juste montrer à Marianne qu'il était ailleurs, car lui-même le savait. Celui-ci n'avait pas perdu de temps, et contourna Marianne avant de lui attraper la tresse. Il se mit à voler le plus bas possible afin de tirer ses cheveux et de l'immobiliser. Cela ne durerait pas très longtemps, mais certainement assez pour pouvoir lui tirer une balle dans le crâne.

- Garce.

La première balle qu'il tira effleura sa joue. Il ne voulait pas la tuer, mais seulement lui faire peur. Il admira le filet de sang et se rapprocha rapidement avant de coller le canon, et la dernière balle qu'il avait, sous la mâchoire de la jeune femme.


- Recommence encore une fois, et je te tue net. Rousse.

Pico lâcha sa prise, libérant ainsi Marianne. Il attrapa la bière qu'elle n'avait pas finie et la siffla, sans même demander son reste. Il se rassit et vit un pirate devant la porte. Apparemment, il avait tout vu. Kane lui adressa un regard noir et lui dit :

- T'as un problème toi ?

Celui-ci finirait certainement au fond du cachot. Même si il avait pris ses jambes à son cou en ayant reconnu Kane. Il ne prit pas le temps de s'attarder ici, et sortit. L'autre tavernier ne payait rien pour attendre, et Kane en était ravi. Ils se reverraient un jour, et celui-ci le suppliera certainement de le laisser vivre, même si c'est derrière des barreaux.

Marianne était plutôt fière de son coup, jusqu'à ce que le canon de l'arme de son "supérieur" se retrouve pointée sur elle.
Oh oh.
Marianne n'avait certainement pas prévu que Kane serait armé d'un pistolet.
Lorsque l'homme porta son regard sur son épaule, Marianne ferma les yeux, pencha légèrement la tête en avant. Elle savait se qui allait se passer.
Oh non, il n'allait pas la tuer. Erika le lui reprocherait certainement quelques temps. Comme d'habitude, une bonne humiliation, du sang, le sien bien sur, et tout serait finit.
Et lorsque la balle traça une trait de feu sur sa joue, Marianne ne poussa pas un cri, pas même un gémissement de douleur. Le visage cuisant de rage et de douleur, Marianne regarda Kane tourner les talons et sortir, après l'avoir insultée, bien sur.

La jeune femme tituba jusqu'au comptoir, les jambes en coton, puis s'essuya la joue d'un air boudeur, déchira un bout de tissu de sa chemise rêche et l'appuya sur sa joue. Le pansement de fortune s'imbiba rapidement et Marianne leva les yeux vers Caleb. Elle se sentait affreusement honteuse, et elle baissa la tête sur sa chope vide, en silence.
Elle en avait marre de se faire rabaisser ainsi. Marianne toucha sa plaie du bout des doigts. Ça laisserait certainement une cicatrice, mais la jeune femme s'en fichait bien. Elle et Kane partaient bientôt en mer, et sur le bateau, il allait le regretter.

Caleb assista à la scène sans pouvoir faire quoi que ce soit. Tout s'était passé si vite. Il n'avait même pas dégainé sa dague. Il recula, ne voulant pas prendre une balle perdue, et surtout dépassé par les évènements. Il bouillonnait à l'intérieur, honteux de ne pas savoir quoi faire. Il avait envie de sauter à la gorge de Kane, et de le vider son sang, ici même, sur ce vieux plancher abimé. Mais il savait que les conséquences seraient terribles. La mort surement. Mais avant la souffrance. Et il avait assez souffert dans sa vie!

Qu'il ne revienne pas cet imbécile..., pensa-t-il lorsqu'il vit enfin Kane partir.

Il savait que cela lui retomberait dessus de ne pas l'avoir servi et de lui avoir tenu tête. Mais il craignait plus pour Marianne qui avait bien failli y laisser la vie. Il la regarda, titubante. Elle essayait de soigner sa plaie. Il prit un chiffon et le mouilla. Il lui posa sur le comptoir avec un petit sourire. Il était gêné de ne pas l'avoir aidé mais ne voulait pas le montrer.

Passe toi ça dessus, ça calmera le chaud.

Il avait connu des blessures dans le temps lui aussi. La cicatrice sur sa joue droite en témoignait. Il savait que les plaies trop importantes devait être recousu, mais quand il vit la taille de celle de Marianne, il constata qu'il n'y pouvait rien et qu'elle serait marqué à vie. Il servit une grande choppe de bière et le posa sur le comptoir.

Cadeau de la maison, je pense que tu en as bien besoin, dit-il en se servant quant à lui un verre de rhum.

Ce n'était pas dans son habitude de servir gratuitement, mais il y avait des situations où on ne pouvait pas avoir un minimum de compassion.

-Passe toi ça dessus, ça calmera le chaud.

