Ensun s’était finalement laissé convaincre par sa petite sœur. Celle-ci, pendant une petite partie de la matinée, s’était appliquée à obliger Ensun à se rendre au parc d’entraînement pour y travailler son art du combat. Le jeune homme, peu motivé pour porter les armes aujourd’hui, avait mis longtemps à dire oui. Mais le sourire d’Elissa était infaillible. Cette fille était capable de charmer Ensun sans même s’en rendre compte. Avec elle, le Prince était une véritable marionnette, sauf quand sa vie était mise en danger bien évidement. Dans ces cas là, Ensun devenait autoritaire et tentait de calmer sa sœur pour qu’elle ne fasse pas de bêtises qui pourraient lui couter la vie. Il devenait alors un véritable guerrier, capable d’exploit qu’il ne pourrait reproduire juste pour le plaisir. Sauver la vie de sa sœur était sans cesse une priorité pour lui, et elle n’était pas la seule concernée par cela. Le père et la mère d’Ensun étaient tout aussi précieux pour ce dernier. Il ne sait décrire l’amour qu’il a pour sa famille, mais celui-ci est est fort. Le jeune Prince se demanda alors s’il ferait passer sa famille ou le Royaume en priorité si les deux étaient en danger. Ignorant la réponse, il secoua nerveusement la tête alors qu’il venait à peine d’arriver au parc d’entraînement. Sans même s’en rendre compte, il s’était laissé guider par Elissa.

Le parc n’était pas très fréquenté. Ensun, petit joueur, s’amuser à compter le nombre de non-guerriers qui avaient eu le cran de venir s’entraîner en ce jour où le professeur est absent. Il ne compta que sept jeunes gens, dont une dizaine de guerrier accomplis déjà. Par jalousie sûrement Ensun préféra ignorer la présence de ses derniers, puis se dirigea vers le petit parc réservé aux élèves. Pour son plus grand malheur, les personnes présentes n’étaient pas des amis à lui, bien au contraire. Il y avait parmi les sept élèves deux jeunes arrogants qui prenaient un malin plaisir à provoquer Ensun. Depuis que le jeune Prince s’était vu dépasser niveau taille et force musculaire, il devait subir les incessantes moqueries de ses camarades. Ils connaissaient tous le point faible d’Ensun : la force. C’est pourquoi Ensun ne gagnait jamais ses combats comme Taros et Milan.

D’un geste de la main, Ensun arrêta sa sœur à la barrière, puis pénétra dans le parc d’entraînement. Il ignora les deux jeunes gens qui le saluaient avec arrogance, puis se saisit d’un bâton de bois. Sur quelques mannequins de fortune, il commença à s’entraîner, bien que cela soit moins efficace que contre une personne mouvante. Il ne voulait pas affronter les deux autres, surtout s’il sait qu’au bout, il n’obtiendra qu’humiliation. Cependant les deux arrogants furent vexés, et les ennuis commencèrent. Alors qu’Ensun allait frapper avec force contre le mannequin, il reçut un coup derrière la tête. Il poussa un cri de douleur, et, en se frottant la tête, se retourna pour connaître le responsable. Il ne fut pas surprit de voir Taros, un bâton épais comme le bras dans les mains.

-Non mais ça ne va pas la tête ? Tu m’as fait mal
-Pauvre fillette. Tu ne croyais tout de même pas qu’on allait te laisser dans ton coin ? Tu as écouté le professeur hier ? On progresse bien plus vite en affrontant de véritables adversaires. Moi je veux progresser. Alors j’ai besoin de toi. Ah oui ! J’avais oublié ! Avec toi, je vais plutôt finir chez les plus faibles ! ricana-t-il.
-Quand je serai roi, tu regretteras tes paroles Taros !
-Hum ?
-Tu m’as très bien entendu !
-Toi ? Roi ? Ce n’est pas parce que ton père est le Seigneur de notre peuple que tu vas le devenir toi aussi. Tu n’es qu’un moins que rien, à côté de lui. Je te parie qu’au prochain tournoi, tu seras le seul d’entre nous à ne pas être pris parmi les guerriers Naakti.

Pour Ensun, c’en était trop. Sans même prévenir son adversaire, Ensun lui asséna un coup de bâton dans le cou. Taros poussa un cri de douleur et s’écrasa au sol.

-Tu aurais pu me tuer en me frappant dans le cou !
-…

Taros se releva, rejetant brutalement l’aide de ses compagnons. Il se saisit de son épais bâton puis chargea Ensun. La colère d’Ensun était à son paroxysme, et il ne comptait pas en rester là. Taros méritait une bonne leçon, mais Ensun prenait d’énormes risques en provoquant ainsi l’un de ses camarades. Ce n’était pas noble. Cependant, le jeune homme était trop hors de lui pour songer aux conséquences de ses actes. Avec rapidité il contra l'attaque de son adversaire. L'entraînement commençait. Cependant le mot le plus approprié serait plutôt "Reglement de comptes".

Très satisfaite de la tournure des évênements, Elissa avait suivi Ensun, un petit sourire s'affichant sur ses lèvres roses. Enfin, son frère avait accepté d'aller s'entraîner. Ce n'était pas trop tôt ! Curieusement, le jeune homme ne montrait pas une très bonne volonté quand il s'agissait de croiser le fer. Il souhaitait devenir roi et faire honneur à leur père, mais n'avait en aucun cas envie de se battre pour obtenir ce privilège. Malheureusement, il n'avait guère le choix, et il avait légèrement tendance à oublier cela. Dans les cas où il ronchonnait et faisait preuve de mauvais de volonté, ce qui arrivait, vous l'aurez compris, très souvent, Elissa était la pour lui rappeler ce qu'il devait faire. Certes, elle n'était que sa petite soeur, mais elle avait un certain pouvoir de persuasion sur lui... Tant qu'il ne se montrait pas têtu et buté, elle parvenait à le convaincre d'aller s'entraîner. Pendant ce temps, l'adolescente allait au temple, allait se promener avec ses amis ou l'accompagnait parfois pour l'observer durant son entraînement. C'est ce qu'elle s'apprêtait à faire à ce moment la.

Lorsqu'ils arrivèrent enfin au parc d'entraînement et se dirigèrent vers les espaces réservés aux élèves, Ensun l'arrêta d'un simple geste de la main à la barrière. C'est sans protester une seule seconde que la princesse le laissa continuer seul, puis alla s'appuyer contre la barrière en saluant d'un simple signe de tête les compagnons d'arme de son frère. Elle n'avait pas vraiment le droit d'aller plus loin, l'espace étant réservé aux guerriers et plus généralement aux hommes souhaitant s'entraîner. Les femmes et les jeunes filles comme elle ne devaient pas s'aventurer sur le terrain, pour plusieurs raisons. D'abord, elles n'étaient généralement pas armées et pouvaient courir un danger, et surtout elles ne devaient pas troubler la concentration des hommes qui combattaient. Elissa se contenta donc d'observer les scènes de combat, accoudée à la barrière de bois. L'entraînement d'Ensun débuta comme tous les autres, à peu près normalement. Cependant, l'adolescente comprit rapidement que cela n'allait pas durer. En effet, elle vit arriver derrière lui deux jeunes hommes grands et bien bâtis, qui avaient déjà provoqué et humilié son frère à de nombreuses reprises. Elle l'avait entendu de la bouche d'un ami, et avait déjà été témoin de certains incidents. Ses réactions n'avaient pas toujours été bonnes. Tout le monde savait qu'Elissa était impulsive et n'avait pas sa langue dans sa poche. Si quelqu'un venait à s'en prendre à son frère aîné en sa présence, il allait de soi que l'adolescente allait réagir aussitôt. La fougue de la jeunesse...

L'intuition d'Elissa ne la trompa pas. Quelques secondes après qu'elle ait vu les deux jeunes hommes s'approcher d'Ensun, l'un d'entre eux lui donnait un coup derrière la tête, d'une manière fourbe et déloyale. La princesse étant seule de ce côté du parc, personne ne perçut le grognement qu'elle émit en observant la scène. Le mécontentement de la jeune fille ne tarda pas à monter en flèche, et elle fronça les sourcils, réprimant de toutes ses forces l'envie de les rejoindre qui la gagnait. Elle s'était faite de nombreuses fois réprimander pour ses réactions impulsives, la poussant à franchir la barrière sans tenir compte de sa sécurité et de celle des autres. Ainsi, plus personne ne s'étonnait de voir la princesse réagir au quart de tour sans réfléchir. C'était un défaut qu'elle tentait de corriger, mais souvent en vain. Ce coup-ci, Elissa se retint à temps, et elle regarda d'un oeil noir son frère riposter, puis le combat commencer. La manière dont les combattants croisait le fer n'avait rien d'amicale, et il ne fallut pas beaucoup de temps à l'adolescente pour le comprendre. La lutte entre les deux garçons semblait rude, et certains coups étaient bien plus violents qu'il ne l'aurait fallu. Cependant, la princesse se retint encore et ne bougea pas.

La goutte d'eau qui fit déborder le vase ne tarda cependant pas à venir. Une action de l'adversaire d'Ensun, un coup donné quasiment par derrière, n'échappa pas aux yeux d'Elissa, dont les yeux lancèrent des éclairs à la simple vue de la scène. Cette fois-ci, s'en était trop! S'appuyant grâce à sa main sur la barrière, la jeune fille la franchit d'un simple bond, et atterrit avec souplesse du côté du camp d'entraînement. A ce moment la, quelques garçons se retournèrent, intrigués. Ce n'était pas la première fois que la princesse pénétrait dans le camp, mais tous savaient qu'elle n'était pas censée le faire. Ainsi, certains jeunes présents s'arrêtèrent de combattre pour l'observer. Si une jeune femme violait les règles en pénétrant dans la zone de combat, elle devait avoir une raison intéressante et cela piqua la curiosité des garçons.

Après avoir franchi la barrière, Elissa regarda aux alentours, afin de vérifier qu'aucun guerrier adulte ne l'avait vu. Elle savait qu'on pouvait la réprimander pour ce geste, et ne tenait pas à ce que ses parents soient dans les parages lorsqu'elle s'interposerait entre les jeunes hommes. C'était bien entendu un geste imprudent et irréfléchi. Malheureusement, cela ressemblait aux situations dans lesquelles l'instinct de l'adolescente prenait le dessus sur la réflexion. Une fois certaine qu'aucun guerrier ne s'avançait vers elle pour la ramener à l'ordre, Elissa se dirigea à grandes enjambées vers le combat, et, voyant que les hostilités continuaient de plus belle, cria :

- Eh, vous deux! Nous sommes dans un parc d'entraînement, nul besoin de vous étriper ainsi !

La jeune fille parcourut en quelques enjambées la distance qui la séparait des jeunes gens, s'arrêtant tout de même à quelques mètres d'eux par mesure de précaution. Le regard qu'elle jeta à l'adversaire de son frère en disait long. Bien entendu, elle connaissait parfaitement Taros. Ils n'étaient pas énormément chez les naakti, et il était rare de croiser un inconnu. Dans ses souvenirs, le jeune homme avait toujours été arrogant et prétentieux. Il avait même maintes fois prétendu qu'il obtiendrait la main de la princesse et succéderait au roi des naakti. Cela faisait bien rire Elissa et la plupart de ses amies, qui ne le voyaient que comme ce qu'il était : un imbécile. En tout cas, il valait mieux qu'il cesse de s'en prendre à Ensun, car les représailles viendraient vite. La nature sociable de la princesse faisait qu'elle était amie avec à peu près tous les jeunes naakti qu'elle fréquentait. Beaucoup connaissaient Ensun, et savaient qu'il était un jeune homme formidable. Taros avait intérêt à cesser ses enfantillages, et vite.

