Voilà plusieurs semaines que la boulangerie d'Yvon est ouverte. Il est aux anges car les pains partent tellement vite, qu'il n'arrive plus à fournir! Tant et si bien qu'aujourd'hui il a été obligé de fermer de bonne heure par manque de marchandises. Il lui faudrait revoir sa façon de travailler et envisager de recruter quelqu'un pour l'aider, un jeune apprenti, par exemple, transmettre son savoir comme sa mère l'avait fait pour lui. Il aurait aussi besoin d'une autre personne au comptoir pour servir les clients pendant qu'il était au fournil...
Mais aujourd'hui, il ne voulait pas penser au travail qui l'avait accaparé depuis son arrivée à Glenia, il savourait ses premiers instants de liberté, et faire le tour du marché sans penser à ce qu'il devait acheter pour la boulangerie, sans dérouler la liste des choses à faire dans sa tête, était un luxe qu'il n'avait pas encore eu l'occasion d'étrenner.
Les étals regorgeaient de marchandises, que ce soient des denrées alimentaires variées, odorantes et colorées, en passant par les tissus chatoyants, les livres, les armes, les poteries... Yvon ne savait où donner du regard tant il y avait de nouvelles choses à découvrir.
Au-dessus du marché s'élevait, l'église de Glenia, imposante comme si elle surveillait son petit monde du haut de sa flèche. Yvon avait abandonné toute pratique religieuse, après tous ses malheurs, et ne comptait pas retourner à la messe pour le moment. Sa foi en Dieu avait été ébranlée, quand sa mère avait rendu son dernier soupir dans ses bras. Il ne voulait pas y penser, bien que parfois, dans les moments de doute à son arrivée, il avait eu envie de pousser la porte de l'édifice, mais il n'était pas encore prêt à faire la paix avec Dieu. Sa douleur était encore trop vive, s'il avait fait son deuil, le temps était son meilleur allié pour dompter son chagrin.
Petit à petit il faisait sa place à Glenia et il en était heureux, de nouveaux amis, une nouvelle ville, une nouvelle vie. Bien sûr il savait que le bonheur était précaire, mais il avait décidé de profiter de l'instant présent. Et pour l'instant il flânait dans les allées en admirant les étals sans arriver à rassasier ses yeux de toutes ces merveilles.
Il assista à la dispute entre une jeune demoiselle et un peintre qu'il avait déjà aperçu dans les rues de Glenia. Il rit sous cape en voyant la jeune femme qui avait un sacré tempérament se déshabiller et poursuivre l'artiste en l'invectivant. Décidément il avait bien fait de quitter son antre ce matin et il se réjouissait du spectacle!
Puis il se rendit chez sa marchande de fruits préférée, et lui acheta deux pommes qu'il fourra dans ses poches, pour aller les manger plus loin au calme. Il s'assit sur un muret, et dégusta le fruit en regardant les gens passer. Il lui faudrait bientôt retourner au travail, mais il savoura sa pomme tranquillement, sereinement.