Il fallait y arriver à cette fichue résidence, et Butchlet n'étais pas trop malheureux de se trouver enfin devant. Le commandant de l'Equinoxe s'éventa avec son chapeau. Il faisait une chaleur épouvantable. Et dire que Butchlet avait traversé la ville en se perdant trois fois, pour finalement arriver devant un poste de garde. Il était en sueur, son lourd uniforme lui tenait chaud. Finalement, il présenta ses ordres aux soldats qui montaient la garde et entra dans le patio de la demeure du gouverneur. Et quelle ne fût pas sa surprise lorsqu'il y ressenti une fraîcheur délicieuse dûe aux arbres et aux murs qui faisaient de l'endroit une cour où l'air était respirable. Il se décida à aller à l'intérieur lorsqu'une voix l'arrêta.

- Que puis-je faire pour vous... Commandant ?

But' pivota sur son pied et se retrouva face à un serviteur en livrée bleue qui le regardais avec un air assez hautain et méprisant.

- Je cherche à voir monsieur le gouverneur, j'ai ici des papiers qui stipulent que je dois me mettre sous les ordres de ses officiers. Annoncez Commandant Taylor, de l'Equinoxe.

Le valet l'invita à la suivre et ils entrèrent dans un hall de toute beauté. Le valet passa devant un soldat à qui il dit deux mots puis il retourna à Butchlet en lui demandant d'attendre. Le jeune soldat parti en courant. Butchlet n'avait plus qu'à attendre.

Comme tous les jours depuis une longue année, c'était dans l'enceinte du palais du gouverneur que Vanina s'était éveillée. Si les premiers jours passés ici avaient été déstabilisants pour une enfant de la rue, la jeune femme avait fini par prendre quelques habitudes, et semblait être plus à l'aise. Ainsi, avant de se rendre dans le bureau de l'Intendant pour lui apporter de quoi travailler, elle était venue s'installer sur un banc afin de respirer l'air frais du matin, et de trouver le courage d'affronter une autre journée parmi la noblesse de la capitale. Cette semaine devrait cependant être plus agréable que les autres, car M. Dan de Nosvyl, titulaire du poste d'intendant du gouverneur, était en voyage d'affaire. Vanina n'aurait pas à supporter son mauvais caractère, et surtout ses pulsions plus ou moins fréquentes qu'elle avait à subir à longueur de journée. Ne pas avoir à lui donner son corps pendant quelques jours était en réalité un tel soulagement pour la jeune femme qu'un léger sourire vint se loger sur ses lèvres roses, alors qu'elle observait les palefreniers s'activer du côté de l'écurie. Comme d'habitude, si ces derniers lui lancèrent de discrets regards en coin, aucun ne vint lui parler, et elle ne fit pas non plus le premier pas. Vanina n'était pas vraiment une personne qu'on pourrait qualifier de "sociable". Il lui était presque impossible d'accorder sa confiance à qui que ce soit, car à chaque fois qu'elle l'avait fait, les conséquences avaient été désastreuses. Elle ne recherchait la compagnie de personne, ne nouait de liens avec personne, sans pour autant fuir ceux qui se présentaient à elle.

Vanina était plongée dans ses pensées, réfléchissant sans doute à la journée qui venait de commencer, lorsqu'un homme pénétra dans le patio. Si son allure générale semblait soignée, ce qui faisait de lui un invité parfaitement normal dans l'enceinte de ce palais, son uniforme attira bien vite l'attention des palefreniers, et par conséquent celle de la jeune femme toujours assise sur un banc. Visiblement, le nouvel arrivant n'était pas d'Assecia, et pas de Fändir non plus. A ce moment-la, une once de curiosité naquit dans les prunelles azur de Vanina, et elle ne perdit pas une miette de l'arrivée de cet homme. Observer les personnes qui se présentaient dans le palais du gouverneur, puis dans le bureau de son patron était une des seules distractions qui étaient offertes à la jeune femme, qui était bien souvent lasse de ranger des dossiers à longueur de temps. Ainsi, Vanina ne quitta pas l'étranger du regard. Ce qui aurait pu être pris par de l'attirance aux yeux d'une personne extérieure n'en était pas. La plupart des gens vivant au palais savaient que Vanina ne s'intéressait pas aux hommes. Ils la regardaient, la flattaient, la complimentaient, mais elle n'y répondait jamais. Ayant été et étant toujours une fille de joie, la jeune femme savait qu'elle ne devait rien attendre des hommes quels qu'ils soient, et elle les plaçait tous dans le même panier. Des bêtes qui ne pensaient qu'à assouvir leurs besoins.

Vanina aurait pu rester tranquillement sur son banc, à observer la scène de loin, mais un petit soldat qui ne devait pas avoir plus de seize ans se précipita vers elle. Bien entendu, l'assistante de l'intendant le connaissait, puisque c'est toujours à ce gamin qu'on confiait le sale boulot, comme celui de parcourir la moitié du palais en courant à toutes jambes afin d'annoncer l'arrivée d'un invité de marque.