Le conseil avait été suspendu pour permettre à chacun de prendre l'air et réfléchir aux débats qui venaient d'être fait. Fakhar tenait à cette liberté, à cette bouffée de liberté. Il partait du conseil en premier et prenait garde à ne jamais parler avec les autres guerriers. Aujourd'hui, son tigre l'attendait sur le seuil, la tête couchée sur ses pattes de devant. Il fit mine de ne pas voir le roi et quand ce dernier était assez loin, il bondit pour le rattraper en se frottant aux jambes de Fakhar. Celui-ci lui rendit ses signes d'affections par des caresses. Le soleil était haut dans le ciel et le jour était doux et paisible.
Il prit le chemin du terrain d'entraînement. Quand il se retrouvait ainsi seul, il y passait. On pouvait quelques fois voir le roi s'entrainer seul, mais il était souvent présent furtivement pour voir si son fils n'y serait pas. Sa déception était fréquente et le rendait ombrageux. Alors qu'il se dirigeait vers l'esplanade, son coeur s'emballa comme à chaque fois. Il aurait voulu y voir son fils et peut-être lui proposer un échange d'armes. Mais les quelques fois où il avait vu Ensun s'entrainer, il avait renoncé à le lui proposer.

Fakhar ne remarqua pas tout de suite qu'un incident anormal arrivait sur le parc d'entraînement, son tigre si et il feula. Le roi suivait toujours d'instinct les réactions du tigre et il se mit à courir avant même de savoir. La stupeur l'arrêta à la barrière. La colère montait en lui à une vitesse vertigineuse. Il ressentait à côté de lui le tigre en état d'alerte. Le visage du roi se fronça, les machoires et les poings serrés. Il sauta l'enclos, le tigre suivant toujours ses pas. A 5 mètres des jeunes gens, le tigre gronda mettant fin aux agitations et tous se tournèrent vers Fakhar. Celui-ci retenait sa colère du mieux qu'il put, faisant usage d'une voix froide et sans émotion pour se retenir d'hurler.

- Elissa. Sors d'ici immédiatement. Ta place n'est pas en ce lieu.

Il regarda les jeunes gens un à un, même sur son fils. Il ne voulait pas que les autres pensent qu'il avait droit à une surprotection. D'un autre côté, il restait son père et souhaitait être là pour lui.

- Taros, tu me déçois. Tes coups étaient maladroits et peu rythmés. J'ai remarqué que tu avais déserté l'entrainement depuis une bonne semaine. Je sais aussi que tu joues un peu trop dans les champs avec les jeunes filles.

Il attendit que tous soient partis. Son regard ne quittait pas Ensun. Comment devait-il agir avec le jeune homme ? Comment devait-il agir avec son fils ?

- Qu'as-tu à dire ?

Encore une fois, Fakhar renonçait à essayer de se rapprocher de lui. Il aurait voulu lui instruire lui-même l'art de la guerre. Mais il redoutait un refus de son fils, refus qui le laisserait triste sans doute.

- Qu'as-tu à dire ?
- Il...m’a… provoqué. Il a été trop loin en me ridiculisant devant ses amis ! Je n’ai pas pu résister à l’envie de le frapper ! Je ne suis pas faible ! Je ne veux pas l’être ! Je veux juste qu’on me respecte à ma juste valeur !

Dès que le regard de son père s’était posé sur lui, Ensun avait cherché à se justifier. Au fond de lui, il n’était pas très fier de ses agissements. Il n’était pas habitué à entrer en conflit avec l’un de ses camarades, mais lorsque cela arrivait, il était souvent incontrôlable. D’habitude, cela s’arrêtait à quelques paroles échangées. Là, ils en étaient venus à se battre entre eux, avec les risques de se blesser mutuellement. Ensun n’avait pas un seul instant songé aux conséquences de ses actes. Il avait oublié qu’il était fils de roi, fils d’un homme dont le sens de l’honneur n’a pas d’égal. En tort, il baissa le regard, retenant les tremblements de rage qui secouaient son corps. Par renonciation au défi peut-être, il lâcha le bâton qu’il tenait dans la main. Heureusement, ce dernier n’était pas tâché par le sang de l’adversaire qu’avait affronté Ensun, car ce dernier ne se le serait sûrement jamais pardonné. Bien qu’il ressente une profonde haine pour Taros, à aucun instant il n’avait souhaité sa mort. Il avait juste voulu lui donner une bonne leçon, lui prouver qu’il valait mieux que tous les jeunes élèves réunis. Mais sur ce plan là, il avait nettement échoué. En plus d’entraîner sa sœur dans cette histoire, il avait réussi à s’attirer la colère de son père.

- Je voulais qu’on me respecte…répéta-t-il, la gorge serrée. Je n'ai rien fait de mal.

Au lieu de reporter son regard sur son père, il posa ce dernier sur le tigre. De taille impressionnante, cet animal n’était pas vraiment celui vers lequel Ensun aimait se tourner pour résoudre ses problèmes. Alors il prit son courage à deux mains et leva les yeux. Son regard sombre se posa dans les deux émeraudes du roi. Il aurait voulu lui demander pardon, lui dire à quel point il était désolé d’avoir agi ainsi. Mais sa capacité à affronter les problèmes n’allait pas bien loin, et c’est ainsi que le père ne put qu’entendre le chant des oiseaux comme bruit de fond. Ensun n’était pas capable de parler à son père, de lui confier ses problèmes et ses craintes. Il se contentait de partiellement se soumettre à ses directives, se plaignant par la suite à Elissa. Mis à part quand ils partaient à la chasse, rien ne liait fortement le père et le fils. Ensun ne pouvait le nier : il avait pour seule crainte que son père ne soit pas fier de lui.

Alors que les jeunes hommes cessaient de se battre, Elissa ne perdit pas son air mécontent. Elle n'aimait pas voir son frère se battre ainsi, et entrer dans le jeu d'un pauvre imbécile qui n'attendait que cela : qu'il réagisse à ses provocations. La princesse ne pouvait cependant pas reprocher à son frère d'avoir voulu se défendre. Elle-même n'aurait jamais réussi à rester stoïque face aux actions de Taros. Elle aurait même sans aucun doute eu beaucoup moins de patience qu'Ensun... Ce qui, au final, lui aurait attiré de gros ennuis, chose pour laquelle elle était généralement assez douée.

Quoi qu'il en soit, Elissa recula de quelques pas, et observa quelques instants les visages des deux jeunes hommes. Soudain, elle vit le regard d'Ensun s'arrêter sur quelque chose au loin, et son visage se figer dans une expression peu joyeuse. La jeune fille allait se retourner, quand un rugissement retentit derrière elle. C'est lentement qu'Elissa se retourna, pour découvrir celui qu'elle n'aurait pas du tout voulu voir à l'instant présent : son père. L'expression qu'il avait, et la colère qu'on lisait son visage n'annonçaient rien de bon. L'adolescente se figea, attendant une quelconque réaction de la part de l'homme qui dirigeait les Naakti.

- Elissa. Sors d'ici immédiatement. Ta place n'est pas en ce lieu.

Sentant son visage rougir, Elissa hocha brièvement la tête, sans même chercher à protester. L'adolescente savait que face à son père, il était inutile d'essayer de contester ses décisions ou de désobéir. Il se montrerait dans tous les cas intraitable. L'humiliation de s'être fait surprendre au mauvais endroit la gagna, et c'est avec un visage légèrement coloré que la jeune fille fit demi-tour pour retourner à l'extérieur du parc, marchant sans se retourner. Elissa ne se risqua pas à poser les yeux sur celui qui l'avait d'autorité chassé de l'endroit. Elle savait ce qu'elle lirait sur son visage et dans son regard, et elle n'osait pas l'affronter. Du moins pas tout de suite.

En quelques pas, Elissa regagna la barrière, et la franchit en reposant enfin les yeux sur la scène qui se déroulait entre Ensun, Fakhar et Taros. Son père semblait être en pleine discussion avec Ensun, mais elle ne pouvait entendre ce qui se disait à une telle distance. En revanche, elle voyait sur le visage de son frère qu'il ne passait pas un moment particulièrement agréable. Durant quelques instants, la jeune fille se demanda si elle ne ferait pas mieux de regagner la maison ou le temple, mais elle abandonna l'idée bien vite. Elle avait promis à Ensun d'assister à son entraînement, et elle ne le laisserait pas seul. Tant que la discussion n'était pas terminée, la jeune fille ne bougerait pas. Cependant, elle resterait sagement derrière la barrière... Inutile d’aggraver son cas et d'envenimer la situation déjà délicate dans laquelle ils s'étaient fourrés.

Morwan revenait d'une cession d'entrainement matinal en forêt. Il avait été interrompu par un jeune puma qui avait essayé de l'attaquer, l'animal, encore trop jeune et inexpérimenté avait été rapidement mis en fuite par le jeune homme, qui avait été un peu déçu du manque d'esprit du jeune félin. Puis, après que le soleil fut monté bien haut dans le ciel, la faim poussa le guerrier à partir à la chasse. Après une bonne heure d'embuscade, et plusieurs biches grosses de quelques mois passées, il jeta son dévolu sur une jeune antilope, de celles qui foisonnaient dans ces bois. L'animal fut foudroyé par une flèche à tête d'obsidienne en plein cœur que le jeune guerrier s'empressa de récupérer et nettoyer avant de vider l'animal de son sang et ses viscères et de les laisser sur place. Un charognard ou un carnassier opportuniste en ferait son repas tôt ou tard. Il attacha les pattes de l'animal ensemble et le chargea sur son dos. Puis il reprit le chemin de la ville.

Après avoir marché pendant une heure environ, il arriva devant le camp d'entraînement. Là s'entraînaient les futurs guerriers Naakti, seuls les meilleurs pouvaient prétendre à ce titre, et ils étaient peu nombreux chaque années à sortir des rangs. Le camp d'entraînement était un endroit qui ne manquait que très rarement au jeune homme. Il s'entrainait le plus souvent en forêt, et mettait en pratique son entrainement au camp, lorsqu'il lui prenait l'envie de venir s'y battre. Il passait pour quelqu'un excentrique, déjà de part les couleurs qu'affichaient sa toge, et ensuite par le fait qu'il ai acquis ses réflexes et son niveau en négligeant le camp d'entraînement. Mais cette solitude au sein même des guerriers ne lui faisait ni chaud ni froid. Il servait son peuple à sa façon, c'est tout ce qui comptait pour lui.

Dans le camp d'entraînement régnait une étrange activité. Les jeunes s'étaient rassemblés dans un coin pour discuter en lançant des regard que la distance empêchait de décrire, en direction d'un endroit que le massif tronc d'un chêne dissimulait aux yeux de Morwan. Au fur et à mesure qu'il avançait en direction de la barrière, une chevelure flamboyante se dévoilait, ondulant au gré des bourrasques de vent. Intrigué, le jeune Naakti s'intéressa plus avant au propriétaire de ladite chevelure. Une fois l'arbre contourné, il s'aperçut que ces cheveux appartenaient à une jeune femme qui regardaient le camp d'entraînement et, plus particulièrement, la scène que l'imposant arbre avait caché au jeune guerrier : Le roi sermonnait son fils sur le terrain.

Morwan n'aurait pu dire que le spectacle était inhabituel. Sa présence aux abords dudit terrain l'était surement bien plus que celle du roi, mais il était suffisamment présent pour connaître l'identité du prince, et savoir que leurs domaines de prédilection étaient les mêmes : l'arc et le bâton. Par contre la jeune demoiselle qui ne perdait pas une miette de la discution des deux membres royaux était inconnue du jeune homme.

Et c'est bien dommage, se surprit-il à penser.

Na sachant guère de quoi il retournait, il décida de quérir des informations auprès de la personne la plus proche, à savoir la jeune femme aux cheveux de feu.

- Que s'est-il passé ici ?

Toujours appuyée contre la barrière du parc d'entraînement, Elissa observait avec attention la scène entre son père et son frère. Bien entendu, elle n'entendait rien, et elle ne pouvait deviner la tournure de leur discussion qu'en observant leurs réactions et les traits de leurs visages. Et encore, ils étaient trop éloignés pour qu'elle puisse en deviner tous les détails. Poussant un léger soupir de frustration, Elissa agrippa un peu plus la barrière, sans quitter du regard le petit groupe. Le fait qu'elle ne puisse pas suivre la conversation l'énervait au plus haut point. La jeune fille n'aimait pas être mise à l'écart, mais il lui fallait pourtant s'y résigner. L'idée de s'opposer au roi en retournant auprès d'eux était exclue. Elissa ne voulait même pas imaginer la réaction de son père si elle agissait ainsi.

