L'arrivée dans sa vie de la petite boule de poil noire qu'il avait nommée Ashéara avait au moins un avantage dans la fonction de guerrier du jeune Naakti : en effet, Ashéara exigeait une attention toute particulière de sa part, l'obligeant ainsi à rester en ville plus souvent qu'à l'accoutumée, et, par conséquent, il était beaucoup plus assidu aux séances de conseil et participait aux tâches administratives. La paperasse, il n'aimait vraiment pas ça, mais il avait découvert qu'il était quasiment impossible de passer à côté. Devant la quantité de parchemins qu'il avait devant les yeux, il songeait avec un brin d'anxiété à celle que devait avoir à traiter le roi... et du coup cette position lui paraissait beaucoup moins attirante.

Un léger picotement aux orteils le ramena à la réalité. Ashéara était en train de faire ses crocs sur son pouce de pied. La petite panthère avait ouvert les yeux depuis deux semaines maintenant. Après un petit temps d'adaptation, elle avait fini par assimiler la présence du jeune Naakti à son odeur et aussi au fait qu'il la nourrissait. Il était devenu une mère de substitution en quelques sorte... Au début, Morwan transportait la jeune panthère dans son sac lorsqu'il se déplaçait, mais très vite, l'animal avait cherché à se déplacer par elle même. Après des débuts patauds, elle s'était très vite enhardie et avait rapidement commencé à gambader partout. Bien sûr, pas question de voir une petite boule de poils sauter partout en pleine séance de conseil, Morwan enfermait donc sa petite protégée dans une pièce vide avec une boule de bois autour de laquelle il avait enroulé une pelote de laine... Ashéara adorait ce jouet et passait des heures à tenter de mettre l'objet en pièce, mais pour l'heure, l'orteil du jeune homme semblait plus intéressant. Morwan la regarda avec un sourire en coin s'acharner sur cette partie de son anatomie avec ses petits crocs. Pour l'heure la morsure du jeune fauve n'était pas douloureuse, mais le temps viendrait bien vite ou, d'un coup de croc ou de griffe Ashéara pourrait lui causer de terrible blessures, autant lui faire comprendre rapidement qu'elle ne devait pas prendre cette habitude. Il fit un petit mouvement de jambe et la jeune panthère reçu sur le museau l'orteil qu'elle grignotait. Dans un petit gargouillis indigné elle s'éloigna et jeta son dévolu et ses petites griffes sur son jouet préféré.

Satisfait d'avoir momentanément sauvé son orteil, le jeune guerrier regarda par une des nombreuses fenêtres qui ornaient l'endroit. Le ciel était sombre d'épais nuages, un vent chaud soufflait en bourrasque annonciatrices sinon d'orage, au moins de pluie. Les dieux semblaient d'humeur plutôt moroses ces derniers temps, les pluies se succédaient gonflant le lit des rivières, le débit des cascades et transformant les sentiers forestiers en bourbiers. Morwan s'en rendait compte quand il allait se promener avec sa petite boule de poils, et il avait souvent envié la légèreté de l'animal qui la préservait d'un bain de boue forcé, encore que cet état de fait était somme toute assez relatif, et un bain s'avérait toujours nécessaire après leurs escapades. Morwan s'étonnait d'ailleurs du goût d'Ashéara pour les bains, et même quand elle n'en avait pas besoin, elle sautait dans l'eau chaude et pataugeait avec délice dans le liquide fumant.

Délaissant le parchemin qu'il lisait, il alla regarder par la fenêtre. Il voyait au loin des nuages d'un gris noir chargés d'éclairs s'approchant lentement de la ville, le verts lumineux de la cime des arbres encore illuminée d'un rai de soleil d'une fugace éclaircie tranchait de superbe façon avec la sombre annonce d'un orage. Un choc sur son talon lui annonça l'arrivée très prochaine d'Ashéara. Il se pencha pour la prendre dans ses bras et commença à la caresser. L'animal se mis rapidement à ronronner, un ronronnement puissant et sourd, un peu comme les grondements de l'orage qu'il voyait au loin. Sans qu'il ne sache pourquoi, la vue de cet orage le fit penser à sa confrontation avec les royaux rejetons. Comment Ensun avait-il évolué depuis sa défaite ? Elissa avait-elle écouté les paroles du jeune guerrier ou avait elle cédé à son amour fraternel ? Avait elle fini par comprendre que son attitude pouvait desservir son frère ? Avait-elle pardonné au jeune guerrier d'avoir fait mordre la poussière à Ensun ? Autant de question... et aucune réponse. De plus qu'y avait-il a attendre du prince en un mois ? Même en se donnant corps et âme à son entraînement, jamais il ne rattraperait son retard en aussi peu de temps. Tout au plus serait-il plus endurant... à condition d'avoir été impitoyable avec lui même.

- Pour le reste il nous faut nous en remettre au temps...