Winston n'était guère de bonne humeur aujourd'hui et le retard de sa fille n'arrangeant rien, il demanda à ce qu'on lui apporte ses papiers. Ses doigts pianotèrent sur les feuilles et plans, son regard dans le vague. Certaines attaques de pirates avaient eu lieu, il était temps qu'il se réveille. Cependant, d'autres papiers attirèrent son regard sombre. Avec un sourire cruel, il constata que l'activité des sauvages augmentait. Ceux qui n'avaient pas été décimés, les appelés "Naakti" étaient parfois aperçus mais ces bestioles ne l'intéressaient guère. Il les considérait comme des créatures et s’inquiéter des animaux n'étant pas à ses habitudes, il s’inquiétait bien plus pour les barbares des mers, pirates. Leur chef, il ne l'avait que brièvement vue en quarante ans d'existence, alors qu'en tant que gouverneur, tous devaient bien le visualiser. Etait-ce un désavantage ? Probablement pas, les pirates se disaient bien trop fiers pour se cacher le jour où il demanderait à Erika de se présenter à lui, d'égal à égal. Cette expression ne convenait pas réellement, elle était une femme, jamais elle n'aurait du être chef. Les femmes pirates avaient beau être nombreuses, pour le gouverneur, le sexe faible se divisait en deux parties : les femmes au foyer, les catins. Cela réduisait énormément les chances qu'un jour, sa fille prenne sa suite et cette saugrenue idée ne lui était jamais venue à l'esprit. Trop faible, trop peureuse... Tout ce que Winston s'était juré de ne jamais être. Dans ces cas-là, on pouvait très bien imaginer qu'il choisirait un bon gendre pouvant assumer tous ses devoirs mais non... Plus tard pouvait-il marier Cécilia, mieux cela serait. Un gendre, aussi docile puisse-t-il paraître le tuerait sûrement pour devenir gouverneur comme Winston l'avait fait avec son père et cette pensée lui était insupportable. Il se préparait donc à lâcher les phrases les plus cinglantes à Phelan s'il tentait par multes façons de séduire son enfant.

Gouverneur était le plus gros rôle qu'on lui ait attribué mais également le seul. Son père lui avait répété qu'il fallait être stratégique, se sentir dans la tête de l'ennemi, mais aussi juste. Les premières conditions s'avérèrent faciles à remplir mais la justice n'avait pas la place dans ce monde. Qui ne le poignarderait pas par derrière s'il en laissait l'occasion ? Lui-même le faisait aux autres, qu'est-ce qui les retiendraient ? Rien, alors il n'attribuait jamais sa confiance, pas pour ensuite en souffrir. Se montrer trop bon avait apporté à tous les hommes leur perte et il ne comptait pas mourir de si tôt. Son coeur était verrouillé, lui seul en détenait la clé perdue il y a bien longtemps. Les plus belles femmes ne lui produisaient aucun effet et pourtant, il dut se frotter à certaines dénudées lors de sa jeunesse. Les amis, il n'en comptait pas un seul sachant que même un frère pouvait se retourner contre le sien. Il était mauvais, il avait fait des choses atroces alors son jugement était que tout le monde était capable d'autant. Heureusement pour la population de Fändir, il se trompait.

Quand finalement la faim lui vint, il demanda à ce que l'on mette la table. Des couverts d'argent furent déposés face à lui et on écarta sa paillasse de feuilles. Une nouvelle missive lui parvenu. Sa fille se pavanait aux jardins avec Phelan et un capitaine pendant qu'il demeurait à les attendre. Agacé, le gouverneur redemenda ses papiers oubliant les informations. Son poste ne consistait pas qu'à s'occuper des pirates, il était le dirigeant de Fandïr ou du moins de sa capitale. Bien sûr, Ybella l'intéressait plus qu'aux choses mais il ne devait renier les demandes de certains, les problèmes des autres etc. mais ces temps-ci, ces choses jugées comme banales le désintéressaient. Il manigançait quelque chose, chaque serviteur, habitant voire pirate le soupçonnait mais personne ne savait quoi.