Au bout de quelques minutes, l'adolescente, comprenant qu'elle n'apprendrait pas grand chose malgré ses efforts, balada son regard sur le parc d'entraînement. Ainsi, elle se contenterait d'attendre patiemment que la scène se termine. Cela ne se ferait pas sans difficulté, mais elle n'avait pas le choix. C'est lorsqu'elle quitta enfin des yeux la zone de combat qu'Elissa perçut un bruit, derrière elle. Quelqu'un approchait. Dans un geste vif, l'adolescente tourna la tête, pour se retrouver face à face avec un homme qui lui était totalement inconnu. Durant quelques secondes, la jeune fille le dévisagea. Un beau visage, de longs cheveux châtains... Et une carrure impressionnante. Le jeune homme la dépassait de plusieurs dizaines de centimètres ! La princesse ne se savait pas très grande, mais tout de même. Une fois l'effet de surprise passé, Elissa examina avec plus d'attention l'inconnu. Chose étrange, elle ne se souvenait pas de lui avoir déjà adressé la parole auparavant. Pourtant, la jeune fille était plutôt sociable, et assez bavarde. Elle ne manquait jamais une occasion de converser les personnes qu'elle croisait. Au vu de l'antilope que le jeune homme portait sur le dos, Elissa comprit qu'il n'était autre qu'un guerrier Naakti. Il n'était donc pas anodin qu'il se rende au parc d'entraînement, qu'il ne devait pas fréquenter régulièrement puisque la princesse n'avait aucun souvenir de lui.

C'est peu après son arrivée que le jeune homme ouvrit la bouche, s'adressant directement à Elissa.

- Que s'est-il passé ici ?

Réfléchissant quelques instants, Elissa fronça les sourcils. Ce jeune homme ne comptait tout de même pas intervenir dans les affaires du roi? La jeune fille abandonna bien vite cette idée. Comme d'habitude, elle tirait des conclusions bien rapidement, sans raison. Fort heureusement, la réflexion la faisait la plupart du temps changer d'avis, et prenait le-dessus sur son impulsivité. La plupart du temps. C'est sur un ton sans colère apparente que la jeune fille décida de répondre au jeune homme. Certes, la frustration qu'elle ressentait en se retenant d'intervenir dans la discussion d'Ensun et de son père donnait à sa voix un ton quelque peu agacé, mais il n'était pas adressé à l'inconnu.

- Une simple discussion entre un père et son fils, expliqua la jeune fille sans donner plus de détails. Le combat d'Ensun et de Taros était un peu trop hostile.

Elissa ne jugea pas utile d'en dire plus. Le jeune homme lui avait simplement demandé ce qu'il se passait, et elle n'avait en aucun cas l'envie de lui raconter ses histoires familiales en détail.

Que pouvait-il dire à son fils ? Ensun baissait le regard et n'était pas fier de lui. Fakhar le savait. Il le sentait. Lui qui trouvait facilement les mots justes pour remplir sa charge, avait du mal à communiquer avec son propre fils.

- Te faire respecter, dis-tu ? T'ai-je appris que le respect venait du maniement des armes ? Je ne crois pas. Pour être respecté, il faut agir au contraire de ce que tu as fait aujourd'hui. Taros est peut-être bon quand il s'agit de se battre, mais il a peu d'esprit. Un guerrier n'est pas seulement une force de frappe, mais une intelligence qui lui permet de ne pas frapper.

Parler le calma étrangement. Le roi savait également que la discussion ne passerait pas inaperçue. Son tigre le lui confirma en tournant la tête vers l'extérieur du parc d'entrainement : sa fille n'était sans doute plus seule.

- Je dois retourner au Conseil. Demain, aux premiers rayons du soleil, tu me rejoins ici. Je t'enseignerais un peu les armes. Si tu ne viens pas, je prendrais cela comme un refus de ma proposition. Tu es adulte. Tu devrais être capable de décider de ta vie.

Les chiens aboyaient, les oiseaux chantaient, mais Ensun n’entendait plus rien désormais, si ce n’est les paroles de son père. Il marchait de long en large, tournant, au moindre mouvement, les yeux vers ce dernier. Dans son angoisse exagérée, il s'arrêta et regarda sa tendre sœur. Elle embellissait de jour en jour. Il était clair qu’elle devenait peu à peu adulte, sans que le roux ardent de ses épais cheveux ne ternisse. Son envie de la protéger était sans limite, au point qu’il devenait surprotecteur avec cette dernière, lui enlevant cette liberté qu’elle chérissait tant. Par égoïsme sûrement, il préférait la voir en sécurité derrière des barreaux plutôt qu’en danger et libre. Ensun se refusait à la céder à un homme, quel qu’il soit. Il pouvait être guerrier ou artisan, maigre ou musclé, grand ou petit, cela ne changerait rien. Le jeune Prince ne voulait pas la voir dans les bras d’un homme qui pourrait lui briser le cœur, ou encore la manipuler. Elle était Princesse après tout. Elle était sa sœur, sa moitié. Lorsqu’Ensun vit un jeune homme aux côtés d’Elissa, il sentit son cœur se serrer, et la peur s’emparer de lui. Si son père n’avait pas été là pour lui donner des leçons de vie quant à ses agissements envers Taros, Ensun aurait sûrement agressé verbalement l’inconnu, lui demandant de s’éloigner sans faire d’histoires.

Ensun se décida enfin à répondre, estimant qu’il avait trop longtemps gardé le silence. C’était sa façon à lui de fuir, d’espérer ainsi retrouver la paix et de ne plus craindre de décevoir son père. Mais la technique ne marchant pas, il se décida à affronter la réalité, et surtout, à tenir compte des conseils de son père. Le jeune Prince finit par raisonner, se disant que les conseils d’un roi…étaient les plus sûrs et les plus fiables, surtout lorsqu’il s’agit de l’apprentissage guerrier. Il n’était sûrement pas devenu Roi de Naakti par hasard. Il avait fait ses preuves, il avait été choisi par le peuple. Ensun l’aimait. Il l’aimait au point de le craindre, de ne plus avoir confiance en ses propres capacités. Le jeune Prince se rapprocha de son père, contenant son soudain besoin d’affection. Ils avaient un public désormais, et le roi devait rester digne, n’est-ce pas ? Il sourit faiblement, ramassa son bâton puis se courba légèrement en signe de respect.

-Je viendrai... Parce que j’ai encore beaucoup... à apprendre. Si j’ai bien compris, je dois changer de comportement pour réaliser mes rêves. Le rang de guerrier ne tombera pas du ciel. J’espère…ne pas vous décevoir… le jour de l'Epreuve…

Il était terrifié. S’il venait à échouer de nouveau cette année, il ne se le pardonnerait sûrement jamais. Les paroles qu’il venait de prononcer, il ne savait si elles avaient été sincères ou simplement prononcées pour faire plaisir à son père. Il sentit son cœur se serrer, de culpabilité sûrement. Comment pouvait-il devenir guerrier en étant si sensible ? Discrètement il posa de nouveau son regard sur le « couple » que formaient sa sœur et l’inconnu. Il n’appréciait pas la présence de cet homme, ni sa beauté qui pouvait faire rêver quelques demoiselles d’ailleurs. Son regard s'assombrit.

Fakhar restait impassible, attendant la réaction de son fils. Avait-il conscience de ce que sa proposition signifiait ? Les anciens du Conseil le lui reprocheraient et il aurait à se justifier. Un roi Naakti, celui qui préside au choix des guerriers, a-t-il le droit de former lui-même son fils aux armes ?
Son fils, Ensun. Il ressemblait tant à sa femme. Doux, rêveur et libre. Mais aussi, terriblement instable. Il marchait en ce moment même de long en large, plus attentif à sa soeur qui attendait. Le jeune homme s'arrêta enfin et lui témoigna son respect.

-Je viendrai... Parce que j’ai encore beaucoup... à apprendre. Si j’ai bien compris, je dois changer de comportement pour réaliser mes rêves. Le rang de guerrier ne tombera pas du ciel. J’espère…ne pas vous décevoir… le jour de l'Epreuve…
- C'est un esprit vif et juste qui te rendra bon guerrier. Tu auras bien assez de mon entrainement. File d'ici, maintenant.

Se retenant de tout geste pouvait laisser soupçonner un lien avec son fils, Fakhar se détourna pour rejoindre le Conseil, accompagné d'Amilcar. La charge de roi ne lui pesait jamais autant que lorsqu'il se trouvait dans de telles situations. Qu'aurait fait un père ? Il n'avait pas la réponse, car le sien avait toujours été distant, très distant. Mais au moins se comprenaient-ils tous les deux.

Il reconnut de loin Morwan et fronça les sourcils. Il obliqua vers lui et rejoint rapidement sa fille. Le roi le salua d'un bref mouvement de tête.

- Morwan, je suis étonné de te trouver ici. Tu es guerrier depuis un an. Il y avait conseil aujourd'hui. La qualité de guerrier ne fait pas de toi un homme sans responsabilité. Bien au contraire. Tâche de t'en souvenir.

Sur ce il les quitta. Il était plus que temps de rejoindre le Conseil.

Morwan voyait Ensun au loin faire les cents pas en regardant dans sa direction et celle de la jeune femme. Peut être avait-il des vues sur elle, il était vrai qu'elle était très attirante et le jeune prince était à un âge ou on s'intéressait plus aux charmes des demoiselles qu'à l'apprentissage du métier de guerrier. Pour l'heure, la jeune demoiselle à la chevelure flamboyante restait muette. le guerrier, intrigué par ce silence, la regarda. Son regard croisa celui de sa voisine et son cœur rata un battement. Quels yeux magnifiques !! Un vert qui n'était pas sans rappeler la lumière vue à travers les feuillages, un vert apaisant, et pourtant siège d'un regard un peu inquisiteur. Curieuse sans doute, elle n'en répondit pas moins à la question posée quelques instants plus tôt.

- Une simple discussion entre un père et son fils, expliqua-t-elle sans donner plus de détails. Le combat d'Ensun et de Taros était un peu trop hostile.

Taros... qui était-ce déjà ? Un autre jeune élève sans doute, mais il en avait entendu parler pour une autre raison...Quelle était-elle déjà ? Faute ? Absence ? Bah de toute façon pour ce que ce nom lui importait, il se souviendrait bien assez tôt de pourquoi ce nom lui disait quelque chose, et l'oublierait sûrement dans la foulée.

- Hmmm... Hostile n'est-ce pas ?

Il resta pensif un petit instant, le regard fixé sur le groupe de jeunes qui discutaient en regardant le duo formé par le roi et le prince. Une bourrasque de vent fit onduler les cheveux de Morwan et de sa voisine sur la droite, mais dégagea aussi les visages des autres élèves. Le jeune guerrier cru lire du dédain et même de la haine sur certains des visages tournés vers les deux membres de la famille royale. Ce n'était pas bon du tout. Morwan fronça les sourcils. Il n'avait pas beaucoup fréquenté le camp d'entrainement mais n'avait jamais entretenu de rapports conflictuels avec ses camarades, les tensions au sein d'un groupe comme les guerriers Naakti n'étaient que source de problèmes. Ces tensions n'entraînaient qu'une formations de clans plus occupés à se tirer dans les jambes qu'à se préoccuper du peuple et de sa sécurité. Morwan préférait un climat de compétition dans un esprit de camaraderie, mais les clans ne le permettaient pas, pire, ils risquaient aussi de "contaminer" la population civile, risquant à tout moment de plonger la nation dans la guerre civile. Fort heureusement, le roi avait su éviter la formation de clans au sein des guerriers Naakti, sans doute avait-il les mêmes craintes que Morwan ? Mais ce spectacle ne présageait rien de bon, il allait falloir que les jeunes changent d'état d'esprit, à coup de bâton si nécessaire.
Sa réflexion avait fait naitre quelques plis sur le front de Morwan. Il garder un œil sur les entraînements des nouveaux, bien que ce n'était pas une de ses tâches. Il se promis qu'il passerait plus régulièrement faire un tour sur le terrain, mieux valait étouffer dans l'œuf cette tension qui naissait.
Un mouvement à sa gauche lui fit tourner la tête. Le roi venait à leur rencontre, les sourcils froncés. Morwan jeta un bref regard à sa voisine, après qui le roi en avait-il ? après lui ou après la demoiselle ? Il serait bientôt fixé, le roi approchait d'un pas vif, son tigre sur les talons. Morwan aimait bien le tigre du roi, et espérait bien pouvoir un jour avoir une panthère pour le suivre aussi fidèlement que l'imposant félin rayé qui était toujours dans le sillage du roi. A l'approche de son souverain, Morwan s'inclina profondément, le poing droit serré sur son cœur. Aucun mouvement à côté de lui indiqua que la demoiselle en avait fait de même... l'inconnue risquait fort de subir les foudres royales...

