Ensun n’en pouvait plus. Alors qu’il était en train de tenter de reprendre des forces, Morwan ne bougeait pas. Ce guerrier, bien qu’il soit particulièrement jeune, était d’une pitié sans nom aux yeux du jeune Prince. En cet instant, il avait besoin d’aide pour se relever, soigner ses plaies et rentrer à la maison. Mais visiblement le guerrier ne sera pas celui qui lui viendrait en aide aujourd’hui, et cela frustra Ensun. Habitué à ce que les gens le soutiennent où qu’il soit, il se sentit tout à coup terriblement seul. Sur le marché, lorsqu’il ne trouvait pas ce qu’il cherchait, une bonne dizaine de villageois lui indiquaient le chemin, et l’accompagnaient aussi par moment. Là, personne. Le vent, le choc des bâtons et les cris de joie de quelques guerriers étaient les seuls sons qui prouvaient au jeune Prince qu’il était encore en vie. Cependant, il n’entendit pas ce qu’il voulait entendre : des plaintes, Morwan le féliciter pour son courage, quelques encouragements de la part des témoins. Finalement, peut-être que le monde n’était pas aussi simple à contrôler. Peut-être que tout n’allait pas dans le bon sens et que parfois, des obstacles venaient se dresser sur notre route, même sur celle d’un Prince. A cet instant, Ensun ne savait dire ce qu’il ressentait à l’égard de Morwan. A une profonde admiration était mêlé un sentiment de haine qu’il n’avait jamais connu. Il le haïssait d’être si fort. Il détestait son assurance, sa confiance, et son expérience du combat.

Lorsqu’Ensun vit Elissa s’approcher, il fut presque tenté de s’enfuir en courant, ne souhaitant pas que sa sœur connaisse les véritables objectifs de ce combat. De plus, il souhaitait qu’à jamais sa petite sœur l’idéalise, et là, il venait de se faire humilier sans même avoir eu le temps de bouger le petit doigt. Qu’allait-elle penser de lui après ça ? Peu importe ! Ensun rêvait de se faire enlacer par sa sœur et de trouver en elle tout le réconfort dont il avait besoin. Les mots doux de la jeune fille, ses encouragements, ses gestes maladroits, son sourire enfantin ! Tout en elle pouvait faire sourire le jeune homme. Elle était son plus précieux trésor, celle qui à jamais devra être protégée du danger. Si elle venait à être malheureuse, Ensun ne se le pardonnerait jamais, et culpabiliserait sûrement. Il était prêt à tout pour elle, même à mourir, bien que la mort soit quelque chose de particulièrement effrayant lorsque l’on est attaché à la vie. Sa vie ne rayonnait qu’à travers le sourire d’Elissa, peut-être.

Morwan empoigna soudainement cette dernière, et Ensun ne put que réagir violemment. Il tenta de se lever en vitesse, mais s’écrasa de nouveau au sol, contraint de devoir supporter des douleurs insoutenables, notamment dans la nuque et au ventre. Il râla longuement, portant son regard sur les deux Naakti qui s’éloignaient peu à peu de lui. Il fut rassuré lorsqu’il vit Morwan s’arrêter, laissant ainsi à Ensun la possibilité de les avoir dans son champ de vision. Il fut cependant frustré lorsqu’il se rendit compte qu’à une distance si importante, il ne serait pas capable de comprendre un seul mot de leur conversation. Les larmes coulèrent de nouveau, les mains tremblèrent sur les genoux blancs. Comme il détestait sa faiblesse ! Comme il détestait ce monde ! Ne pouvait-il donc rien obtenir sans devoir faire des sacrifices pour cela ? Ne pouvait-il être libre et ne profiter que des avantages que pouvait offrir la vie ?

-Père…se chuchota-t-il pour lui-même.

Il était sûrement le seul à pouvoir résoudre son problème de discipline et de rigueur. Le seul à pouvoir le faire progresser plus vite que les autres élèves, tout en faisant de lui un homme méritant le poste de guerrier Naakti. Le seul à lui donner le goût des armes et de la sagesse. Petit sauvageon trop souvent protégé par sa mère, Ensun semblait être un cas désespéré, mais comme tout homme, il y avait pour lui une possibilité de changements et de progrès. Il était perdu, mais il lui suffisait de retrouver le bon chemin, n’est-ce pas ?