Cécilia arriva dans la salle de réception en compagnie de l'amiral Phelan. Elle aurait préféré déjeuner seule avec son père car elle était persuadée que les deux hommes parleraient de leurs affaires du gouvernement et qu'elle s'ennuierait énormément. Mais elle n'avait pas pu lui dire non. D'une bien qu'étant la fille du gouverneur elle n'avait aucune autorité sur cet homme et de deux cela aurait été très impoli. Elle avait donc marché au côté de l'homme jusqu'ici en écoutant poliment ce qu'il avait à lui dire. Il avait l'air d'aimer son travail mais Cécilia le trouvait beaucoup trop avenant à son égard. Certes il était un bon parti mais c'était à son père et à lui seul de décider avec qui elle se marierait. Cet homme était joli garçon et cela ne serait pas déplaisant de l'épouser mais pour l'heure il n'obtiendrais rien d'elle. Elle ne se sentait pas prête à épouser un homme. Elle savait qu'il lui faudrait se préparer à une telle éventualité et se plier aux volontés du gouverneur mais au fond d'elle, elle espérait que cela arriverait le plus tard possible.

En entrant, elle vit son père en plein travail. Il ne supportait pas l'attente et préférait se défouler sur ses cartes plutôt que de ne rien faire. Elle le connaissait fort bien malgré tout ce temps passé loin de lui. Elle fit une légère révérence, garda bien la tête baissée et s'excusa de leur retard.

- Je suis navrée père. J'étais partie aux jardins pour lire et je n'ai pas vu l'heure. En chemin j'ai croisé messire Phelan qui voulait se joindre à nous pour le diner.

Phelan avait suivi Cécilia jusque dans la salle de réception où il devait partager le repas du gouverneur. Dès qu'il entra, il sentit l'atmosphère lourde de tension qui régnait entre le gouverneur et sa fille et, d'ailleurs sa présence ne détendrait surement pas l'ambiance. Il s'inclina à la façon des hommes dès qu'il vit la jeune femme en faire autant. Le gouverneur était une personne de haut rang à laquelle ont devait tout le respect qui lui était du. Le regard de l'amiral parcouru l'espace qui l'entourait. Il vit la longue table, immanquable assurément, les cartes, éparpillées devant le vieil homme. La table était déjà dressée, l'on attendait plus que les deux jeunes gens pour servir à manger. Voyant que le gouverneur ne levait pas les yeux pour répondre à sa fille, Phelan décida lui aussi de s’excuser. Après tout, il était en retard au même titre que la jeune femme.

L'amiral craignait d'avoir été trop loin. D'avoir indisposé le gouverneur. Mais en même temps, il espérait que celui-ci souhaite entendre ce rapport. C'est pour cela que Phelan avait souhaité déjeuner avec lui, pour discuter affaire maritime et pirates. Il attendit donc patiemment, une main sur la garde de sa rapière, une réponse de l'homme qui, assit à plusieurs mètres de lui, lui faisait face.

Le gouverneur se redressa et fixa sa fille. Ainsi donc, elle n'avait guère vu l'heure ? Seulement, savait-elle ce que le temps représentait ? Non point une simple unité de mesure à travers le monde, le temps était précieux et rare, quelque chose d’inexplicable, impossible à saisir, on ne jouait pas avec le temps. Il jugea bon d'éviter une scène face à M.Wallior mais la ponctualité était une qualité requise pour oser espérer être un jour épouse du futur gouverneur, lors d'une bataille sanglante où les pirates décimaient des centaines de soldats, on n'arrivait pas après avoir lu. D'ailleurs que pouvait-elle lire ? Des histoires romantiques ? Il l'interrogerait sur la question après et lui donnerait les journaux de bord de son père, ceux qui l'avaient passionnés pour la mer. Peut-être comprendrait-elle ainsi que le retard était ici proscrit. Phelan s'était trouvé une excuse en chemin et elle devait être de taille mais Winston savait que le rapport des pirates l'importaient trop pour réprimander l'amiral et bien que ce dernier soit jeune, il le considérait suffisamment comme un homme pour ne plus l'accabler de reproches comme à Cécilia qui avait malheureusement encore bien à apprendre. Le gouverneur posa ses cartes dans les mains d'un serviteur puis se racla la gorge en leur faisant signe de s'asseoir. Saluer l'amiral aurait demandé de sa part un certain effort et il avait en ce midi un mal de dos l'empêchant de se lever ainsi donc, il se contenterait d'un bonsoir.

- Bonjour vous deux, ma fille je vous prierai d'être plus ponctuelle et vous Phelan, vous pouvez me conter ce que ce capitaine vous a dit ? Tout concernant les pirates m'intéressent, j'ai ouï dire qu'ils y en avaient même aux alentours du palais des plaisirs mais vous saurez me confirmer ou non ceci n'est-ce pas ? l'interrogea-t-il avec ton narquois. Très sincèrement, j'en doute mais nous verrons bien. Outre cette affaire Cécilia, que lisez-vous ? J'ai pour vous une réserve de journaux très intéressants et qui vous initiera peut-être à l'art maritime. Bien, nous pouvons commencer à boire je suppose.