- Morwan, je suis étonné de te trouver ici. Tu es guerrier depuis un an. Il y avait conseil aujourd'hui. La qualité de guerrier ne fait pas de toi un homme sans responsabilité. Bien au contraire. Tâche de t'en souvenir.

Aïe !! Le conseil ! Morwan l'avait manqué. Ce n'était pas la première fois, comme le roi ne manqua pas de le souligner, juste la deuxième. Il fit une grimace avant de se redresser. Le roi avait déjà disparu. Le conseil dérangeait les habitudes matinales du guerrier qu'il était devenu, et surtout concernant son entraînement. Ces habitudes étaient si profondément encrées en lui qu'il n'avait plus besoin du coq pour se réveiller. Par contre, comme il s'arrêtait de s'entraîner quand son ventre lui rappelait qu'il n'avait rien mangé, il s'était déjà fait avoir une fois et s'était fait vertement réprimandé par le roi. Peut être le roi avait-il comprit quel type de personne était le jeune Naakti et s'était contenté d'une tape sur les doigts pour lui rappeler qu'il avait les charges comprises dans sa fonction à assumer. Les mises en boîte royales n'effrayaient pas Morwan, elle lui faisaient ni chaud ni froid car il estimait que celles de son roi étaient justifiées, et, vu qu'un poste de roi ne le dérangerait pas dans l'absolu, il se devait de faire la meilleur impression possible. Quel roi serait-il s'il manquait une seule de ses obligations ? Un bien piètre sans doute, et tel n'était pas son souhait, il voulait servir son peuple le mieux possible.

- Notre Roi est un grand homme. Je suis très souvent surpris du nombre de tâches qu'il réussi à accomplir, sans faillir quelles que soient les circonstances.

Si j'avais été à sa place, je n'aurais sans doute pas eu la même capacité de travail que lui, pensa Morwan, les yeux toujours posés sur le duo Roi/tigre.

- Mais je me demande s'il a encore du temps à accorder à sa famille, vu son implication dans le bien être de notre peuple, ajouta-t-il, presque pour lui.

Après lui avoir expliqué rapidement la situation, Elissa avait détourné le regard, pour le poser une fois de plus sur le groupe. La frustration que lui imposait l'obligation de ne pas bouger était à son comble, mais l'adolescente la contenait du mieux qu'elle pouvait. En se concentrant sur le jeune homme qui l'accompagnait, par exemple. La jeune princesse ne s'était jamais réellement intéressée aux hommes. De toute manière, le caractère surprotecteur de son frère l'empêchait généralement de les fréquenter... Ce qu'elle n'avait jamais eu ne pouvait pas lui manquer. Bien entendu, elle ne pouvait pas prétendre être totalement indifférente aux charmes des guerriers naakti, car les jeunes filles qu'elle connaissait en faisaient souvent l'éloge et qu'elle les observait parfois de loin avec elles, mais l'amour et le mariage restaient des choses qu'elle voyait dans un futur plus ou moins lointain. Le jour où Ensun l'abandonnerait dans les bras d'un autre homme n'était pas encore arrivé!

En parlant d'Ensun... Elissa ne manqua pas de remarquer les coups d'oeil furtifs qu'il lui lançait, tout en écoutant d'une manière plus ou moins attentive le roi lui parler. Même à une telle distance, la jeune fille pouvait presque sentir la désapprobation dans son regard, qui fusillait littéralement son voisin. Bien entendu, cela n'étonna pas beaucoup Elissa. Il faut dire qu'elle avait l'habitude d'être couvée et protégée par son frère. L'absence de réaction de sa part l'aurait sans aucun doute surprise. D'ordinaire, la manière dont réagissait Ensun face à d'éventuels prétendants ne la gênait pas. Au contraire, elle faisait même parfois naître un sourire amusé sur son visage, tant elle était exagérée. Pourtant, une pointe d'agacement vint effleurer l'esprit de la princesse. Pour une fois, elle aurait aimé pouvoir discuter tranquillement avec un jeune homme sans que son garde du corps attitré ne rapplique immédiatement. Ce qu'il n'allait pas tarder à faire, bien entendu.

Lorsque son père fit enfin demi-tour, ce fut pour se diriger vers la barrière, derrière laquelle se trouvaient encore Elissa et le guerrier, donc elle ignorait encore le nom. Lorsqu'il arriva à leur hauteur, la jeune fille ne bougea pas d'un poil, attendant avec une certaine appréhension ses prochaines paroles. Allait-il la réprimander une fois de plus pour son attitude imprudente? A son grand soulagement, il n'en fit rien, et se contenta d'adresser la parole au jeune homme brun se trouvant à ses côtés.

- Morwan, je suis étonné de te trouver ici. Tu es guerrier depuis un an. Il y avait conseil aujourd'hui. La qualité de guerrier ne fait pas de toi un homme sans responsabilité. Bien au contraire. Tâche de t'en souvenir.

C'est sans dire un mot de plus que le roi s'éloigna d'eux, laissant Elissa et Morwan derrière lui. Que ça soit pendant ou après son passage, la jeune fille ne trouva absolument rien à dire. Elle savait qu'il était occupé, et qu'il devait en toute hâte rejoindre le conseil. Si elle voulait lui parler, ce n'était pas le moment de le faire. De plus, c'était au guerrier que ses paroles s'adressaient. Et elles n'avaient pas été prononcées dans le but de complimenter le jeune homme. Ainsi, la première intuition d'Elissa était confirmée : Morwan devait être un solitaire, se tenant souvent à l'écart de l'agitation de la ville. Quoi qu'il en soit, manquer un conseil n'était certainement pas la meilleure chose à faire!

- Notre Roi est un grand homme. Je suis très souvent surpris du nombre de tâches qu'il réussi à accomplir, sans faillir quelles que soient les circonstances.

Esquissant un léger sourire, Elissa observa la silhouette de son paternel s'éloigner au loin, puis tourna la tête vers Morwan. Il n'avait fait qu'exprimer à voix haute l'admiration que la princesse avait pour le roi, mais qu'elle n'évoquait jamais devant lui. La jeune fille ne se confiait que très rarement à son père, et lui n'avait pas souvent le temps de l'écouter. Mais elle l'aimait, et était fière d'être son enfant, même si ce n'était pas facile tous les jours.

- Les grands hommes ne doivent pas faillir. Ils ont bien mieux à faire... S'occuper de leur peuple, par exemple. Et notre Roi le fait très bien, murmura Elissa, plus à elle-même qu'à son interlocuteur.

- Mais je me demande s'il a encore du temps à accorder à sa famille, vu son implication dans le bien être de notre peuple.

Cette simple phrase, qui ne semblait pas s'adresser directement à la princesse, eut tout de même le don de l'intriguer, et la réaction ne se fit pas attendre. Elissa fronça les sourcils, tout en posant ses yeux verts sur Morwan. Certes, Fakhar n'avait pas énormément de temps à leur consacrer, et il en allait de même pour Sheelah, mais ils comprenaient... Ensun et elle n'étaient plus des enfants. L'époque où les deux enfants tentaient vainement de comprendre pourquoi leurs parents travaillaient autant était révolue.

- Ce n'est pas parce qu'il s'implique beaucoup dans ses fonctions qu'il ne s'occupe pas de sa famille, répondit la jeune fille assez fermement. Il le fait, à sa manière.

Après avoir plongé ses yeux dans ceux du jeune homme, Elissa détourna le regard, le posant une fois de plus sur Ensun. Leur père étant parti, celui-ci n'allait certainement pas tarder à arriver et à les interrompre.

Ensun aurait voulu que son père agisse autrement. Il aurait souhaité qu’il le prenne dans ses bras, qu’il lui murmure quelques encouragements à l’oreille, comme lorsqu’il n’était qu’un petit garçon de six ans à peine. Cependant, le jeune homme savait qu’il ne pouvait pas exiger cela de la part de son père, notamment après s’être fait remarqué, et devant un large public ! Désormais, quelques guerriers et surtout l’ensemble des élèves étaient au courant des différents qui opposaient Taros et Ensun. Pour retrouver son honneur perdu, et surtout l’estime de ses camarades, le jeune Prince n’avait qu’une chose à faire : leur prouver sa valeur. Pour cela, il lui fallait s’entraîner, ne jamais ménager ses efforts. Il voulait démontrer qu’il n’était pas celui en tort dans cette histoire, et ainsi acquérir une réputation qui pourrait lui permettre d’accéder au rang de guerrier, qui sait ? Il s’imagina alors les dures journées de labeur : c’était clairement hors de sa portée. Il manquait encore de volonté et de cran. Il n’avait plus qu’à espérer que son père se montre assez ferme lors de l’entraînement, pour qu’enfin il puisse acquérir cette force de caractère qui pourrait faire de lui un grand guerrier Naakti.

Lorsque son père partit, Ensun ne le lâcha pas des yeux. Il le vit se diriger temporairement en direction du « couple » qui s’était formé plus loin. Après quelques paroles échangées, il partit définitivement, sans même se retourner. Il avait visiblement une journée chargée, et peu de temps à accorder à ses enfants. Ensun s’y était habitué, alors quand le Roi lui avait proposé de venir à l’aube du lendemain, le Prince avait eu du mal à en croire ses oreilles. Par respect il avait accepté. Par crainte, il aurait pris ses jambes à son cou, malgré l’immense plaisir qui l’avait envahi.

Sans plus de façons, Ensun se dirigea en toute hâte en direction de sa tendre sœur. Il n’appréciait pas de la voir en compagnie d’un homme, surtout lorsque ce dernier était loin d’être laid. Sans même saluer le guerrier, Ensun planta ses yeux sombres dans ceux de sa sœur. Ainsi, il put lui faire comprendre sa désapprobation. Cela faisait bien plusieurs années qu’il se comportait ainsi, en présence d’un homme. Elissa devait sûrement être habituée, et Ensun en avait oublié qu’il étouffait sa sœur, en agissant de cette manière. Mais comme il l’avait dit plutôt, il préférait voir sa sœur en cage et en sécurité, plutôt que libre et en danger.

-Ne devrais-tu pas rejoindre les prêtresses, au lieu de rester ici, Elissa ? Déjà que père s’est mis en colère lorsqu’il t’a vu dans le coin. Il ne faudrait pas que tu te fasses de nouveau remarquer, tu ne crois pas ? Je suis désolé de t'avoir entraîné dans cette histoire, je ne m'étais pas attendu à ce que Taros soit présent.

En vérité, ce n’était rien d’autre qu’un prétexte pour pousser Elissa à quitter les lieux. Il savait bien évidement que l’heure de la prière était dans longtemps. Il espérait silencieusement qu’elle ne proteste pas, et qu’elle quitte les lieux au plus, sans ce type à ses côtés pour la suivre comme un vulgaire petit chien. La colère pouvait se lire dans les yeux du jeune Prince, mais bien décidé à protéger sa petite sœur, il ne tenait plus vraiment compte de ce que lui avait enseigné son père, quelques instants plus tôt. Il ne montrait pour le moment aucune attitude agressive. Par contre, son hostilité, quiconque pouvait la lire sur son visage, même l’enfant du coin.