Sans même accorder un regard aux deux autres, Ensun se leva de nouveau, titubant. Il ne chuta cependant pas, et réussit à placer un pied devant l’autre. Sa tête lui tournait, ses jambes réclamaient le repos. Mais Ensun, dans son entêtement, défia son propre corps et marcha ainsi jusqu’à la sortie du parc d’entraînement pour les jeunes élèves. Là, il trouva Gealach, son jeune étalon. Ce cheval le suivait où qu’il aille, restant à proximité en cas de soucis. Ensun l’accueillit avec un sourire sincère, puis le remercia d’une tape sur l’encolure. Il grimpa ensuite sur la selle et talonna son cheval. Quelques instants plus tard, il avait disparu. C'était un Ensun en partie changé qui venait de quitter le parc.

La colère d'Elissa, toujours près d'Ensun, ne retombait pas. Voir son frère dans un tel état, humilié et sali, lui était insupportable. En voyant son frère s'écrouler, la jeune fille avait eu l'impression d'exploser, sans réellement savoir si cela était dû à la colère ou à l'angoisse qu'elle avait ressentie en apercevant la scène. Quoi qu'il en soit, voir Ensun à terre lui était très douloureux, d'autant plus qu'il souffrait. Il souffrait, et par conséquent, elle devait être à ses côtés, pour le soutenir. Son frère avait toujours été la pour elle, dans les bons moments comme dans les pires, et elle ne pourrait jamais s'empêcher de le suivre, de le consoler, de l'aimer quoi qu'il fasse. Elissa n'avait pas conscience de la leçon que venait de donner Morwan à Ensun, et de l'importance qu'elle avait eu. L'idée de le laisser seul était pour elle impensable, et l'utilité que cela pourrait avoir lui échappait totalement. Cela était peut-être dû au fait que la princesse idéalisait son frère depuis toujours. Petite, il avait été son héros, son prince charmant, son protecteur... Adolescente, il avait été son confident, son modèle et son plus précieux allié. Bien qu'elle ait confiance du chemin qu'il lui restait à parcourir avant de devenir guerrier, Elissa croyait dur comme fer en la réussite de son frère. Cette défaite lui ouvrirait un peu plus les yeux sur la situation actuelle, et sur les efforts qu'Ensun aurait à fournir afin d'atteindre ce but. Mais à ce moment précis, elle n'était pas d'humeur à réfléchir, et cela se voyait dans ses réactions. En effet, ne décolérant pas, la jeune fille ne quittait par Morwan des yeux, dardant sur lui un regard noir.

Lorsque le guerrier ouvrit les yeux, et les planta dans ceux d'Elissa, la dureté et la sévérité qu'elle put y lire la firent presque frémir. Tel un glaçon, le regard du jeune homme parvint presque à déconcerter la princesse, tant il était froid, et presque perturbant. Rares étaient les personnes capables de transmettre autant d'intensité dans un regard, au point de littéralement captiver, et même parfois effrayer leur interlocuteur. N'étant pas spécialement peureuse, on ne peut pas dire que ce que ressentait Elissa s'apparentait à de la crainte. Etant habituée aux regards terribles que son père lui lançait parfois, on peut dire qu'elle en avait vu d'autres, et elle ne détourna pas la tête. Mais le guerrier réussit quand même à se donner une allure imposante et dangereuse, ce qui fit naître en la jeune fille une sorte de respect. Il n'était pas bien difficile de deviner que Morwan n'était pas de ceux qui se laissaient faire. Le regard qu'il lança à Elissa lui rappela au moins une chose, et pas des moindres : Il était fort, imposant, et pourrait lui briser les os en quelques secondes seulement. Cela eut le mérite de refroidir quelque peu la colère de la princesse. Certes, elle était toujours aussi indignée de voir son frère dans une telle position, mais elle n'était pas suicidaire au point d'ouvertement provoquer le guerrier qui l'avait mis à terre.