Un jeune homme porta une bouteille à table d'un liquide rosâtre et servit les deux invités ainsi que monsieur Sadovski en premier. Celui-ci ne fit guère attention à la grimace ou non de sa fille, il songeait déjà. Peut-être son parler était brutal mais jamais il ne voilait la face dans ses conditions. Il reprochait à son amiral son attirance pour les catins, il trouvait ceci plus digne d'un caractère de pirate qu'autre chose. Déjà qu'il avait beaucoup eu de mal avec son épouse défunte, il ne s'imaginait guère aux bras de n'importe quelles femmes aussi imposantes leurs poitrines soient-elles. Pour ce qui est des piques envers sa fille, elles étaient habituelles, la critiquer faisant partie d'un de ses passes-temps. Que trouvait-il de bon à cela ? Probablement l'idée de la remettre dans le droit chemin mais en tant qu'homme noir et sarcastique, il ne faisait pas un aussi bon père qu'on en trouve ailleurs. Il pensait souvent que s'il avait eu un fils, cela aurait été autrement mais quand savait-il réellement ? En exigeant trop de soi, il en exigeait autant des autres, peut importe le sexe ou l'âge. Le gouverneur se voyait frôler la perfection, les lâches et peu dégourdis n'avaient donc pas leur place dans son entourage. Sur cette dernière pensée, il but d'un coup sec son verre et l'on apporta une dinde à table. Tout était silencieux, chacun méditant sa réponse.

- Bonjour vous deux, ma fille je vous prierai d'être plus ponctuelle et vous Phelan, vous pouvez me conter ce que ce capitaine vous a dit ? Tout concernant les pirates m'intéressent, j'ai ouï dire qu'ils y en avaient même aux alentours du palais des plaisirs mais vous saurez me confirmer ou non ceci n'est-ce pas ? l'interrogea-t-il avec ton narquois. Très sincèrement, j'en doute mais nous verrons bien.

Cécilia garda la tête bien basse. Elle craignait beaucoup plus les fureurs de son père que celles de dix pirates qui seraient venus pour lui faire du mal. Son père dégageait à la fois une prestance et une autorité naturelles. A un point que Cécilia n'avait jamais osé lui tenir tête. Cela ne lui avait même jamais traversé l'esprit.

- Outre cette affaire Cécilia, que lisez-vous ?

- Je... heu... Commença-t-elle.

- J'ai pour vous une réserve de journaux très intéressants et qui vous initiera peut-être à l'art maritime. Bien, nous pouvons commencer à boire je suppose.

Il ne lui avait pas laissé le temps de répondre, et tant mieux. Cécilia aimait son père mais elle partageait rarement son goût pour la lecture avec lui. C'était son petit jardin secret, en quelque sorte. Elle n'avait jamais discuté avec lui de tout ce qu'elle avait découvert dans les livres. Ceci était fort dommage d'ailleurs, car elle le soupçonnait d'être aussi cultivé qu'elle et peut être aussi passionné par les livres. C'est pourquoi elle resta très émue face à la déclaration du gouverneur. Il voulait partager sa passion de la marine avec elle. Lui montrer et lui apprendre ses "ficelles du métier". Bien qu'elle ne se voyait pas passer sa vie sur un navire, elle aimait savoir que son père pensait à elle de temps en temps.

- Je serai ravie de les lire, père. Ce serait même pour moi un honneur. Dit-elle en prenant place à table, la tête toujours aussi basse et les yeux rivés sur son assiette.

Bien que joyeuse et émue, elle refusa de boire quelconque alcool et demanda à un serveur de ne lui servir que de l'eau.

Vous Phelan, vous pouvez me conter ce que ce capitaine vous a dit ? Tout concernant les pirates m'intéressent, j'ai ouï dire qu'ils y en avaient même aux alentours du palais des plaisirs mais vous saurez me confirmer ou non ceci n'est-ce pas ? Très sincèrement, j'en doute mais nous verrons bien.

Le gouverneur était, comme à son habitude, d'une humeur maussade et peu accueillante. Phelan attendit que la jeune femme ai prit place à la table avant de s'asseoir à son tour. Lorsque le serveur eut rempli le verre de M. Sadovsky, l'amiral lui fit signe de venir remplir le sien. Tandis que Cécilia répondait à son père, le jeune homme médita sa réponse. Les sources de Raven indiquaient que les pirates commençaient à s'activer. Il allait y avoir de nouvelles batailles et ce sous peu. En ce qui concernait le palais des plaisirs, même s'il était vrai que Phelan avait une réputation de bon client, depuis quelques temps, la seule pensée de la jeune femme assise à la même table que lui le faisait changer d'avis. Par conclusion, cela faisait un bon moment qu'il ne s'y était pas rendu. Le gouverneur tourna la tête vers lui, attendant une réponse à sa question.