- Ce n'est pas parce qu'il s'implique beaucoup dans ses fonctions qu'il ne s'occupe pas de sa famille, répondit la jeune fille d'une manière assez abrupte. Il le fait, à sa manière.

Cette phrase alluma un signal d'alarme dans l'esprit du jeune guerrier, comment la demoiselle pouvait elle affirmer cela autrement qu'en étant une proche de la famille royale ? Et si tel était le cas, à quel niveau en était-elle proche? Famille, amie, servante ? En tournant la tête vers sa voisine, il croisa son regard et y fut de nouveau happé, jusqu'à ce qu'elle décide de mettre fin à cet échange visuel. Elle concentra son attention sur droit devant elle, au contraire de Morwan, qui resta quelques instants pour la regarder, essayant de déceler quelque chose qui pourrait trahir son identité. Ce faisant, il remarqua qu'en plus d'avoir de très beaux yeux et un joli visage, la demoiselle était très bien proportionnée, elle devait faire tourner bien des têtes parmi les jeunes hommes.
Un mouvement sur sa gauche lui fit tourner la tête. Ensun arrivait à grandes enjambées, un air franchement réprobateur sur le visage. Ceci sembla vouloir confirmer l'hypothèse du guerrier concernant un certain penchant du prince vis à vis de la demoiselle à la flamboyante chevelure. Il ne salua même pas Morwan. Prince ou pas, il n'était qu'un novice, ce qui plaçait Morwan, en tant que guerrier, à un niveau supérieur à celui du membre de la famille royale. Morwan lui rendit donc la politesse en ne le saluant pas, d'autant plus que le jeune novice s'adressa directement à la demoiselle.

-Ne devrais-tu pas rejoindre les prêtresses, au lieu de rester ici, Elissa ? Déjà que père s’est mis en colère lorsqu’il t’a vu dans le coin. Il ne faudrait pas que tu te fasses de nouveau remarquer, tu ne crois pas ? Je suis désolé de t'avoir entraîné dans cette histoire, je ne m'étais pas attendu à ce que Taros soit présent.

Elissa... Elissa ? Elissa Alkahin, la sœur donc du jeune prince qui ne la quittait pas des yeux ? Morwan écarquilla pas les yeux mais il senti que son cœur avait manqué plusieurs battements, depuis qu'il était autour du camp d'entraînement, il était en compagnie de la fille du roi, ni plus, ni moins. Voilà pourquoi elle avait pratiquement pris la mouche quand le jeune guerrier s'était interrogé sur la vie familiale du roi, voilà aussi sans doute pourquoi le roi n'avait rien dit à la jeune fille, il pourrait toujours la tancer d'importance le soir même. La première question qui suivit cette révélation dans la tête de Morwan fut : De quoi j'ai l'air moi ? et la seconde fut : je me demande à quoi peut ressembler leur mère ?
Ensuite il se rendis compte que l'hostilité présente sur le visage du jeune prince lui était destinée. Il fronça les sourcils. Le prince était-il jaloux ? De quoi ? Morwan trouvait certes sa sœur très séduisante, mais il ne lui était pas encore venu à l'esprit l'idée de la séduire, et quand bien même, ses connaissances en la matière auraient fait rire la plus complète ingénue. Les domaines du sentimental et du spirituel échappaient complètement au jeune homme, ayant passé plus des deux tiers de sa vie en forêt il n'avait eu aucune approche de ces deux choses. Ensun ne risquait donc pas de voir sa sœur tomber dans les hypothétiques filets de Morwan.
Ceci dit, le jeune guerrier n'appréciait que très modérément qu'Ensun fasse preuve d'une telle hostilité. Grâce à sa décision de surveiller étroitement les entraînements, il pourrait voir si ce phénomène était récurent, et si tel était le cas, il ne se gênerait pas pour s'opposer à l'accession du jeune prince au titre de guerrier. Une telle attitude était dangereuse, autant pour lui que pour les autres, et Morwan ne voulait pas que le grain de sable responsable de la destruction des rouages sur lesquels reposait le bonheur du peuple soit un jeune écervelé trop prompt à s'énerver. Il resserra son emprise sur son bâton, prêt à l'utiliser si nécessaire mais ne répondit à l'attitude hostile du prince que par son habituel silence et une attitude neutre.

Comme elle l'avait prévu, l'hypothèse à laquelle avait songé Elissa quelques minutes plus tôt ne tarda pas à se réaliser, et Ensun se dirigea rapidement vers eux. Son air furieux lui donnait une démarche rapide, et ses foulées semblaient bien plus grandes que d'habitude. Toujours derrière la barrière en compagnie de Morwan, la princesse regarda le jeune homme fondre sur eux, tel un fauve protégeant ses petits d'une éventuelle attaque. Ceci, elle l'avait parié : Ensun ne l'aurait certainement pas laissé en compagnie d'un jeune homme, quel qu'il soit. Visiblement, il voyait celui-ci comme une menace éventuelle pour sa petite soeur. Pourtant, Elissa n'avait pas du tout le même avis. Certes, elle ne le connaissait pas, mais elle ne pouvait pas nier le fait qu'il était assez beau, et surtout peu dérangeant. La jeune fille était de celles qui ne supportaient pas les jeunes arrogants, qui paradaient sans arrêt sur le camp d'entraînement. Leur manière de se mettre sans cesse en valeur et de faire les fiers l'insupportait, et elle préférait en rire. Morwan semblait être quelqu'un de plus discret. Ainsi, le jeune homme avait réussi à attiser l'insatiable curiosité d'Elissa.

Lorsqu'Ensun arriva jusqu'à eux, ce qui ne prit finalement pas beaucoup de temps, étant donné l'allure qu'il avait adopté, c'est sans aucune manière qu'il se planta devant eux, un air franchement agacé sur le visage. Le regard sombre et empli de colère qu'il jeta à Elissa ne la surprit pas, puisqu'il était finalement assez familier. Ensun lui jetait toujours ce regard, quand il tentait de l'éloigner de quelques jeunes hommes l'ayant approché de trop prés. En temps normal, la jeune fille, même si elle n'appréciait pas l'autorité qu'employait son frère aîné, ne discutait pas. Elle n'avait en réalité jamais rencontré de garçon qui vaille la peine qu'elle s'oppose à Ensun. Après tout, il ne voulait que son bonheur, elle en était convaincue. Cependant, il n'en serait pas toujours ainsi, et la princesse n'ignorait pas qu'un jour, un conflit naîtrait entre eux à ce sujet. Si son frère la privait de sa liberté en l'empêchant de faire ce que faisaient toutes les femmes naakti, c'est-à-dire d'épouser celui qu'elle considérerait comme son amour, la réaction d'Elissa serait explosive. Fort heureusement, ce jour n'était pas encore arrivé...

- Ne devrais-tu pas rejoindre les prêtresses, au lieu de rester ici, Elissa ? Déjà que père s’est mis en colère lorsqu’il t’a vu dans le coin. Il ne faudrait pas que tu te fasses de nouveau remarquer, tu ne crois pas ? Je suis désolé de t'avoir entraîné dans cette histoire, je ne m'étais pas attendu à ce que Taros soit présent.

Elissa s'était attendue à une telle réaction de la part d'Ensun, aussi, elle ne s'énerva pas. La jeune fille savait parfaitement qu'il était inutile de le faire : Son frère était bien trop possessif pour la laisser faire ce qu'elle voulait. Quant à ses excuses, elle les accepta sans trop de problèmes. De toute manière, elle se fourrait généralement elle-même dans des situations incroyables grâce à son imprudence, alors elle avait l'habitude des représailles paternelles. De plus, elle adorait Ensun, et était depuis toujours incapable de lui en vouloir pour quoi que ce soit. Cet imbécile de Taros n'avait qu'à rester à sa place, au lieu de provoquer inutilement le fils d'un roi.

La suggestion que lui fit Ensun, qui s'apparentait en réalité plus à une demande voire à un ordre, n'emballa pas plus que ça la princesse. Elle était déjà allé au temple le matin même, et les prochaines prières n'auraient lieu que plus tard dans la journée. Toutes ses amies, apprenties prêtresses comme elle, devaient être rentrées chez elles pour se reposer et manger un peu. Elle n'avait pas réellement envie d'aller prier. De plus, même si la jeune fille n'en était pas du tout consciente, un espèce de mélange d'attirance et de curiosité la poussait à rester. Morwan l'intriguait. Il ne semblait pas être comme les jeunes hommes que fréquentait parfois Elissa, quand Ensun n'était pas la... D'ailleurs, il semblait plus vieux : Une vingtaine d'années environ.

- Tu n'es pas très poli, Ensun, répondit-elle du tac au tac, éludant ainsi l'idée de rejoindre le temple. Il me semble que père ne t'as pas appris à engager une conversation avec quelqu'un de cette manière.

Elle observa quelques instants Morwan, et lui adressa un petit sourire.

- Morwan, c'est ça? Je m'appelle Elissa, et lui Ensun.

En s'adressant de cette manière au guerrier, Elissa espérait calmer le jeu, mais également empêcher Ensun de l'envoyer sans plus attendre au temple.

Ensun ne s’attendait pas à cette réponse de la part d’Elissa. Il avait espéré que sans protester, elle se rendrait au temple pour y prier, même si cela devait se faire un peu à l’avance. Il avait espéré être écouté, être compris de sa petite sœur. Mais cette fois, il eut l’impression de recevoir un poignard en plein cœur. Elissa venait de le reprendre sur le plan comportemental, et Ensun n’apprécia pas cette nouvelle attitude. Il lui en voulut pour avoir osé dire ça en la présence d’un étranger. Sans vraiment s’en rendre compte, Elissa avait clairement humilié son grand frère, et devant un public peu conseillé qui plus est. Il se mordit les lèvres puis détourna son regard pendant que sa petite sœur les présentait. Son orgueil venait de prendre un sacré coup.

Il ne se décida que bien plus tard à regarder le guerrier qui lui était inconnu. Ensun passait plus ou moins de temps au parc d’entraînement. Jaloux de ceux qui avaient eu la chance d’être pris dans le groupe des guerriers Naakti, jamais il n’avait été voir ses « futurs » compagnons s’entraîner. Jamais. Il n’était pourtant pas bête, et savait que l’entraînement de ses aînés pouvait lui apporter beaucoup. Alors pour ne pas rester chez les amateurs jusqu’à ses vieux jours, il suivait son père à la chasse ou, dans la discrétion la plus totale, l’espionnait pendant ces rares entraînements. Il avait beaucoup appris de lui, mais jamais il ne l’avait remercié. Jeune et libre, il était sensible aux reproches que lui faisaient son entourage, d’où le mal-être du Jeune Prince depuis qu’Elissa avait osé critiquer sa façon de se comporter avec les inconnus. Bien sûr que le roi lui avait appris les bonnes manières ! Mais il fallait que la volonté y soit !

D’une voix plutôt neutre, il se décida enfin à déclarer :

-Enchanté, guerrier Naakti. Ma sœur n’a pas daigné me donner votre nom complet. Quel est-il ?