Soudain, Morwan se retourna, libérant Elissa du regard froid qu'il lui avait imposé. De dos comme de face, le guerrier restait immense, et particulièrement bien bâti. Par rapport à lui, la princesse semblait petite et frêle. Ainsi, quand il l'attrapa par le poignet, la réaction l'adolescente n'eut aucun effet sur lui. Elle eut beau tenter de lui échapper, de se libérer, de lui faire lâcher prise, elle n'y parvint pas, et cessa bien vite de s'agiter. Au vu de la musculature impressionnante du jeune homme, et de son statut de guerrier, il était totalement inutile de gigoter. Même si elle n'en avait pas totalement conscience à l'instant présent, il avait toute emprise sur elle, et elle le suivit bien malgré elle.

- Avant tout choses sachez que c'est lui qui a voulu ce combat. Il m'a même demandé de le frapper comme je frappais mes camarades, mais de tels coups auraient pu le tuer, aussi je ne l'ai pas frappé avec toute ma force. Ensuite, je sais pertinemment que vous avez envie de savoir comment il va, mais je vous interdit d'aller le voir avant que ce soit lui qui ne vienne vers vous. De plus je ne suis pas sûr qu'il vous aurait accepté à ses côté dans une telle situation.

Ce qu'elle entendit ne manqua pas de surprendre la princesse. Ainsi, Ensun avait lui même provoqué le combat? Non, cela était impensable. Il n'était pas assez bête pour cela. Elissa secoua la tête, refusant d'admettre une telle chose. Même si elle ressentait l'envie d'Ensun de faire honneur à leur famille, elle ne l'avait jamais réellement vu s'investir dans son entraînement, et ne pouvait tout simplement pas croire qu'il avait subitement décidé de se confronter à un guerrier. En réalité, elle n'avait pas perçu tout le mal être, et tout le désir qu'il avait de prouver au peuple et à leur famille qu'il était digne de porter ce nom. L'adolescente ne pouvait imaginer une telle réaction de la part de celui qu'elle aimait. De plus, elle n'apprécia pas du tout le fait que le guerrier lui donne un ordre. Il avait beau la tenir fermement, Elissa leva les yeux vers lui, s'apprêtant à répliquer vertement qu'il mentait à propos d'Ensun et qu'il n'avait pas à lui donner d'ordre. Elle n'en eut cependant pas le temps, car il la coupa.

- Pour finir, sachez que tout ceci, c'est très bien pour lui, c'est même excellent. Votre frère est faible, plus faible que vous le croyez, et une défaite aussi humiliante le lui a certainement fait comprendre. A partir de maintenant, je pense et j'espère qu'il va se donner à fond dans son entraînement. Seulement cet entraînement ne sera pas tout, et il aura sans doute encore besoin d'une autre défaite aussi humiliante pour le comprendre. On apprend mieux de ses erreurs quand on les constate soit même, et votre frère doit apprendre à le faire seul. Il aura certes besoin de vous et de votre soutient, mais pour l'instant il ne lui faut que la solitude.

Secouant une nouvelle fois la tête, Elissa tenta de se dégager, sans succès. Les informations qui venaient de gagner l'esprit de la princesse ne lui plaisaient pas du tout, et elle avait du mal à les accepter. De quel droit cet homme lui donnait-il des leçons sur son comportement, et sur ce qui était bien pour Ensun? Ce que la jeune fille ne savait pas, c'est que ces paroles tourneraient dans sa tête pendant des jours et des jours après l'incident, et qu'elles la feraient réfléchir. Sur le moment, son incapacité à admettre la faiblesse de son frère l'empêchait d'en tenir compte, et d'éprouver autre chose que de la colère en les entendant.

- Lâchez-moi, lança Elissa de la voix la plus assurée que l'on pouvait adopter lorsqu'on était fermement tenue par une personne d'environ trente centimètres de plus. Vous dîtes n'importe quoi. Mon frère n'est pas faible.

Le déni. Voila la principale émotion que firent naître en elle les paroles de Morwan.