Marianne retint un sursaut en entendant la voix de Caleb, et elle attrapa le chiffon sans lever les yeux. Ses longs cheveux cachaient son visage rouge de honte, et ses yeux étaient plein de larmes de rage. La jeune femme avait toujours su qu'elle n'était pas faite pour être sous les ordres d'un autre qu'Erika. Elle seule avait son respect sur le bateau, et il était hors de question de se plier à toutes les exigences de cet imbécile de Kane et à son ego surdimensionné.

Merci, chuchota Marianne, avant de s'appliquer le chiffon sur la joue. La jeune femme frissonna, et elle senti la douleur diminuer légèrement. Du bout des doigts, Marianne senti sa joue gonflée, et les chairs éclatées. Cela allait laisser une bonne cicatrice...
Marianne soupira, et appuya un peu plus fort le chiffon sur la blessure. La pirate releva les yeux vers Caleb, une lueur de gratitude au fond des yeux.

-Cadeau de la maison, je pense que tu en as bien besoin, dit-il en se servant quant à lui un verre de rhum

Marianne laissa son regard traîner sur la chope pendant plusieurs longues secondes. Elle releva ensuite les yeux vers Caleb, posa ses doigts sur le verre et plissa les paupières.

- Tu me l'offres par pitié ?

Marianne avait caché son visage. Elle ne voulait pas être vu dans cet état là, c'était indéniable. Il la comprenait. La rage se dissimulait lorsqu'il s'agissait de son supérieur, même si elle l'avait défié. Il l'a vit appuyer sur son chiffon. Évidemment, la balle avait dû lui faire une belle cicatrice. Il avait appris d'un ancien compagnon de route, comment recoudre une cicatrice, mais il n'avait jamais pratiqué. Et il ne voulait pas risquer d'abîmer un si beau visage, si jeune.

Les yeux de la pirate touchèrent Caleb. Elle était une femme avant d'être une pirate. Cela se voyait. Il n'aimait pas que l'on touche à une femme, c'était un des principes que sa mère lui avait inculqué, et dont il se souviendrait toute sa vie. Elle était plus faible qu'un homme. Il n'était en aucun point macho ou quoi que ce soit, mais il voyait dans des situations comme celle là que c'était vrai. Et puis ce Kane l'avait trompé. Il avait intervenir un oiseau de malheur. Il l'aurait bien fait cuire sur un feu de bois.

- Tu me l'offres par pitié ?

Il la regarda en souriant. De la pitié? non, il n'aimait pas voir les gens souffrir, voila tout.

- Je te l'offre, c'est tout. Cela te remontera le moral. Mais si cela te dérange, je peux le reprendre.

Il avait été peut être un peu brute. Mais il n'aimait pas étaler ses sentiments ou ce qu'il pensait à des personnes qu'il ne connaissait pas parfaitement. Sauf cas exceptionnel, mais là, malgré son habitude de venir en ces lieux, Marianne restait une cliente.

- Je te l'offre, c'est tout. Cela te remontera le moral. Mais si cela te dérange, je peux le reprendre.

Marianne lui offrit un grand sourire qui se termina en grimace. Sourire avait ravivé la douleur à sa joue et la jeune femme ferma les yeux pour se contenir et éviter de gémir. Elle se recroquevilla quelques instants, souffla un grand coup puis se détendit, prenant un air enjoué. Tout va bien.

Je crois que je vais la garder, finalement.

Marianne adressa un petit sourire taquin à Caleb, attrapa la chope et lui fit un clin d'œil en la portant à ses lèvres. La jeune femme en bu une longue goulée, puis posa le verre frais contre sa joue, et laissa échapper un soupire de contentement.
Elle reposa ensuite la chope et rassembla rapidement ses cheveux en couette, sa longue tresse en guise d'attache, pour qu'ils ne viennent plus chatouiller sa plaie ouverte.
La jeune femme se demandait d'ailleurs comment allait-elle faire pour recoudre tout cela elle même. Enfin, les saignements avaient presque cessés, elle n'avait donc peut-être pas besoin d'y toucher pour l'instant.
Marianne finit sa chope en quelques rapides gorgées, puis se leva. La jeune femme espérait qu'il n'aurait pas trop de problèmes à cause d'elle. Elle y veillerait.
Marianne posa une nouvelle piécette sur le comptoir de Caleb, son regard vert vrillé sur celui de l'homme.

Pour le désordre.

La jeune pirate inclina ensuite la nuque en sa direction, puis tourna les talons.

Cette cicatrice allait la faire souffrir quelque temps. Mais cela allait passer, et l'alcool faisait toujours du bien dans ces cas-là. Il le savait que trop bien pour écumer des tonneaux de bon rhum après des abordages. Il la regarda, si forte et si fragile à la fois. Lorsqu'elle se coiffa, Il put voir son visage et la cicatrice qui lui parcourait la joue. Elle était très à vif et aurait bien mérité quelques coutures. Mais bon, la vie de pirate, laissait des traces indélébiles. Et pas que physiquement.

Pour le désordre.

Il regarda la piécette et la mit dans sa bourse. Il lui adressa un sourire et inclina la tête. Lorsqu'elle fut sortie, il rangea la table renversée et lava les verres.