-Eh bien, en ce qui concerne les pirates, l'un de mes capitaines m'a assuré qu'ils se font de plus en plus actifs. Et ils ne devraient pas tarder à s'approcher de nos côtes afin de suivre nos navires. Actuellement ils sont entrain de remettre le navire de l'impératrice en état. De nouvelles batailles se préparent. Mmh en ce qui concerne le palais de plaisirs, je ne peux rien affirmer, c'est tout à fait possible qu'il serve de repère mais ce serait alors de façon périodique et, les pirates sont assez intelligents pour ne pas s'y rendre lorsque les hommes du gouvernement y sont. Voulez-vous que j'envoie des hommes afin de me rapporter l'état des choses?

L'amiral porta le vin à ses lèvres et laissa le liquide couler dans sa gorge. Les serveurs déposèrent les morceaux de dinde dans les assiettes et se reculèrent. Phelan attendit la réaction du gouverneur. Ce dernier semblait trier les informations reçues. Son regard glissa vers Cécilia. La jeune femme gardait les yeux baissés sur son assiette, mais elle était si ... elle était charmante. Le jeune homme retourna son attention sur M.Sadosky.

Le gouverneur posa ses yeux noirs sur Phelan après que Cécilia ait parlé et l'écouta sans attention particulière. L'amiral détournait aussi bien les critiques que son regard coulant malheureusement trop vers Cécilia au goût du gouverneur. Une fois qu'il lâcha son dernier mot, son interlocuteur se contenta de susurrer quelque chose à l'oreille d'un serviteur puis commença la salade qu'on lui avait porté en guise d'entrée. Ses couverts d'argent grincèrent maladroitement plusieurs fois, perdu dans ses songes, il ne faisait guère attention à ses gestes. Il fallait se rendre à l'évidence, le nombre des pirates avait beau être constant, ils doublaient de force après leur dernière véritable bataille. Monsieur Sadovski serra les dents en sentant une plaie au creux de sa main de ce proche combat et repensa à un ancien souvenir. Son humeur était plus songeuse que maussade contrairement à son habitude et cela depuis quelques jours. Trop de questions sans réponse, de plans en tête, il pouvait bien être sûr de lui une heure et totalement perdu la suivante. Constatant que son silence pesait, il se racla la gorge et regarda Phelan. Il n'était guère gras tout comme lui-même alors qu'ils avaient pris l'habitude de manger copieusement. Si l'exercice n'apportait pas des muscles, l'amiral et son gouverneur seraient probablement des gros hommes, vautrés en constance sur leur chaise. Un rire aigre s'échappa de ses fines lèvres et après ce long temps de silencieuse, il dit, sûr de lui :

- Non Phelan, ce serait plus qu'inutile, j'y ai déjà ... un oeil dessus. Il faut se focaliser sur leur fameuse activité, elle est bien loin de m'inquiéter mais seulement, l'attaque de l'Impériale doit absolument être contrée. Sommes-nous prêts à la subir ? Probablement sinon je serais au courant bref, murmura-t-il, perturbé quand le serviteur revint une pile de carnet dans les bras. Cécilia, voici les carnets de bord de mon père. Traite-les avec tout le soin dont tu peux faire preuve.

Il en saisit un et feuilleta quelques pages puis en reconnaissant un second, Winston prit dans ses mains l'unique abîmé. Son père l'avait écrit au feu de l'action, peut-être avec celui-ci il lui transmettrait au mieux son amour pour la mer et les combats. Dedans, le père de Winston racontait l'époque où n'étant alors que mousse, il sortait dague en main tuer les pirates attaquant le pont qu'il nettoyait tout juste et ainsi donc, l'équipage avait reconnu sa vraie valeur. Des souvenirs remontèrent à la tête du gouverneur, ses soirées à tourner les pages parfois ensanglantées. Oui, sans aucun doute, ce carnet-ci saurait la plonger dans l'action. De ses fins doigts, il le tendit à sa fille et une fois qu'elle l'eut attrapé, il lâcha un semblant de sourire sincère. Bien sûr, il était impossible de savoir qu'à travers cette grimace, le gouverneur exprimait une certaine satisfaction, ses muscles du visage si peu habitués à bouger de cette façon. D'imaginer que l'avenir de sa fille n'était peu être pas si désastreux qu'il ne le pensait le rassurait. Peut-être une femme deviendrait gouverneur mais ils n'en étaient pas là, en attendant, Winston était vivant et devait supporter le regard de l'amiral sur sa fille fragile. Un sourire narquois borda soudain ses lèvres, en abordant le sujet tabou, il s'amuserait sûrement...