La demoiselle se montrait bien moins coopérante que le jeune guerrier ne l'avait escompté. Elle s'agitait, secouait la tête, sans doute pour marquer le fait qu'elle n'adhérait pas aux paroles du jeune guerrier. Elle aimait son frère, un aveugle aurait pu le "voir" lui aussi, et la réciproque était des plus palpable aussi. Morwan n'avait pas connu grand chose de l'amour fraternel. Son aîné s'était très tôt lancé dans l'apprentissage et son cadet l'avait trahis pour également suivre la voie de leur géniteur. Le jeune Naakti s'était pour ainsi dire "fait" tout seul, il ne pouvait donc pas appréhender ce que la demoiselle ressentait en ce moment. Il arrivait néanmoins à voir que la rejetone royale ne le croyait pas.

Du coin de l'œil, il voyait Ensun se traîner loin du parc d'entraînement. Vu la démarche du prince, Morwan, malgré le fait qu'il se soit retenu face à lui, l'avait frappé fort, mais le jeune guerrier n'en éprouva aucun remord, il avait fait son devoir. Si le jeune prince voulait un jour marcher sur les pas de son respecté père, et aussi servir le peuple, il devait apprendre à endurer, supporter, persévérer, il devait apprendre à souffrir.

- Lâchez-moi, lança la princesse qui se débattait de plus belle. Vous dîtes n'importe quoi. Mon frère n'est pas faible.

Évidemment, plus grande était l'admiration portée à quelqu'un, plus douloureuse était la désillusion. Morwan soupira derechef. Autant avoir malmené le jeune prince, à sa demande, ne lui faisait strictement rien, autant faire comprendre à la jeune princesse que son frère tant aimé n'était rien de plus qu'une brindille sous les pas d'un buffle lui causait quelque inconfort. En d'autres temps, cette situation aurait sans doute fait sourire Morwan, car il était passé du statut d'"ami potentiel" à celui de "monstre brutal et sans cœur" en l'espace de cinq minutes.

- Que savez vous de la force de votre frère ? Rien, absolument rien ! C'est vous qui vous voilez la face princesse, votre frère est bien plus faible qu'un novice normal... n'importe lequel des élève réguliers de ce camp aurait pu éviter certaines de mes attaques, votre frère n'en a évité qu'une. S'il a gagné contre le Taros dont vous m'avez parlé, c'est qu'il a attaqué par surprise ou que ledit Taros est lui aussi un faible.

Ensun ayant disparu de son champ de vision, il relâcha la demoiselle. Peu lui importait, après tout, ce qu'elle pouvait penser, de lui, il avait toujours dit ce qu'il avait à dire, et gardé pour lui ce qui n'avait pas lieu d'être dit. Ses camarades et amis le respectaient parce qu'il ne cachait rien, il était honnête et franc, et pour belle ou pour horrible, la vérité avait été dite. Il n'allait pas regretter son geste pour les beaux yeux d'une rouquine qui, pour aussi belle qu'elle fut, ressemblait en ce moment plus à une montagne de feu sur le point d'exploser qu'à une princesse.

L'ayant lâchée, ses yeux restèrent dans le vide, momentanément. Il ne craignait rien de la demoiselle, et, si elle avait tenté de le tuer, ses réflexes auraient sans doute parlés avant que le coup ne soit porté. Un tableau aussi noir serait immanquablement rejeté en bloc par la demoiselle. Et son rôle dans l'évolution du jeune Ensun était très important pourtant. Elle devait réfléchir elle aussi. Morwan avait, à son corps presque défendant, lancé une révolution dans l'esprit du prince, il le savait et, bien qu'il n'y ai aucune volonté de favoritisme de la part du guerrier, il devait pousser cette révolution jusqu'au bout. Lorsque le roi se rendrait compte de ce qui se passait chez son fils, Morwan savait qu'il réagirait en fonction et saurait en tirer parti. Son souverain était un homme très intelligent et réfléchi. Mais la princesse avait encore en elle la fougue de la jeunesse, cette jeunesse qui est profondément attachée à ses croyance et qui les défend envers et contre tous, cette jeunesse irréfléchie, ou réfléchie mais sur le tard. Il n'avait pas envie qu'elle ruine ce qu'il avait lancé.

