Phelan arriva juché sur Nuance, une jument à la robe grise qui ne lui appartenait pas mais qu'il avait l'habitude de monter. Il chargea un palefrenier de la conduire aux écuries et resta un moment au centre du patio. Les affaires de navires marchands et de corsaires l'attendaient mais il préféra flâner un peu. Sa visite aux bains l'avait bien détendu et il ne souhaitait pas tout de suite retourner s'enfoncer dans son rythme quotidien. Il s'assit donc sur le rebord de la fontaine et laissa divaguer ses pensées. Il suivit des yeux un papillon puis son regard s'arrêta sur la fenêtre d'une chambre. Entre mille il aurait pu la reconnaître, c'était celle de la fille du gouverneur. Il resta un moment les yeux accrochés, espérant la voir entre la rideau mais il ne vit rien. Pourquoi donc s'intéressait-il tellement à cette enfant gâtée? Après tout, il ne lui avait jamais parlé plus de deux fois et leur conversation n'avaient jamais été bien longues... Mais elle était charmante d'un point de vue physique. Absolument charmante. L'amiral resta donc là, perdu au fin fond de son esprit labyrinthique, sans vraiment de tenter de trouver la sortie.

Cécilia était sortie du grand palais protecteur afin de lire tranquillement à l'ombre d'un palmier dans les jardins. Le livre était un essai d'astronomie où l'auteur expliquait comment se diriger et se repérer grâce aux étoiles partout dans le monde. Chose vraiment très intéressante si l'on se retrouvait perdu en plein milieu de la nature. Bien sûr il n'était pas toujours évident de se repérer dans une forêt trop dense pour apercevoir le ciel. Ou même encore lorsque les nuages vous jouaient un mauvais tour. C'est pourquoi le livre conseillait également de s'informer sur les différentes techniques d'orientation dans la nature en observant la position des mousses sur les arbres par exemple. Mais cela ne constituait que le premier chapitre de l'ouvrage. Cécilia entama enfin la partie qui expliquait comment s'orienter en pleine mer, la technique que tout bon navigateur devait absolument connaître, bref le chapitre qui intéressait énormément la jeune fille. L'excitation était perceptible dans ses gestes car elle changeait tout le temps de position sur son banc et tournait les pages de plus en plus vite. Sa concentration était au plus haut et c'est pourquoi elle n'entendit pas l'animal venir vers elle.

Ses quatre gardes, qui étaient postés un peu plus loin pour ne pas la déranger, entendirent le cri strident de la jeune fille en même temps. Ils accoururent vers elle et la trouva en train de se débattre avec un singe. L'animal avait déboulé d'un arbre voisin et voulait lui voler son livre. Elle l'avait d'abord lâché et s'était cachée les yeux avec ses bras. Mais en voyant le petit animal avançant vers son précieux trésor elle s'était jeté sur lui à plat ventre pour le protéger. Le singe s'était enragé et malmenait désormais l'adolescente. Les gardes firent fuir le singe et aidèrent leur maîtresse à se relever. Elle était décoiffée, ses vêtements étaient déchirés. Cécilia bouillonna de colère mais la peur qu'elle avait eu juste avant remonta à la surface et ses jambes tressaillirent face à l'afflux d'adrénaline dans son sang.

Elle s'était donc précipitée vers le palais fin de se remettre de ses émotions mais aussi pour se refaire une beauté. Elle avait ordonné aux gardes de rester près d'elle au cas où son assaillant ne revienne à la charge et accourait maintenant vers la porte du palais. Elle était en haleine, elle tremblait, elle n'avait qu'une chose en tête... deux en fait : se mettre à l'abri et éviter que trop de monde ne la voie dans un tel accoutrement. C'est pourquoi elle passa devant l'amiral sans vraiment remarquer sa présence.

L'amiral avait enfin repéré Cécilia. Elle semblait plongée dans son livre à tel point que l'idée d'aller lui parler ne l'effleura même pas. Il resta donc ainsi à regarder les mouvements de son visage. Un sourire amusé se peignit sur le visage de l'homme lorsqu'il constata la difficulté qu'éprouvait la demoiselle à rester immobile. Quand Phelan avisa le singe, il tait trop tard. D'abord inquiet pour la jeune fille puis ensuite totalement hilare, il ne réussit pas à quitter le bord de la fontaine pour l'aider, il laissa ce soin aux gardes qui semblaient bouleversés à l'idée d'une remontrance solide de la part du gouverneur. Pendant que l'animal s'enfuyait, Cécilia passa devant l'amiral. Il se leva donc, les traits de son visage redevenus sérieux, et la rattrapa.

- Mademoiselle Cécilia ! Attendez !

Le visage de la jeune fille était rouge de fureur et peut-être de honte, ses mains tremblantes serraient le bouquin des étoiles et on pouvait voir la frayeur que lui avait causé l'aventure se peindre dans ses yeux. Phelan se savait pas trop quoi faire mais il ne souhaitait aucunement la laisser partir dans cet état là. Il posa sa main sur son bras et la fit pivoter vers lui. Craignant un peu sa réaction, car ne voulant pas la fâcher encore, il prit la parole avant elle.

- Vous n'avez rien ?

L'amiral enfonça son regard dans celui de la demoiselle et la regarda intensément. Il tourna ensuite ses yeux vers le livre qu'elle tenait contre elle et se demanda pourquoi elle lisait se genre de chose. Loin de le désoler, cela le ravit car il aurait au moins un sujet de conversation avec elle. Les étoiles.