- Phelan, avez-vous déjà songé au mariage ? Même si cette étape n'est guère une preuve d'amour mais un passage administratif, il faut y réfléchir. Je vous avoue qu'être veuf est bon à vivre, je vous conseille donc une femme non embêtante, aussi faible que possible mais vous devez bien avoir une idée non ?

S'exprimant ainsi, le gouverneur pensait sincèrement qu'il ne pouvait avouer son indéniable béguin pour Cécilia car il n'oserait insinuer qu'elle était faible et autres adjectifs qui qualifiaient une bonne épouse d'après Winston. Peut-être se trompait-il mais la réponse qui allait suivre l'intéressait fortement. Sans savoir s'il avait mis sa fille dans l'embarras ou non, il termina son entrée avec un sourire mauvais, comme on en trouvait plus souvent chez lui.

Le gouverneur avait prit ses couverts mais il ne mangeait rien. Le silence se faisait à présent depuis de longues secondes et Phelan ne pouvait rien faire d'autre qu'attendre la réponse de M. Sadovsky. Celle-ci finit par arriver, lente mais réfléchie. L'homme, bien que de bel age, avait encore toute sa raison et lorsqu’il s'agissait des pirates, aucune décision ne devait être prise à la légère. Finalement, l'activité hors-la-loi qui semblait se dérouler au palais des plaisirs n’intéressait pas le gouverneur, il avait, apparemment, déjà prit ses dispositions. L'amiral n'avait vraiment confiance en la propriétaire mais, c'était vrai, il appréciait la compagnie des filles de joie. Du moins jusqu'à il y a quelques temps. M. Sadovsky posa la question redoutée, la marine était-elle assez puissante pour résister à une attaque lancée par "l'Impératrice" elle-même? Phelan était convaincu que oui mais il préférait ne pas sous-estimer son adversaire. D'ailleurs, il avait ordonné à Raven de ne pas laisser ses hommes se relâcher.

-Serions-nous capable de résister à une attaque pirates? Je pense que oui mais il ne faut surtout pas nous sur-estimer. Les pirates sont forts, fourbes et plus encore. Il ont quelque chose que nos hommes n'ont pas, la rage aveugle, l'envie de terreur et de sang. Les soldats sont loyaux et, ils se battent comme des robots, ils n'ont pas vraiment de conviction mais eux aussi ont un atout. Ils défendent leur femme, leurs enfants, leurs terres. Je pense que nous pouvons vaincre.

L'amiral planta sa fourchette en argent dans un morceau de dinde et le porta à sa bouche. Laissant au gouverneur le temps de ... penser. Justement, celui-ci tendait à sa fille des carnets de bord, ceux de son propre père disait-il. Un instant, Phelan envia la jeune femme. Il continua de manger, un sourire aux coins des lèvres. Pourquoi? Lui même ne le savait pas, mais après tout, pourquoi s’empêcher de sourire lorsque l'on a pas envie de pleurer? Ainsi il attendit que le père et la fille aient fini de se parler. Le gouverneur revint à lui bien plus vite qu'il ne s'y attendait.La question qu'il posa dérouta d'abord l'amiral et heureusement pour lui, il était incapable de rougir. Il déglutit puis trouva le regard moqueur de M. Sadovsky. Cherchant ses mots, Phelan posa ses couverts et croisa les mains.

-Le mariage? Oui, bien sûr que j'y ai songé. J'avoue par contre que je ne comprend pas vos ... hum ... "critères de sélections". Une femme faible? Pourquoi donc? Quoi qu'il en soit, la femme avec qui je souhaite partager mon nom ne désire, je le sais, pour l'instant pas vivre sous le même toit que moi. J'attendrai donc car même si, comme vous le dites, le mariage est un "passage administratif", j'aimerai qu'il soit teinté d'affection.

Phelan avait dit tout cela sans un regard pour la jeune femme assise à la même table que lui. Pour rien au monde il ne souhaitait accroître la gêne dont elle semblait déjà prise et, cela n'aurait fait que donner au gouverneur matière à se moquer. Le sourire qui dansait auparavant sur ses lèvres avait disparu.