Il avait lâché la première goûte de ce qu'il attendait voir former un ruisseau, puis une rivière et, le rêve était permis, un fleuve. Mais Elle et son admiration pour son frère, Elle et son amour pour Ensun, Elle pouvait fort bien être le barrage qui transformerait le ruisseau en étang, ou même la goutte en flaque... et son bien aimé frère se prendrait encore de cuisantes défaites dans les dents, encore et encore, jusqu'à ce qu'une de ces défaites soit une défaite définitive, la mort venant le faucher.

- La seule force de votre frère, à ce moment précis, est cette volonté farouche qu'il a de me surpasser un jour. Un doux rêve, sans doute, mais cette volonté lui a permis de se redresser malgré des coups qui auraient du le laisser au sol pour une bonne journée. Il veut progresser, et là est sa seule force.

Il marqua une courte pause.

- N'allez pas croire que j'ai fait ça parce que je veux que votre frère progresse, j'espère qu'il le fera. Je sais qu'on progresse mieux de ses erreurs, et la provocation de votre frère en a été une belle. J'ai joué mon rôle, il s'arrête là, le vôtre en tant que proche, vient de commencer. Si vous aimez votre frère autant que vous le montrez, réfléchissez bien à tout ce qui c'est passé et à ce que je viens de dire avant d'agir vis à vis de lui. Son évolution dépend autant de vous que de lui.

Il tourna le dos à la princesse et chargea son antilope sur ses épaules. Il fit trois pas avant de se retourner vers la demoiselle.

- Peu importe la façon dont vous me jugerez, je ne regrette pas ce que j'ai fais... c'était, hélas, la seule façon de lui ouvrir les yeux et de le tirer du rêve dans lequel il vivait.

Ceci dit, il s'éloigna des barrières du camp, se demandant comment il allait cuisiner l'herbivore qu'il avait sur le dos.

Toujours maintenue par le guerrier, Elissa fulminait. N'allait-il donc jamais la lâcher, et la laisser tranquille? Que pouvait-il bien savoir d'elle et d'Ensun? Comment pouvait-il se permettre de les juger, et de leur dicter une conduite qu'ils n'avaient pas forcément envie d'adopter? Tout cela dépassait la princesse, qui était bien incapable de cesser cinq minutes de s'agiter pour y réfléchir. La situation présente la préoccupait trop pour qu'elle ait le temps de comprendre les paroles de Morwan autrement qu'au premier degré. Lorsqu'il la lâcha, la jeune fille se dégagea brutalement, reculant d'un pas. Peu contente, elle se massa le poignet quelques instants. La force du guerrier lui avait laissé une marque rouge, encore plus visible sur la peau claire de l'adolescente. Ce qui restait inquiétant, c'est qu'il n'avait pas dû beaucoup forcer pour parvenir à maintenir Elissa près de lui. La princesse n'osait même pas imaginer ce que Morwan pourrait lui faire s'il utilisait toute sa force et sa puissance. La jeune fille doutait cependant qu'il ait un jour à aller jusque la, mais, dans ce genre de situation, elle ne contrôlait pas vraiment ce qui lui passait par la tête.

Les premières paroles que le guerrier prononça après l'avoir lâché lui échappèrent totalement, car elle était trop occupée à tenter de s'éloigner un minimum de lui, et de mettre un peu d'ordre dans le fouillis de pensées qui circulait dans son esprit. De plus, la colère obscurcissait encore son jugement, et rendait toute sage réaction impossible. Il était pourtant peu fréquent que la princesse s'énerve à ce point. Elle avait certes des réactions impulsives, mais elle n'arrivait que rarement jusqu'à un tel niveau de colère. Heureusement, celle-ci retombait plutôt vite... Dans le cas présent, lorsque cela arriverait, la jeune fille serait assaillie par des questions et des doutes qu'elle aurait sans doute aimé ne jamais avoir à entendre.

Même si elle n'avait pas écouté ce que lui avait dit Morwan, Elissa, en le regardant, comprit qu'il n'en avait pas vraiment fini avec elle. Visiblement, le guerrier avait un avis bien précis sur Ensun, et s'employait à lui faire comprendre quelque chose. La dernière phrase qu'elle avait entendue disait que son frère était faible. Malgré l'expérience de Morwan, la princesse ne parvenait toujours pas à l'admettre. Il lui faudrait plus que cela avant de réussir à la convaincre d'une telle chose.