Il avait fait un effort pour paraître poli. Certes il avait mal pris les propos d’Elissa, mais il n’était pas méchant, au fond. Il manquait juste de retenue, appréciait trop la liberté, et surtout, ne savait contenir ses sentiments, même dans les situations qui l’exigeaient. Si au moins il pouvait remonter dans l’estime de sa famille, ne serait-ce qu’en ce jour…Le regard du Prince se posa alors sur le bâton que tenait l’inconnu dans ses mains. Il était plus épais et plus long que celui qu’Ensun avait utilisé à l’entraînement. Normal en vérité : Ensun n’avait pas pris son propre bâton, ne s’attendant pas à s’entraîner aujourd’hui. Alors il avait emprunté les bâtons fournis par « l’école ». Mais cela ne changeait pas grand-chose. Le bâton d’Ensun était de même longueur, mais loin d’égaler l’épaisseur de celui de l’inconnu. Cela changeait-il quelque chose en combat réel ? Le jeune Prince aurait voulu le savoir, mais pour l’heure, Fakhar lui avait demandé de filer d’ici au plus vite.
C’est alors qu’Ensun s’adressa de nouveau à sa sœur :

-Tu le connais depuis quand … ? marmonna-t-il. Tu sais très bien ce que j’en pense, de tout ça. Alors fais-moi plaisir…

Les sourcils toujours froncés Morwan n'avait pas bougé d'un pouce, dardant toujours sur le jeune impudent princier un regard dur. Sa jeune sœur répliqua pourtant du tac au tac quelque chose qui fit s'agrandir les yeux d'Ensun. A vrai dire Morwan ne s'y attendait pas non plus, même s'il ne s'attendait pas à grand chose de précis.

- Tu n'es pas très poli, Ensun. Il me semble que père ne t'as pas appris à engager une conversation avec quelqu'un de cette manière.

Se sentant observé par la demoiselle, il tourna vers elle ses yeux gris. Il se senti encore une fois happé par le regard couleur émeraude de la rouquine princesse. Bien que l'expérience ne soit pas désagréable du tout, il se demanda pourquoi il sombrait si facilement dans le regard de la demoiselle, et cet état de fait l'énerva un peu, bien qu'il n'en montre rien. Il répondit néanmoins au sourire de la fille Alkahin.

- Morwan, c'est ça? Je m'appelle Elissa, et lui Ensun.

Morwan connaissait Ensun pour l'avoir déjà vu au camp d'entraînement une des rares fois ou il s'y était présenté. Ce dernier ne semblait pas partager l'enthousiasme de sa sœur à l'idée de faire plus ample connaissance avec le jeune guerrier Naakti. D'un ton neutre il déclara tout de même :

-Enchanté, guerrier Naakti. Ma sœur n’a pas daigné me donner votre nom complet. Quel est-il ?
- Je me nomme Morwan Drustan, guerrier Naakti depuis un an, c'est un honneur de pouvoir vous parler, prince Ensun et princesse Elissa...
... mais je ne peux pas dire que je suis enchanté après le regard que vous m'avez adressé, jeune impudent, pensa le jeune homme, toujours dissimulant ses pensées sous un masque d'impassibilité.

De fait Morwan n'aimait pas du tout être hypocrite. C'était certes un honneur de pouvoir s'adresser à deux membres de la famille royale, mais l'enchantement de Morwan ne pouvait s'adresser qu'à l'un des deux descendants royaux, à savoir la princesse Elissa. Il n'aimait vraiment pas l'attitude du prince, mais alors pas du tout.

-Tu le connais depuis quand … ? Tu sais très bien ce que j’en pense, de tout ça. Alors fais-moi plaisir...

L'oreille entraînée de Morwan avait saisi cette phrase qui n'était sans doute destinée qu'à le jeune demoiselle. Une parfaite attitude d'enfant gâté. Morwan ne savait rien de l'enfance des deux enfants royaux, mais l'attitude d'Ensun ne montrait en rien un futur guerrier, et surtout pas un futur roi. Il n'était pas près à souffrir pour obtenir ce qu'il voulait, il n'était pas près à souffrir non seulement dans sa chair mais aussi dans son être. La voie pour devenir un guerrier Naakti était longue et douloureuse, les cicatrices que Morwan avait eues ne se comptaient plus, bon nombre avaient maintenant disparues, les plus douloureuses étaient restées, mais il avait aussi souffert dans son être, il avait affronté la mort, l'avait vue lui prendre des êtres chers. Que s'imaginait-il ce jeune ignorant ? "Fais moi plaisir..." ? Mais qu'est-ce que c'est que ça ? Un vrai guerrier n'aurait jamais dit ça... Allait-on dire à sa proie "Fais moi plaisir et reste immobile en attendant la mort" ? Allait-on dire à un ennemi "fais moi plaisir ne te défends pas et laisse toi tuer" ? A son peuple "Soyez gentil et mourrez de faim en silence en me laissant m'empiffrer" ?

Non, dans l'état actuel des choses, jamais il ne deviendrait un guerrier, et, à plus longue échéance, un roi. Certes, il était encore jeune, il changerait sûrement, il le devait. Le roi devait sans doute se ronger les sangs vis à vis de son fils quand il avait le temps d'y penser. Comment l'amener à changer par lui même, pour ancrer ces changements en lui ? Morwan à vrai dire ne s'en préoccupait pas - pourquoi aider un novice plus qu'un autre ? - il pourrait toujours s'opposer à son ascension, et était sûr d'être suivit par quelques hommes qui partageaient ses opinions vis à vis du rôle de guerrier et des valeurs nécessaires pour cela. Même si aujourd'hui il était un très mauvais exemple pour avoir manqué le conseil pour la deuxième fois en un an...
Ces pensées, Morwan les dissimula elles aussi, il était très doué pour ça. Après tout en forêt il n'y avait personne pour voir les mimiques, et un simple battement de cils pouvait vous faire repérer par votre proie ou votre prédateur. Il se contenta donc d'être spectateur, et laissa les deux enfants royaux régler leurs problèmes. Si la situation s'envenimait, il pourrait toujours imposer sa médiation, à coup de bâtons sur le jeune prince si nécessaire, le guerrier pensait en effet que le plus dur à convaincre serait sûrement lui.

Elissa ne savait pas pourquoi elle avait réagi ainsi, elle qui d'ordinaire laissait sans trop protester son frère l'éloigner des jeunes hommes sur qui elle tombait. Comme d'habitude, elle n'avait pas beaucoup réfléchi avant de parler, et la réaction d'Ensun ne se fit pas attendre. Elissa n'était pas de celles qui lisaient facilement sur le visage des autres, pourtant, il n'était pas bien difficile de deviner que la réplique l'avait atteint. Ce qui n'était pas forcément le but principal de la jeune fille. C'est ainsi qu'elle en vint presque à regretter ses paroles, à l'instant même où elle les prononça. Certes, Elissa était une adolescente de caractère, mais face à Ensun, rien n'était pareil. Il avait toujours réussi à la convaincre, à la faire céder à ce qu'il jugeait bon pour elle. Enfant, elle avait été très vite en adoration devant lui, devant ce grand-frère qui la protégeait. Cette relation, qui ne tarderait pas à devenir envahissante, faisait partie de sa vie depuis longtemps, et elle n'avait pas encore la force, ni même l'envie de s'opposer à sa volonté.

La discussion, bien qu'entamée sur un ton assez poli, ne plut pas beaucoup à Elissa. L'attitude hostile de son frère, et celle stoïque de Morwan créaient une atmosphère tendue, pleine d'animosité - surtout du côté d'Ensun, étrangement. Ce genre de tension ne plaisait pas du tout à la princesse, qui n'aimait pas l'affrontement, et qui semblait chercher en permanence une compagnie joyeuse et agréable. De plus, la jeune fille avait conscience du fait que tout cela était arrivé par sa faute. Si Ensun était aussi agressif, c'était à cause d'elle, ni plus ni moins. Ceci ne tarda pas à la mettre mal à l'aise, dépassant durant un instant l'agacement qu'elle avait ressenti en le voyant foncer sur elle et lui ordonner de quitter les lieux.

-Tu le connais depuis quand … ? marmonna-t-il. Tu sais très bien ce que j’en pense, de tout ça. Alors fais-moi plaisir…

Poussant un léger soupir, Elissa hocha la tête. Etant donné la situation, elle savait qu'il n'était pas bon de protester... Cela ne ferait que surprendre d'avantage Ensun. De plus, elle ne voulait pas le blesser ou l'offenser... Le simple fait de voir son frère lui en vouloir, et éprouver de la colère contre elle ne lui plaisait pas du tout. Au fond, il l'effrayait peut-être un peu. La crainte de décevoir l'être qu'elle aimait le plus au monde restait présente, et surpassait l'envie de découvrir des choses qu'elle n'avait jamais réellement connues auparavant. Les hommes, par exemple.

- Juste cinq minutes, répondit-elle en plantant ses yeux verts dans ceux beaucoup plus sombres de son aîné.

Après avoir répondu à cette question, Elissa ne prononça pas un mot de plus. De toute manière, qu'aurait-elle bien pu dire? Après avoir assisté à une telle scène, et découvert qu'elle avait un frère surprotecteur et jaloux, Morwan n'aurait sans doute plus vraiment envie de la revoir. C'est ce qui était arrivé aux autres jeunes hommes qui avaient tenté le coup, en tout cas, et il y avait des chances que le guerrier n'échappe pas à la règle. Cependant, avant de tourner les talons, Elissa leva les yeux vers lui, lui adressant un regard significatif. Rien ne l'empêchait de revenir lui adresser la parole plus tard... En l'absence d'Ensun. En effet, la jeune fille ne voyait rien de mal dans le fait d'apprendre à mieux connaître quelqu'un... Un guerrier, qui plus est.

Sans plus attendre, Elissa partit, sous le regard des deux jeunes hommes naakti. En son fort intérieur, l'adolescente espérait revoir Morwan, et ce dans d'autres conditions. Mais elle ne se faisait pas d'illusion, et de toute manière, rien ne pressait. Un jour, son frère la laisserait vivre comme elle l'entendait. Elle espérait juste que ce moment ne viendrait pas trop tard...

En pleine réflexion, Elissa ne se rendit pas compte de la vitesse qu'elle avait mis pour rejoindre l'entrée du parc d'entraînement, mais ses enjambées avaient été longues et ses pas rapides. Désormais, lorsqu'elle se retournait, elle ne pouvait apercevoir les deux personnes qu'elle avait quitté quelques instants plus tôt que de loin. D'ailleurs, une idée lui vint à l'esprit : Il valait mieux qu'elle ne s'en aille pas tout de suite, au cas où il arriverait quelque chose. Elissa ne pensait pas que son frère serait assez idiot pour engager un deuxième duel dans la soirée, mais elle préférait rester sur ses gardes. Après tout, un incident était vite arrivé. De plus, elle ne connaissait pas Morwan. Même s'il avait l'air d'être quelqu'un de calme, et de bien plus mature que le prince, elle ne voulait pas se fier à sa première impression. C'est pour cette raison que la jeune fille ne quitta pas l'endroit, mais se plaça plutôt de manière à pouvoir discrètement observer les deux hommes à distance. Certes, elle était cette fois-ci bien plus éloignée de la partie du parc réservée aux apprentis guerriers, et elle ne les voyait pas très bien, mais elle pouvait au moins s'assurer qu'une ridicule querelle n'éclaterait pas entre eux.

Ensun n’avait plus qu’une idée en tête : s’arranger pour qu’Elissa ne se retrouve jamais dans les bras d’un homme, notamment à son âge. Le jeune Prince n’avait pas vu en Morwan de mauvaises intentions, mais il préférait s’assurer qu’il ne tomberait pas sous le charme de sa petite sœur. Pour lui, tout se faisait à l’avance. Il préférait devoir éloigner un homme simple et innocent trop tôt, plutôt que de savoir sa sœur enceinte et ainsi condamnée à élever l’enfant d’un bon à rien. Cela devenait une habitude pour lui, cette surprotection. C’était même devenu naturel chez le jeune homme, au point qu’il ne se rende même plus compte du manque de libertés de sa petite sœur. Il ne voulait que son bien, et les intentions d’Ensun étaient loin d’être mauvaises. Cependant, il semblait employer la mauvaise méthode, et à l’insu de la personne qui compte le plus pour lui qui plus est. La personne en question venait de quitter les lieux, et sans protester.