- Mademoiselle Delhis ! hurla le jeune homme en s'arrêtant devant elle pour reprendre son souffle. Cet homme, celui qui vient d'arriver, il souhaite voir le gouverneur. Il dit qu'il vient d'une contrée très loin d'ici, et que c'est urgent.

Lachant un léger soupir, Vanina se leva et suivit le soldat en marchant à grandes enjambées. Bien entendu, le gamin courait presque, et la jeune femme pesta intérieurement contre M. de Nosvyl. Ce dernier était celui qui la logeait et qui l'habillait, et il semblait avoir une préférence très prononcée pour les grandes femmes, car il ne lui faisait porter que des chaussures à talons. De plus, les rares paires de chaussures plates que Vanina possédait ne s'accordaient pas avec les vêtements élégants qu'elle devait porter pour travailler auprès de l'intendant du gouverneur. Visiblement, le jeune soldat avait une envie irrésistible de courir, et c'est juchée sur des hauts talons que la jeune femme devait le suivre. La encore, tout était une question d'habitude, et elle parvint à ne pas se laisser distancer.

Vu de près, l'étranger, comme ils l'appelaient, semblait avoir une dizaine d'années de plus que l'assistante. Son uniforme, et ses longs cheveux noirs attachés à la manière des marins montraient clairement qu'il venait de prendre la mer, et même sans doute qu'il était le commandant du navire qui l'avait amené ici. Sa grande taille lui donnait une allure assez impressionnante, et la cicatrice qui marquait son front venait achever le portrait d'un homme qui semblait posséder une certaine assurance, même en territoire inconnu.

Comme elle savait si bien le faire, Vanina afficha un sourire poli, et redressa la tête et le buste afin de se donner l'air assuré d'une femme travaillant aux côtés des grands de la capitale. C'est seulement après cela qu'elle tendit une main féminine et délicate à l'inconnu.

- Mademoiselle Delhis, Assistante de l'Intendant du Gouverneur Sadovski. Si vous le permettez, je vais vous conduire devant le Gouverneur.

Politesse, assurance, et patience, voila les trois qualités dont elle devait absolument faire preuve face aux invités de Winston Sadovski. Après une année passée au palais, on peut dire que Vanina maîtrisait sans problème ces compétences, et le fait d'accompagner un visiteur jusqu'au bureau du gouverneur faisait partie de son quotidien. Pour encore longtemps, sans doute.

Butchlet attendais toujours dans le hall d'entrée. Il regardait les tableaux accrochés aux murs, les gens qui passaient dans la pièce où il se trouvait. Un courant d'air passait par les baies vitrées grandes ouvertes et là aussi, il y avait une fraîcheur agréable. Butchlet soupira, il était loin de son pays, de l'Empire, de son village natal. Il fut agréablement surpris en voyant arriver une jeune femme blonde d'une beauté certaine. Tout chez elle respirait l'élégane, sa chevelure dorée, ses yeux bleus, ses trait si harmonieux... Il fallait avouer que le premier contact avec une fändirienne ne serait sans doute pas le pire. Il se découvrit et se pencha légèrement pour la saluer.

- Mademoiselle Delhis, Assistante de l'Intendant du Gouverneur Sadovski. Si vous le permettez, je vais vous conduire devant le Gouverneur.

Elle avait une voix charmante, pourtant ses yeux laissait passer quelque chose, une sorte de mélancolie enfouie. Elle ne semblait pas... Heureuse ? Butchlet prit la voix la plus noble, la plus posée qu'il pouvait prendre, il représentait l'Empire et devait garder une certaine retenue voire même une certaine attitude.

- Mes hommage mademoiselle Delhis. Je suis le commandant Butchlet Henry Taylor, de la frégate Equinoxe. Je suis envoyé par l'Empire pour participer à l'effort que mène le gouverneur contre les pirates qui sévissent actuellement.

Il soupira et montra l'enveloppe de toile cachetée qu'il portait.

- J'ai ici les documents diplomatiques nécessaires à l'insertion de mon bâtiment de la Marine du gouvernement. Malheureusement, nous avons affonté un terrible ouragan en venant ici et... Mon bâtiment a besoin d'importante réparations. Je ne pense pas qu'il soit nécessaire d'importuner monsieur le gouverneur avec ma personne, ainsi que vous-même, vous devez avoir fort à faire ici et je me voudrai de vous déranger plus longtemps.

Il se mit à tousser, sa gorge était desséchée. La montée jusqu'à la villa du gouverneur l'avait épuisé et surtout assoiffé. Il fixa Vanina l'air penaud.

- Je suis vraiment navré mais... Auriez-vous quelque chose à boire ?