Le gouverneur analysa la réponse de Phelan avec un sourire narquois au bout des lèvres, un mimique tranchant bien trop souvent son visage. Il était naïf car soit, il croyait sincèrement à l'amour et c'était peine perdue ou soit, songeait-il avec ses quelques mots à Cécilia mais c'était également vain. Un bref rire glacial trancha le silence provenant des entrailles de monsieur Sadovski. Ses yeux noirs se posèrent sur l'amiral et il songea à comment lui répondre sans le froisser. Il était jeune après tout mais le gouverneur avait eu sa fille à vingt et un ans, son mariage avait donc été fait lorsqu'il était plus jeune encore et Wallior avait presque passé la trentaine. Peut-être n'ayant pas autant d'ambition que lui, il ne se pressait point. Winston en revanche avait été impatient d'avoir un héritier à peine eut-il atteint le poste à son père, et il exécuta rapidement sa demande. Son immense déception de ne pas avoir eu de fils lui était passé, parfois il songeait à se remarier dans l'espoir de voir naître un garçon mais aurait-il ensuite le temps de lui inculquer tout son savoir ? C'est pour cela qu'il se focalisait sur Cécilia à présent, elle avait bientôt la vingtaine, le meilleur moment pour lui apprendre à garder confiance et se montrer fin stratège. La prochaine attaque de pirates serait peut-être le moment propice pour lui donner une arme entre les mains et aussi, mettre son plan personnel à exécution, celui dont personne ne savait l'intérêt et dont personne ne devait le savoir d'ailleurs.Le silence pesant prit alors fin, le gouverneur but une nouvelle gorgée d'alcool puis fixa son amiral. Il allait le remettre dans le bon chemin une fois pour toutes et pourrait ensuite passer à la suite. Après tout, n'était-ce pas ce qui le tracassait depuis l'annonce de ce repas ? La convoitise de Phelan ? Quitte à se montrer dur, Winston ferait comme toujours taire les problèmes.

- Ecoutez... Il n'existe de mariages d'amour passion mais ce n'est guère pour cette raison qu'il ne peut être "teint" d'affection". J'en eu un réussi sans avoir droit à un coup de foudre. Vous passez une brève annonce, des femmes vous visitent, vous choisissez et c'est ainsi. Après, ne prenez guère la plus exécrable et par faible, j'entends soumise. Je vous en parle simplement car je songeais à celui de ma ma fille, je me demandais donc votre position sur cette cérémonie. Vous croyez bien trop à l'amour, mon ami. Bref, je ne souhaite vous indisposez, ce que vous me dîtes sur les pirates est très intéressant, je languis notre imminente victoire, n'est-ce pas ? murmura-t-il avec un regard dans le vague avant de se tourner vers sa fille, cramoisie. Continuez-vous vos cours d'escrime ? Cela pourrait vous être utile plus tôt que vous ne le pensez.

Il harcelait Cécilia de questions, comme à chaque souper. D'habitude, les invités limitaient ce flot de questions mais l'amiral n'était pas un inconnu. L'ultime question qui torturait le gouverneur pouvait même être dévoilée en sa présence : craignez-vous les pirates, ma tendre fille ? Mais ce soir, il les tourmentait déjà assez avec les questions sur le mariage. Ils avaient et heureusement pour eux l'habitude après tout. Sa prise de paroles régulière, ses changements de sujets vifs ne les interpellaient plus, ni à l'un, ni à l'autre. Le gouverneur était comme ça, on parlait de ce qui l'intéressait, le reste passait après. On pouvait facilement déduire qu'il n'en écoutait peu les autres et c'était là, la grave erreur. Ses paroles étaient importantes, réfléchies mais ce que pouvait lâcher l'interlocuteur le plongeait dans une encore plus grande réflexion. Parfois, les hommes étaient tellement fiers d'eux même qu'ils en oubliaient même de retenir leur langue sur certains détails, détails n'échappant jamais à monsieur Sadovski. C'était une de ces choses là qu'aimait Winston chez lui, car il s'appréciait beaucoup. Qui d'autres pouvaient aussi mieux que lui frôler la perfection ? Encore fallait-il déjà retirer tous les pirates, buveurs, fous et vermines pour réponse et ensuite, le tri était vite fait. Entre le mousse et le gouverneur, on voyait une nette différence. Il n'était pas non plus mauvais au point de se moquer de ce fameux mousse non, car peut-être serait-il celui qui lui trancherait la gorge après tout. Oui, Winston était quelqu'un de particulier, quelqu'un atteint d'un paranoïa profond. C'est pour ça qu'il s'occupait au mieux de sa fille, du moins il l'estimait ainsi, pour ne pas qu'elle se retourne un beau jour...

Mille excuses pour le retard !