Renfermé sur lui-même, peu sûr de ses compétences, Ensun se massait le crâne, ressentant avec une certaine douleur les effets secondaires du combat qui l’avait opposé à Taros. Son adversaire, sans prévenir, n’avait pas hésité à le frapper à la tête avec son bâton. Ensun lui aurait pardonné si cela s’était fait dans les règles, mais cet imbécile avait attaqué alors qu’il avait le dos tourné. Peu vif, Taros avait donc mis toutes ses forces dans son coup, cherchant sûrement à grièvement blesser le jeune Prince. Ensun se demanda alors ce qui était passé par la tête de Taros. En agissant ainsi, en manquant de peu de tuer l’un de ses camarades, il aurait pu être définitivement refusé pour le titre de guerrier Naakti. Bien qu’Ensun ait le sang chaud, jamais il n’agresserait à mort l’un de ses adversaires, surtout si ce dernier est l’un des siens. Son doigt passa sur l’épaisse bosse située derrière son crâne.

*Aïe !!*

Les yeux du jeune homme tombèrent de nouveau sur le bâton de Morwan. Bizarrement, en l’absence de sa sœur, une curiosité étonnante pour l’arme que tenait le guerrier se mit à l’envahir. Ensun n’avait pas vraiment de bâton digne des plus grands guerriers. Il devait soit se contenter des bâtons que « l’école » de combat lui fournissait, soit des bâtons qu’il se faisait lui-même, et ces derniers n’étaient pas forcément de très bonne qualité. Certes Ensun n’était pas passionné par le combat, mais il aimait la forme que certains duels pouvaient prendre. Il préférait le côté artistique de la chose, plutôt que son côté « je me bats pour survivre ». Bien qu’il ait cette vision des choses, Ensun serait prêt à tout pour protéger le peuple Naakti, même à mourir. Seuls quelques privilégiés avaient pu voir l’une de ses rares qualités en combat : il n’abandonnait jamais un duel, il ne le perdait que lorsqu’il tombait dans les pommes. Malgré les coups de ses adversaires, il se relevait toujours, se refusant à déclarer forfait. Voilà ce qui faisait sa force, et son unique qualité. Pour les autres, pour la fierté d’avoir tout donné, il pouvait prendre des coups sans broncher. Mais voilà, le problème, c’est qu’en la présence de sa famille, Ensun faisait preuve d’une mauvaise foi alarmante. Il perdait ses moyens, se rebellait à sa façon sans même le savoir. Peut-être que s’il se corrigeait, il aurait une chance de devenir guerrier, un jour.

-Qui est celui qui vous a fait ce bâton ? Euh...Morwan Drustan. Parce que si je trouve des arcs en bois de si bonne qualité, je serai le plus heureux des hommes.

Elissa, après avoir répondu à son frère et réfléchi quelques secondes, se retira rapidement. Morwan le regrettait un peu, à son grand étonnement, mais il n'avait pas à s'immiscer dans les affaires de la famille royale, sauf bien sur en cas de violente altercation entre les héritiers, mais cela ne semblait pas être une possibilité à envisager de si tôt. Après avoir regardé la jeune princesse prendre la poudre d'escampette, il reporta son attention sur le jeune prince qui maintenant semblait hésiter quand à la suite des évènements.

Ce dernier reporta son attention sur le bâton de Morwan. Pour lui, son arme n'avait rien de si particulier, suffisamment long pour lui permettre de se battre, suffisamment résistant pour lui permettre certaines acrobaties avec et pour supporter un choc sur le roc, suffisamment épais pour l'avoir bien en main, il ne s'imaginait pas cependant qu'il produirait un tel effet sur un néophyte.

-Qui est celui qui vous a fait ce bâton ? Euh...Morwan Drustan. Parce que si je trouve des arcs en bois de si bonne qualité, je serai le plus heureux des hommes.

Ah... la qualité du bois... à vrai dire, Morwan ne s'était pas posé la question en se le procurant, il l'avait bien en main, le poids lui convenait et c'était tout ce qui comptait pour lui. De plus il avait la désagréable impression que le prince cherchait une forme d'échappatoire.

-Désolé Prince, mais mes connaissances en matière de bois de bâtons restent limitées. En revanche, si vous voulez un bon bois pour un arc, je ne peux que vous conseiller les bois de cerfs, pour en faire des arcs composites. Seulement ces arcs sont très difficiles à manier. Pour un arc plus facile à manier, je vous conseille plutôt du noisetier ou tout autre bois souple...

Morwan avait répondu d'un ton neutre. Il avait encore en travers de la gorge le regard franchement hostile du Prince et son manque de respect vis à vis de lui. Le jeune guerrier Naakti n'était pas un homme fier pourtant, mais inexplicablement ce manque de respect là lui était proprement insupportable. Il avait envie de dire au jeune prince ces quatre vérités mais le moment n'était guère judicieux. Un jour, si le jeune garçon n'évoluait pas, et si le roi ne le faisait pas avant, il serait du devoir du jeune guerrier de parler à Ensun.

La douleur de la bosse l’avait quitté. Mais Ensun était prudent, et ne comptait pas laisser paraître à Morwan l’une des très légères blessures qu’il s’était fait en affrontant Taros. Alors il s’éloigna un peu, laissant derrière lui les objets qui pourraient réveiller sa douleur s’il venait à chuter accidentellement. Bien évidement, il n’abandonna pas Morwan, mais se contenta plutôt de le contourner, intervertissant ainsi les places dont ils disposaient quelques instants plus tôt. Ensun put alors sentir la chaleur du soleil sur sa peau pâle, appréciant sa douceur et le réconfort qu’elle apportait. Après une journée comme celle-ci, il se sentait plutôt lourd de culpabilité et de honte. Alors que les villageois comptaient sur lui pour faire honneur au roi, lui fuyait leurs ennuyeuses conversations à l’aide de sa tendre petite sœur. Mais en même temps, Ensun n’avait pas vraiment eu de chance en tombant sur la vieille Kama. Cette vieille pie était la bavardise incarnée, et lorsqu’il s’agissait de faire courir des rumeurs, elle était la meilleure dans ce domaine ! Depuis bien des années déjà, elle n’engageait que des conversations gênantes avec le jeune prince, lui parlant de ses futures femmes, de l’Epreuve qui ferait de lui un nouveau guerrier, et enfin de son accession au trône. Ensun aimait les femmes, mais pour le moment, se préoccupait bien plus de sa petite sœur que des jolies jeunes filles du coin. L’Epreuve semblait bien proche pour lui, et lui, bien éloigné de la victoire. Quant à devenir roi…Il en rêvait, mais cela signifierait la mort de son père, et ça, il préférait ne même pas l’imaginer.

Ensun se sentit sursauter lorsqu’il se rendit compte qu’il s’était laissé emporter par ses rêveries. Il n’avait pas répondu à Morwan, se souvenant à peine de ce qu’il lui avait dit. Il se demanda alors pourquoi il était si rêveur, et pourquoi ces rêves en question l’entraînaient toujours dans de délicates situations. Maintenant, qu’allait-il dire à son interlocuteur, alors qu’il ne savait même plus sur quoi portait le principal sujet de discussion ? Il chercha des yeux la réponse à sa question, perdant toute assurance aux yeux de Morwan. Il respirait fort, rapidement. Ses yeux semblaient courir dans tous les sens, ne se posant jamais le guerrier. Quand à son cœur, n’en parlons pas. Tout médecin commencerait à s’inquiéter de la vitesse à laquelle il était en train de battre. Maudite fierté ! Il ne se préoccupait parfois que trop du regard des autres ! Et maintenant, il se mettait à perdre ses moyens, alors qu’il voulait paraître fort devant ce type ! Comment allait-il rattraper son erreur ? Comment allait-il changer de sujet de discussion sans que Morwan pense qu’Ensun s’ennui de discuter avec lui ? C’est alors que le regard d’Ensun tomba sur le bâton qu’il avait abandonné suite au combat contre Taros. Il s’éloigna, se saisit du bâton puis se tourna vers Morwan. Pour la première fois depuis longtemps…il voulait savoir. Il voulait savoir ce qu’il valait.

-Les guerriers sont-ils trop forts pour les élèves ? Est-ce une honte s’ils osent tester l’un d’entre eux ? Si vous craignez le favoritisme, alors frappez comme si vous affrontiez l’un de vos camarades ! Frappez comme vous frapperiez ceux là si vous veniez à les affronter ! dit-il en pointant du doigt les quelques guerriers Naakti qui s’entraînaient dans leur parc. J’ai quelque chose à prouver à mon père ! Et à moi-même…finit-il en marmonnant.

Le jeune prince sembla momentanément rêveur. Si Morwan avait été un adversaire, voire même un ennemi, il eut été facile d'attaquer le prince de front, même armé, sans que ce dernier ne puisse esquisser le moindre geste, et le terrasser très rapidement. Un mauvais point de plus pour le jeune homme. Un guerrier devait toujours être attentif, toujours près à se défendre, et ne se laisser submerger par ce genre de rêverie qu'en cas de totale sécurité. Manifestement, si le jeune homme avait connu le danger, il n'avait pas su tirer les enseignements nécessaires, ou alors il avait vécu en sur-protection juste après.

Ensun se déplaça, échangeant leurs places. Puis, après un autre moment de silence, se dirigea vers son bâton et revint vers Morwan avec. Le guerrier Naakti présentai ce qui allait suivre, et resserra d'avantage sa prise sur son bâton. Le prince, le regard décidé, avait apparemment l'envie d'en découdre.

-Les guerriers sont-ils trop forts pour les élèves ? Est-ce une honte s’ils osent tester l’un d’entre eux ? Si vous craignez le favoritisme, alors frappez comme si vous affrontiez l’un de vos camarades ! Frappez comme vous frapperiez ceux là si vous veniez à les affronter ! dit-il en pointant du doigt les quelques guerriers Naakti qui s’entraînaient dans leur parc. J’ai quelque chose à prouver à mon père ! Et à moi-même…finit-il en marmonnant.

Morwan fronça les sourcils. Il ne niait pas qu'il avait bien envie de coller au jeune membre de la famille royale la dérouillée du siècle, mais de là à le frapper comme s'il se battait contre un des autres... Ils avaient tous une cuirasse de muscle au moins aussi épaisse que l'adolescent qui attendait de s'en prendre une. Si jamais Morwan y allait sérieusement, les chances de survie du jeune homme serait quasi nulles. Mais, il fallait qu'il connaisse une humiliante défaite pour, peut être, progresser.

- Soit... je vous combattrai donc.

Morwan se dirigea vers l'arbre et se débarrassa de son carquois et de son arc. Ensuite, il retira ses bras des manches de sa toge dont le haut glissa le long de son tronc avant de s'arrêter, retenue par sa ceinture, dévoilant l'impressionnante cicatrice qu'il avait sur le dos, vestige de son premier combat contre la grande faucheuse incarnée par une panthère noire. Le jeune guerrier s'empara ensuite de son bâton et se mis en garde face au prince, cherchant le meilleur moyen d'en finir au plus vite sans tuer la progéniture royale.

Évidemment, la garde du jeune prince était pleine d'ouvertures, et Morwan, entraîné par des années d'escapades forestières avais acquis une bonne accélération et une bonne vitesse. Il s'engouffra donc dans une des ouvertures par une attaque frontale d'estoc, évitée par le prince qui recula, Morwan fit une brutale accélération qui le mena juste à côté du prince, l'accélération fut suivie par une attaque de taille qui cueilli le prince en plein estomac, le pliant en deux, et en final, une autre attaque de taille trouva la nuque du jeune prince.

Morwan se trouvait maintenant dans le dos du jeune garçon, en garde. Il n'avait pas été aussi fort que contre un autre guerrier, bien sûr, mais un novice n'aurait pas pu se relever avant une bonne journée après avoir encaissé de tels coups. Le prince le pourrait-il ? S'il le pouvait, les conséquences des coups reçus seraient une perception moindre des sons, la tête qui tourne et les oreilles qui bourdonnent, ainsi qu'un dérèglement de l'équilibre momentané.

- Constatez vous la différence de niveau à présent ? Je ne suis pas allé au maximum de ma force, de tels coups auraient pu vous tuer. Sachez qu'un entraînement rigoureux vous aurait déjà permis de bloquer toutes mes attaques, ou les éviter au lieux de les encaisser.

