Angelo ne reprit vraiment conscience qu'à la fin de la nuit. Il resta allongé, regardant fixement le plafond. La lumière de l'aurore laissait deviner la course du soleil et son réveil. Mais pour l'heure encore, tout était peint à l'encre grise. Mille tons différents exprimait la présence des divers objets. Le jeune prêtre continuait cependant de fixer le plafond au-dessus de lui. Il était particulièrement sombre.
Il essayait de reprendre pieds. Les fièvres qu'il subissait l'affaiblissaient et altéraient son jugement. Il en était actuellement conscient. Il craignait que cette conscience disparaisse bientôt à nouveau pour le plonger dans une autre phase de délire. Elle était d'autant plus troublante, qu'il se souvenait maintenant de la crise mystique qu'elle avait entrainé. Que devait-il penser de cela ? Etait-ce bon ou mauvais ? Prier Dieu de manière si absolue ... n'avait pas plu au frère apothicaire ! Cela était certain. Il allait bientôt prendre le missionnaire pour un fou.
Cette analyse permit au père Angelo de souffler. Il fallait combattre cette maladie et se plier aux règles. Après tout, qu'avait-il à faire de plus ? Son devoir spirituel était de guider vers Dieu les hommes de Wecia. Et pous cela, il se devait de reprendre des forces, de guérir, de combattre ce mal.

Le gris du plafond s'était éclaircit. Le jeune prêtre savait que les rayons de soleil ne rentrerait dans la cellule seulement vers l'heure de midi. Il devait se prendre en main et devenir fort. Bientôt il serait seul. C'était à la fois grisant, prometteur de grandes aventures, mais aussi terrifiant. Il doutait de sa compétence et de sa vocation.
Angelo s'assit, le dos contre l'oreiller, il observa maintenant la cellule. Chaque objet se déclinait en gris. A quel moment, les objets reprennent-ils leur couleurs ? Fallait-il que le premier rayon de soleil passe la couverture de la terre sur l'horizon ?
Il se servit à boire et grignota un peu du pain qui était resté hier soir. Les teintes de gris devenaient de plus en plus claires. Rassasié pour le moment, il se leva doucement pour faire ses ablutions. Le missionnaire était décidé à ne pas désobéir au frère apothicaire. La peur qu'il lui avait fait la veille, avait été presque salvatrice dans son délire mystique. La fraîcheur de l'eau lui fit du bien et il se sentit bien. Il retourna s'asseoir sur son lit et mis ses mains en prière, tournant son regard vers le crucifix de la cellule. Il récita à mi-voix les prières du matin et demanda le courage pour affronter le mal qui le rongeait. Enfin il se signa et s'allongea de nouveau. Le jeune assistant allait bientôt revenir pour lui faire boire la médecine.

- Bonjour mon père, dit le jeune garçon en apportant le remède. Il fut surpris de constater qu'Aneglo était éveillé.

- Bonjour. Merci de m'apporter cela... même si j'ai l'impression de boire la salive d'un être maléfique ! tenta-t-il pour détendre l'atmosphère.

L'absence de réaction de l'ssasitant montrait bien qu'il portait peu d'intérêts aux propos du missionnaire. Mais Angelo n'en fit pas cas et bu sans rechigner la boisson. Il ne pu contenir une grimace de dégoût cependant.

- Bonne matinée. Je vais dormir encore un peu. Je suis épuisé. Pensez-vous que je pourrais avoir une pomme ce midi ? La faim tiraille mes entrailles.

Le jeune garçon répondit par un grognement et sortit. Angelo sourit puis s'endormit.

Il fut secoué par une large main impérieuse. Une odeur d'herbes accompagnait la personne présente. Il n'avait pas encore ouvert les yeux, qu'Angelo savait que le frère apothicaire serait à ses côtés, la moue contrariée et le regard sévère. Pourtant il était certain que chez cet homme il y avait au fond une grande tendresse et que sn caractère bourru n'était qu'une façade.

- Bonjour mon frère, dit-il en se frottant les yeux et en tentant de se redresser sur le lit.

- Hum bonjour. C'est l'heure de votre médecine. Le petit m'a dit que vous vouliez une pomme. Je vous en apporte une avec un bon morceau de pain. Il va falloir reprendre des forces.

- Merci. Pensez-vous que je serais sur pied dans les deux jours qui viennent ? J'ai l'impression désagréable d'être un poids pour le monastère, ça n'était pas mon intention en venant ici.

- Mangez donc ! Plutôt que de dire de telles âneries. D'après ce que je vois, demain soir, vous pourriez manger avec nous au réfectoire et participer aux prières du soir... si vous rester tranquille !

Engloutissant difficilement un gros morceau de pain, il répondit la voix un peu étouffée :

- Je ne risque pas de recommencer mon délire d'hier. J'ai eu le temps d'y réfléchir. Ces fièvres sont oppressantes.

- Ah ! Vous voilà un peu raisonnable. On réussira peut-être à vous remettre sur pieds avant la fin de la semaine. J'ai bien cru que vous étiez encore un de ces prêtres mystiques qui sont plus souvent en délire qu'en prière !

Sur ce, le frère apothicaire sortit sans un geste ni une parole de plus. Angelo finit rapidement de manger. Il goûta avec joie à la pomme. Ayant fini, il se leva pour faire ses ablutions, se mit à genoux sur le prie-Dieu et commença les prières de la journée. Il remercia Dieu pour la force qu'il lui donnait face à la maladie et lui demanda encore son soutien. Le missionnaire retourna dormir après avoir secoué ses draps de grosse toile.