Winston fixa longuement l'amiral et il l'avait décidément plongé dans un mutisme, voilé de doutes. Contrairement à son habitude, ce fût sa fille, Cécilia qui ne tint sa langue dans sa poche. L'allusion à ses cours d'escrime l'intriguait, pourtant, elle était la fille du gouverneur, il était normal qu'elle sache manier l'arme. C'était d'un telle évidence pour le gouverneur que le doute n'avait pas sa place. Soit c'était aussi pour la future attaque car il fallait qu'elle se prépare mais ne courrait-on pas en danger constant ? Il fallait qu'elle le comprenne, Winston ne désirait la heurter mais pourquoi se voiler la face ? Avancer yeux fermés ne rimaient à rien, pas plus que tout exposer. Il prit une grande inspiration. C'était le bon moment, le seul pour lui faire comprendre qu'elle était l'unique maître de son destin, comme toutes personnes.

- Sais-tu pourquoi t'ai-je envoyée à Sainte Thérèse ? Pour que tu connaisses les manières d'une jeune femme respectable. C'est nécessaire, peut-être même vital car tu es ma fille. Cela signifie que tout comme moi, tu dois savoir te tenir droite, parler distinctement, refuser avec habilité les propositions que tu devras juger farfelues etc... Mais cela ne fait guère de toi une femme qui comme ses semblables, attend son époux pour souper, nettoie sa maison à ses heures perdues, tisse en soirée... Tu es constamment en danger, comme par le passé, les pirates peuvent t'enlever pour forte rançon, on peut subir à tout moment une attaque dévastatrice, ces temps en eux-même dans lesquels nous vivons sont dangereux. C'est pourquoi, manier l'arme aussi dur cet art soit-il doit être acquis, tu dois vite te forger car bientôt, tu traceras ton destin. Désires-tu être une femme de gouverneur, tendre et docile, à languir la fin de ses batailles ou une femme forte, fille d'un puissant gouverneur défunt, sur le même pied d'égalité que son homme, un marin qui désira toujours en savoir tout autant que toi. Excuse donc la dureté de mes mots mais on n'apprend en un jour le métier de gouverneur, déjà faut-il savoir si nous le voulons. Personnellement, je n'ai été irrésistiblement attiré par la mer et les combats avant une certaine rencontre et autant te mettre dans la confidence : si on ne m'avait pas encadré, je ne serais pas assis sur cette chaise, ces papiers-ci à ma droite signés de mon nom. Alors bien que femme, tu vas devoir choisir. Il y a bien un sexe faible mais la fille d'un gouverneur, MA fille, peut en être autrement, une femme puissante. Après, une autre question se pose, elle sera aussi décisive. Crains-tu les pirates ?

Les yeux noirs de l'homme percèrent ceux de sa fille. Il obtiendrait sa réponse mais maintenant, il devait se débarrasser de l'amiral. Il en savait trop sur sa fille, ses manières de fonctionner. Peut-être en tirerait-il des avantages mais en ces instants, Phelan était en position de le poignarder à tout moment. Le gouverneur vit alors un serviteur signaler que les desserts étaient prêts, il l'appela et lui souffla quelque chose à l'oreille. Peu après, des glaces aux mille couleurs furent portées et celle de l'amiral dégageait un doux parfum, que les autres n'avaient guère. Cette odeur était celle d'un poison de la collection de Monsieur Sadovski, un poison qui le tuerait une demi-heure après son absorption. Les yeux pétillants, Winston attendit patiemment qu'il le goûte.

Cécilia en resta bouche bée. Elle qui pensait que son avenir serait limité à être la fille parfaite puis l'épouse parfaite du gouverneur à céder à leur moindre caprices, les nourrir, ne pas leur faire honte et au contraire montrer la meilleure image d'elle, bref une femme soumise et obéissante, voilà maintenant qu'elle devait devenir une femme combative, forte qui reprendrait les fonctions de son père. Elle devait prouver à tous qu'elle pouvait se battre avec une arme et diriger la colonie sans l'influence de son mari. Cela lui paraissait impossible. D'une les armes lui faisaient peur et elle était incapable d'en saisir une sans trembler de tout son corps. Et de deux elle arrivait à peine à mettre un pied hors du palais ! Non vraiment cela était impossible.

Mais ce que Cécilia craignait plus que tout, c'était la probable attaque de pirates. En clair personne n'était à l'abri, même au palais. Et elle devrait les combattre sur un navire ? Être dans le feu des batailles... L'idée était tellement insupportable que les larmes perlèrent à ses yeux. Et à la dernière question de son père elle ne su quoi répondre. Elle ne voulait pas le décevoir, mais elle était prise entre deux sentiments : sa terreur face au danger et sa volonté de vouloir plaire à son père à tout prix. Il la regardait droit dans les yeux et elle fut incapable de détourner son regard. Elle en oublia même la présence de l'amiral qui dinait avec eux.