Cécilia était presque arrivée devant les grandes portes du palais lorsqu'elle entendit la voix de l'amiral... Comment s'appelait-il déjà ? Ah oui ! Phelan... Elle fit mine qu'elle ne l'entendait pas et accéléra le pas. Elle n'avait aucunement envie de faire la conversation dans un tel accoutrement... Surtout à un homme. Lors de son éducation religieuse on lui avait appris que mal se présenter devant un homme était très irrespectueux et répréhensible. Hélas, le jeune homme sembla s'en moquer et la rattrapa ben vite. Il faut dire qu'elle devait être plus petite que lui d'au moins trois têtes et elle n'était pas du genre athlète alors que ce soldat... si. Lorsqu'il l'attrapa par le bras elle devint encore plus rouge qu'elle ne l'était déjà. Mais ne voulant pas se montrer irrespectueuse envers un homme elle ne dit rien de sa gène.

Comment pouvait-il lui demander cela ? Il voyait bien qu'elle était dans un état lamentable ! Elle avait vraiment honte d'être aussi peu arrangée et réfléchit à un moyen d'écourter la conversation sans se montrer trop désinvolte.

Que voulait-il lui dire? Très bonne question, il n'en avait aucune idée. Il était seul et il s'ennuyait, il l'avait vu et il était allé lui parler, et maintenant il ne savait pas quoi faire. Il n'avait pas envie de retourner à son travail mais la jeune femme ne semblait pas disposée. Son regard retomba une nouvelle fois sur le livre. Il leva ensuite les yeux vers le ciel. Le soleil était à son zénith. L'heure du déjeuner approchait.

- J'ai une proposition à vous faire : Allez vous changer et dans une heure, venez me rejoindre dans la salle à manger du palais. Nous parlerons d'étoiles.

Il s'approcha ensuite de son oreille afin que les gardes n'entendent pas.

- Et ce soir je vous emmènerais sur les toits du palais. Je suis sur que vous n'avez jamais vu les astres de là-haut...

Phelan se recula à nouveau.

- Alors qu'en dite vous?

Cécilia n'en revenait pas. Cet homme la courtisait de façon bien étrange et beaucoup trop directe. Elle avait appris à respecter les hommes lors de son éducation au couvent. Mais elle avait aussi appris à ne pas se soumettre n'importe comment, juste à son père puis son mari. Cet homme était allé trop loin. Regarder les étoiles ? Sur un toit humide ? Et puis quoi encore.... cela était beaucoup trop dangereux ! Rien que d'y penser elle en avait des frissons. Et puis un peu plus et elle finirait dans le lit de cet homme en un claquement de doigt. Cécilia ne comptait pas se laisser faire. Certes ce soldat était l'homme de confiance de son père et elle devait se plier aux décisions paternelles mais elle avait des principes et ils n'étaient pas du tout compatibles avec les projets de l'amiral.

- Manger avec nous dans la salle de réception ? Cette décision revient à mon père. Vous devriez lui demander. Je pense qu'il sera ravi de partager un repas avec l'un de ses plus fervents soldats. Quant aux étoiles... je suis désolé mais je ne sors jamais la nuit. Cela est beaucoup trop dangereux. Surtout sur un toit glissant. Non désolé mais je serais certainement déjà couchée à cette heure de la nuit.

Elle ne tourna pas les talons car cela était une trop grande marque d'irrespect envers les hommes. Elle préféra patienter en attendant qu'il ait fini de lui parler.

Phelan était déçu, franchement déçu des réponses de la jeune femme, il l'avait cru plus aventureuse. Tant pis, il n'était pas pressé. Un jour elle viendrai avec lui voir les étoiles depuis le toit.
Manger avec le gouverneur ? Bonne idée, il avait des rapports à faire. Des victoires et des défaites à annoncer, des bonnes et des mauvaises nouvelles à partager.

-Oui, je dois parler avec votre père le gouverneur de choses importantes. Je n'aurai pas dû vous proposer les étoiles, elles ne sont pas là pour les filles de gouverneur mais pour ceux qui savent les cueillir. Pardonnez moi mais j'ai à faire. Sur ce, bon après-midi Mademoiselle Cécilia.

L'amiral tourna les talons et rentra au palais. La jeune femme l'avait énervé avec ses histoires de toit glissant. Vraiment, ce n'était pas une fille comme celle avec qui il aimait travailler. Mais tant pis, elle lui plaisait et pour l'instant, il ne souhaitait pas plus.

Cécilia regarda l'amiral repartir à grands pas. L'avait-elle vexé ? Pourtant elle n'avait fait que ce qu'il lui semblait juste et n'avait aucun remord. Elle avait appris à être respectueuse envers l'autorité et envers les hommes. Mais cet homme n'avait pas vraiment d'ordre à lui donner et elle se plierai aux exigence de son père mais pas à n'importe qui ! Cela pouvait être dangereux de suivre bêtement quelqu'un. Celui ci pouvait nous vouloir du mal ou trahir notre confiance quel que soit son grade. Elle n'avait pas à suivre l'amiral où qu'il aille sans l'accord de son père c'était ainsi et il fallait qu'il le comprenne une bonne fois pour toute !

Elle se hâta de rentrer dans sa chambre afin de se changer et de se recoiffer... le singe avait fait beaucoup de dégâts et elle avait du travail pour remettre tout ça en ordre...