- La seule force de votre frère, à ce moment précis, est cette volonté farouche qu'il a de me surpasser un jour. Un doux rêve, sans doute, mais cette volonté lui a permis de se redresser malgré des coups qui auraient du le laisser au sol pour une bonne journée. Il veut progresser, et là est sa seule force.

- N'allez pas croire que j'ai fait ça parce que je veux que votre frère progresse, j'espère qu'il le fera. Je sais qu'on progresse mieux de ses erreurs, et la provocation de votre frère en a été une belle. J'ai joué mon rôle, il s'arrête là, le vôtre en tant que proche, vient de commencer. Si vous aimez votre frère autant que vous le montrez, réfléchissez bien à tout ce qui c'est passé et à ce que je viens de dire avant d'agir vis à vis de lui. Son évolution dépend autant de vous que de lui.

- Peu importe la façon dont vous me jugerez, je ne regrette pas ce que j'ai fais... c'était, hélas, la seule façon de lui ouvrir les yeux et de le tirer du rêve dans lequel il vivait.

Comme l'avait pressenti Elissa, le guerrier avait encore des choses à dire. Et cela ne plairait pas forcément à la princesse. Bien entendu, Morwan avait raison, du moins sur la plupart des choses qu'il affirmait. Néanmoins, il faudrait du temps à Elissa pour tout comprendre. Bien sur, elle se rendrait compte bien vite de la vérité des paroles du guerrier, nul ne savait combien de temps elle mettrait pour les accepter. Cela dépendrait certainement de la réaction d'Ensun suite à cette défaite, de celle qu'il aurait en se retrouvant face à sa petite soeur. S'il lui demandait de le laisser progresser seul, se contentant de le soutenir sans le couver, elle le ferait. Mais ce n'est pas sans douleur qu'elle y consentirait...

Ne lui laissant pas vraiment le temps de répondre, Morwan s'éloigna, et Elissa resta seule, sur place, sans bouger d'un pouce. Les dernières paroles du guerrier tournaient et retournaient dans son esprit, se mélangeant peu à peu à la colère, qui finirait certainement par s'effacer. Ce n'était cependant pas encore le moment, et la jeune fille entreprit de faire quelques pas. Peut-être pensait-elle que cela évacuerait sa rage, en même temps que les doutes que Morwan avait semés dans son esprit. Bien entendu, cela ne marcha pas, et Elissa ne s'arrêta pas une seconde de penser au combat, à Ensun et à ce que lui avait dit le guerrier. L'idée que ce qu'affirmait Morwan pouvait être vrai lui effleura l'esprit, puis s'y installa, sans pour autant la convaincre. Non, décidément, il lui faudrait aller voir Ensun avant de croire une chose pareille. Lui seul pourrait la rassurer, lui dire qu'il n'était pas faible et que cette défaite n'était qu'un accident. Alors, les doutes de la princesse s'éteindraient. Mais dans le cas contraire... Elle serait bien forcée d'admettre qu'une part de vérité se cachait dans le discours de Morwan.

Cessant de tourner en rond, Elissa leva la tête, et fixa d'un air pensif l'entrée du parc d'entraînement. Elle n'avait plus rien à faire ici désormais. L'idée de regagner leur maison ne la tentait pas beaucoup non plus... Elle risquerait d'y croiser Ensun, et, même si elle ne voulait pas se l'avouer, cela l'effrayait un peu. La princesse ne voulait pas lire dans les yeux de son aîné la confirmation de ce que Morwan avait affirmé. Ainsi, il ne lui restait pas énormément de solutions. Elle pouvait aller se balader en ville, et errer, pensive, dans les rues grouillant de monde du marché, ou bien retourner au temple, qu'elle avait quitté quelques heures plus tôt. La deuxième solution lui sembla être la bonne. La solitude qu'elle y trouverait, et la tranquillité du lieu parviendraient peut-être à anéantir la colère qui demeurait en elle. C'est d'un pas plutôt lent qu'Elissa quitta les lieux, se dirigeant vers son bien aimé temple.