- Je suis désolé père, réussit-elle à dire entre deux sanglots, oui je suis terrifiée à l'idée d'affronter les pirates. Et je ne pourrais jamais devenir celle que vous voulez.

Assaillit par la honte elle détourna finalement son regard avant de se lever de table et de filer se cacher loin de son père, loin de cette honte, loin des dangers qui la menaçaient. Elle voulait plaire à son père depuis toujours et elle venait de perdre sa confiance et son respect à tout jamais. Elle ne serait jamais cette femme gouverneur forte et combative. Et à présent elle serait reniée par le seul être qu'elle aimait.

Winston demeura interdit, les yeux rivés sur la porte que sa fille venait de passer, larmoyante. La pièce se faisait silencieuse, les serviteurs immobiles. Le gouverneur semblait ne plus respirer, ses lèvres entre-ouvertes bloquées. Tant bien que mal, l'amiral retenait une violente quinte de toux provoquée par cette étrange glace mais il ne parvint à le faire plus longtemps : il cracha un filet de sang sur son assiette. C'est à ce moment là que Winston reprit un soupçon de vie, ses mains se mirent à trembler dangereusement. Soudain, il se leva envoyant sa chaise à terre et balaya tout ce qui se trouvait sur la table d'un mouvement violent. Il hurla à ses serviteurs de venir débarrasser plus tard et passa sa main dans ses cheveux qu'il se retint d'arracher. Avec brusquerie, il saisit une chaise et s'installa face à Phelan sans plus se soucier de la table à terre, les assiettes de porcelaine brisées au sol. Le gouverneur saisit la bouteille de vin et remplit deux verres fendus. Entre ses quintes de toux, Phelan fixa Winston et but le verre qu'on lui tendit avant de lâcher :

- Je... je me sens très... très mal...
- C'est normal, vous êtes en train de mourir. Vos services me sont inutiles en fait et tant qu'à faire, autant vous tuer. Que vous convoitez ma fille n'a fait qu’accélérer les choses. En plus, je vous trouve trop tendre, il faut savoir agir dans son propre intérêt parfois comme moi en cet instant. Je vous ai empoisonné, votre gorge enfle en attendant que le poison circule dans le sang et atteigne le coeur. Ensuite, il va falloir quelques minutes avant que cela n'agisse, que dîtes-vous d'une partie d'échecs ?

Avec un sourire dangereux, il se leva et s'installa face à une table où un jeu était posé. L'amiral ne bougea pas, résistant contre le poison et la terrible nouvelle. Le gouverneur rayonnait et but encore une gorgée, les yeux pétillants. Au fond, Phelan aurait pu garder la vie sauve, il en savait beaucoup mais son dévouement suffisait à prouver qu'il ne l'utiliserait pas en mal et même paranoïaque, monsieur Sadovski le savait. Pourtant, il trouvait que lui faire rejoindre les abîmes n'était guère déplaisant, peut-être souhaitait-il seulement se défouler. Après tout, il venait de subir une énorme déception vis à vis de sa fille. Sa réaction prouvait qu'elle était encore une incapable, peureuse, faible. Tout ce que le gouverneur avait banni à jamais de sa vie. Pourtant, s'être énervé venait de lui remettre de nouvelles idées en tête. Sa fille ne s'était endurcie au couvent, bien évidemment et c'était ici qu'elle deviendrait ce qu'elle devait être. (XD) Il allait devoir s'en occuper personnellement. Une plainte de l'amiral le fit sursauter et il le vit mourir. Avec un rictus nerveux, il héla un homme dans le couloir et enfoui multes pièces d'or dans sa veste.

- Débarrassez-moi de ça convenablement et je vous donne le double après. Tout cela reste secret bien sûr sauf si vous préférez me rendre mes galions.
- Bien monsieur, tout de suite.

Winston se redressa et fouilla dans ses papiers. Il commencerait par rendre visite avec sa fille chez un nouveau fabricant d'armes et pourrait ainsi facilement analyser son travail. Par la suite, il lui donnerait un cours personnel puis retournerait à ses propres activités. Le cadavre sorti de la pièce, il demanda à ce qu'on remette la somptueuse salle en ordre et la quitta. En croisant le serviteur de tout à l'heure, il lui lança une bourse qu'il tenait dans la main puis s'éloigna.