La cathédrale était construite sur les hauteurs de la ville et bénéficiait d'une vue superbe. Le souffle d'Angelo Añada était rapide quand il parvint enfin à son parvis. La montée depuis les rues commenrçantes n'était pas si aisée, et le jeune prêtre était pourtant d'une forme physique tout à fait respectable. Oh certes ! il n'avait rien d'un militaire ou d'un marin, mais il prêtait attention à son corps pour ne pas devenir oisif et luxurieux. Non pas que cela soit imposé, mais parce que cette discipline lui permettait d'être meilleur prêtre. Ainsi le ressentait-il.

La pierre blonde de l'édifice recueillait les premiers rayons de l'astre solaire. Une douce chaleur s'en émanait et Angelo s'assit contre les hauts murs pour manger son premier repas de la journée. Il commença par dire une prière de bénédiction et de remerciement à Dieu, puis entama le pain encore chaud et la viande séchée qu'il venait d'acquérir. Ici, le calme règnait. Il voyait "en bas" l'agitation, il voyait au loin l'immensité de l'horizon d'un vaste océan, il voyait la plénitude. Ce qu'il ressentait, c'était ce qu'il appelait volontier "la paix de Dieu". S'il s'émerveillait du tumulte de la vie, il préférait le calme de sa vie d'homme de Dieu. Il n'avait jamais ressenti le besoin de vivre comme tous les autres. Quelques fois, quand ses pensées l'emportaient loin, il se demandait à lui-même si cela était écrit ou s'il n'avait été formé que dans cet esprit par le séminaire. A ces réflexions succédaient souvent un grand trouble en lui et il désespérait de vivre dans la liberté. Liberté, c'était uniquement Dieu.

Il chassa vite ses pensées. Il devait être serein en son coeur pour le voyage qu'il entreprenait. Le jeune missionnaire s'occupa donc plutôt de couper une part de fromage. Il avait choisi de goûter à la production locale et pour le moment, il en était très satisfait. Le calme envahit de nouveau son coeur : la chaleur de la pierre blonde, les rayons d'or, l'horizon infini, eurent raison de son trouble.
Alors qu'il coupait une pomme en quartier à l'aide de son najava, il revit un souvenir lointain. Le souvenir qui, peut-être, l'avait mené jusqu'ici. Il n'avait alors que 15 ans. Le jeune séminariste, Angelo Añada, fils d'un des plus riches marchands de la ville, avait rêvé qu'il était moine-soldat. Rêve d'enfant encore, et pourtant. Il avait souhaité dès lors être soldat de Dieu. Aujourd'hui, les hommes de Dieu ne pouvaient plus porter les armes, même pour leur foi. Il ne restait plus que les missions dans les terres inconnues et les colonies. Son arme n'était plus le fer, mais la parole et l'intelligence. En haut de la capitale Assecia, dans une colonie, Angelo repensait à cet éclat de lumière qui avait dirigé sa vie jusqu'à aujourd'hui.

Il eut soudain peur de lui-même, comme s'il s'était regardé dans un miroir renfermant les secrets de l'âme. Il ne se sentait pas prêt, pas encore. Il était trop tôt pour voir. Rester immobile lui sembla désagréable et, remettant de l'ordre à ses affaires, il descendit pour prendre un bain.