Une vérité de dite. Il en restait encore beaucoup. Cette petite pique permettrait à Morwan d'en savoir un peu plus sur le prince, face à la réaction possible qu'il aurait, s'il n'était pas déjà dans l'inconscience...

Aux premiers mots de Morwan, Ensun sentit une grande satisfaction s’emparer de lui. Alors qu’il s’était attendu à ce que le guerrier refuse sa proposition, il entendait ce dernier accepter sans rechigner, bien qu’aucune réelle envie de combattre le jeune Prince ne se lise sur son visage. Un léger soupir échappa alors à Ensun. Il n’était qu’un élève après tout, et pour un guerrier, ce n’était sûrement qu’une réelle perte de temps d’ainsi accepter de combattre en duel un amateur. Cet amateur en question était le fils du Roi cependant. Etait-ce pour cette raison qu’il n’avait pas ignoré la demande du Prince ? Ou alors s’ennuyait-il au point de trouver un réconfort dans toutes les activités que l’on pourrait lui proposer ? Ensun aurait bien voulu obtenir des réponses, mais jamais il n’en eut. Il ne voulait pas demander à Morwan la raison de ce « oui », et encore moins chercher pendant de longs instants à comprendre les intentions de son tout nouvel adversaire. Il n’en avait pas le temps, ni l’envie. Lorsque Morwan déposa son arc, puis s’approcha d’Ensun, ce dernier se mit en position de défense. Ce fut pour lui un réflexe, mais un réflexe mal utilisé. Il y avait de nombreuses failles dans sa position, et ainsi les ouvertures étaient nombreuses. Peu sûr de lui-même, il n’affirmait bien évidement pas que tout était parfait chez lui, mais il ne s’était pas non plus attendu à subir ce qui va suivre.

Morwan bougea, Ensun se prépara à éviter l’attaque. Il eut le mauvais réflexe de reculer, donnant ainsi à Morwan un sérieux avantage sur lui. En quelques instants seulement, Ensun sentit de vives douleurs le marteler au ventre, puis à la nuque. L’instant d’après, il était cloué au sol. Il avait perdu son souffle, l’estomac broyé par une attaque qu’il n’avait pas vu venir. Ses genoux avaient frappé durement le sol, l’obligeant ainsi à accepter l’une des humiliations les plus douloureuses qu’il ait connu : celle de se retrouver à terre, allongé sur le sol mi-boueux dès le début du combat. Ensun s’était vivement redressé malgré tout, mais ne put se relever complètement. Les genoux au sol, les deux mains pour le soutenir, il retenait des larmes de colère et de douleur. Sa tête lui tournait et des mouvements de dégoûts s’emparèrent de lui. On aurait cru qu’il allait vomir, mais le coup à l’estomac était sûrement responsable de ce phénomène. Sa respiration était plus courte, son corps tremblait terriblement. A semi-conscient il entendit Morwan prendre la parole :

- Constatez-vous … de niveau à présent ? Je … de ma force, de …coups auraient pu vous tuer. Sachez …entraînement rigoureux vous aurait déjà …mes attaques, ou les éviter au lieu de les encaisser.


Ensun n’entendit pas la totalité des mots de Morwan, un bourdonnement remplaçant le son de la voix sévère. Il put cependant comprendre l’essentiel. Désormais conscient des progrès qu’il avait à faire, et surtout humilié par cette défaite qu’il ne pensait pas si rapide, le jeune Prince sentit des larmes couler sur ses joues crasseuses, et son cœur se serrer. Pourtant il tenta de se relever, chutant à sa première tentative à cause d’une sorte de vertige tout à fait justifiable suite aux mauvais coups qu’il avait reçu. Il refit une tentative, puis encore une autre, s’écrasant toujours de façon misérable sur le sol. Son souffle était toujours court, ses mouvements manquaient d’assurance et de précision. Morwan était donc clairement capable de mettre quelqu’un à terre, s’assurant que jamais il ne se relèvera. Malgré tout Ensun était entêté, et surtout trop fier pour rester à genoux devant cet homme. Alors il refit une tentative, et cette fois-ci, put rester debout. Ses jambes tremblaient, mais Ensun pouvait de nouveau chuter à tout moment. Heureusement, dans cette situation, le mental jouait pour beaucoup. Il se saisit de son bâton, mais ne fit aucun mouvement hostile envers Morwan. Il n’était pas un idiot non plus, et ne souhaitait pas mourir dans un combat qui était clairement inégal. Les larmes traçaient sur les joues noires de poussières des marques blanches, signe de la propreté du jeune homme avant le début de ce combat. Les yeux sombres du Prince avaient perdu toute insolence, et tout manque de respect.

-Je vous avais pourtant demandé de frapper comme… vous frapperiez… vos camarades de combat ! déclara faiblement Ensun. Je vous l’avais de…mandé…

Un pas en avant, et se fut la chute. Sur les genoux, Ensun comprit bien vite qu’il était loin de pouvoir jouer le fier, et qu’il avait encore beaucoup à apprendre avant de devenir roi, même si ce n’était que sur le plan physique. Déterminé à laisser son père s’occuper de lui demain matin, le jeune Prince eut soudainement une nouvelle forme de motivation, qui jamais jusqu’à maintenant ne l’avait habité. Profondément humilié, il avait le besoin de retrouver sa fierté perdue, et ce, en prouvant à Morwan qu’il n’était ni un vulgaire bon à rien, ni un fils à papa qui jamais ne suivra les pas du roi. Sa grande et fine main se posa sur son visage, cachant ainsi les sanglots amers. Il se mit à fondre en larmes, pleurant de rage et de tristesse à la fois. Il avait vu en un instant un monde « illusoire » s’écrouler, se rendant compte de son extrême faiblesse. Il s’était cru assez doué pour faire le fier, assez doué pour chasser et combattre ses camarades de jeux, assez doué pour faire fuir ceux qui en voulaient à Elissa. Il était juste assez doué pour écraser les moucherons oui ! Tentant d’oublier les douleurs physiques et morales, il déclara sur un ton qui se voulait ferme, bien que les larmes elèvent à cette autorité un peu de crédibilité :

-Partez.

Toujours à une bonne distance d'Ensun et de Morwan, Elissa s'était bien assurée qu'elle n'était pas visible à leurs yeux, afin de ne pas subir une fois de plus les réprimandes de son aîné. Certes, elle se trouvait hors du périmètre réservé aux guerriers, et ne risquait donc rien, mais Ensun n'apprécierait certainement pas qu'elle reste la pour le surveiller. Le problème était qu'Elissa était une jeune fille curieuse, et qui ne tenait pas vraiment en place. Si quelque chose arrivait, elle aurait sans doute du mal à ne pas bouger.

Voyant que du côté des deux jeunes hommes, rien de bien spécial ne se déroulait, Elissa détourna le regard quelques instants, le posant sur certains combats en cours. Du côté de l'entraînement des guerriers, un magnifique combat était en cours, entre deux jeunes hommes naakti parmi les plus forts de leur génération. Les yeux de l'adolescente observèrent attentivement les gestes des adversaires, et l'admiration ne tarda pas à la gagner. Parades, attaques et feintes étaient exécutées avec force et puissance. Deux redoutables combattants, sans aucun doute. Cessant de fixer le duel, Elissa reporta son attention sur celui qui l'intéressait le plus à la base, c'est-à-dire Ensun. Elle espérait qu'il discutait amicalement et sans aucune animosité avec Morwan, et qu'il viendrait bientôt la retrouver. Ce qu'elle vit éloigna bien vite cet espoir de son esprit. Alors qu'il y a quelques minutes, les deux hommes conversaient tranquillement, ils avaient désormais des armes en main, et semblaient se défier du regard. Les sourcils de la princesse se froncèrent, et elle se détacha en vitesse de la barrière sur laquelle elle s'était appuyée. Ce qui devait arriver ne tarda pas à se produire : Le combat commença.

Sans réfléchir, Elissa quitta l'endroit où elle était, se précipitant vers Ensun et Morwan. Dans sa réaction hâtive, elle n'avait pas songé au fait qu'elle refaisait exactement la même erreur que celle commise précédemment. Seule l'inquiétude qu'elle avait pour son frère la guidait, et l'angoisse de voir Ensun mis à terre par le puissant guerrier semblait lui donner des ailes. A la base, la jeune fille n'était pas une coureuse spécialement douée, et ses jambes ne lui permettaient certainement pas de battre les apprentis guerriers à la course. Mais la, l'adrénaline rendait ses foulées longues et régulières, et elle fonça droit sur les deux hommes. Cependant, elle n'eut guère le temps de les arrêter. Dans un geste puissant, Morwan attaqua Ensun au ventre, puis à la nuque. L'effet des coups fut immédiat, puisque le prince s'écroula sur le sol. La vision d'Ensun dans cette si facheuse posture changea radicalement l'émotion qui habitait Elissa. L'angoisse laissa place à la colère, et elle acheva de parcourir la distance qui les séparait, sentant que le souffle commençait à lui manquer. Décidément, elle devrait vraiment s'entraîner. Face à une bête sauvage, elle ne ferait pas long feu.

-Partez.

Ce fut le premier, et le seul mot qu'elle entendit de la bouche d'Ensun lorsqu'elle arriva. Maintenant à genoux, il semblait être dans un piteux état, et cela ne plut pas du tout à Elissa, qui avait le cerveau en ébullition. Evidemment, elle n'avait pas assisté à la scène, et n'avait donc rien entendu ni vu de ce qui avait précédé le duel. Elle ne savait pas que Morwan n'avait eu aucune attitude agressive à l'égard de Ensun, et encore moins que le combat avait été provoqué et demandé par ce dernier. Si elle l'avait compris, c'est sans doute envers son frère qu'elle aurait eu de la colère. Cependant, elle ne le savait pas, et la peur qu'elle avait eu en le voyant dans une telle situation lui avait fait perdre son sang froid. Elissa n'était qu'une adolescente : Sa jeunesse et son manque d'expérience la caractérisaient, pour le moment tout du moins.

Fort heureusement, Ensun ne semblait pas être blessé, juste légèrement sonné. Des larmes coulaient sur ses joues, et, ignorant la véritable cause de ce combat, la princesse fusilla du regard Morwan. Le fait que ce soit Ensun qui ait provoqué le duel ne lui vint pas à l'esprit, tout simplement parce qu'elle ne réfléchissait pas. Ainsi, c'était naturellement vers la seule autre personne présente qu'elle décida de chercher une explication.

- Que s'est-il passé? demanda l'adolescente au guerrier, sans réellement masquer le mélange d'angoisse et de colère de sa voix encore essoufflée par la course. Pourquoi l'attaquer ainsi? Il n'est qu'un apprenti guerrier!

Le prince faisait visiblement des efforts pour se relever, Morwan regardait le spectacle, n'éprouvant aucune joie, aucune satisfaction, il avait juste fait ce qu'il devait faire. Aider le prince à un tel moment ne l'aurait pas aidé à progresser, il devait apprendre à endurer la douleur, à endurer la désorientation provoquée par les coups violents et à tenter, non pas de les contrer, mais de s'adapter à elles. Morwan avait une grande expérience de la douleur, mais il savait également qu'il avait d'autres faiblesses ailleurs. Aucun guerrier n'était parfait, ils étaient des hommes comme les autres, juste plus forts et entraînés que le commun des Naakti.

Morwan devait au moins accorder ça au membre masculin de la royale progéniture, il avait un mental suffisamment fort pour lui permettre de se remettre debout, malgré le fait que ses jambes flageolantes ne lui permettraient pas de faire un seul pas. Le mental était certes important, mais il ne faisait pas tout. Aucune expression ne vint sur le visage de Morwan quand il entendit la plainte du jeune garçon à propos de la force qu'il avait mis dans ses coups. Le guerrier Naakti ne voulait pas tuer de membre de son peuple, sauf en cas de suprême trahison, et à plus forte raison, ne pouvait pas tuer le fils du roi...

Lorsqu'Ensun tomba après avoir tenté de faire un pas vers lui, Morwan ne fit pas un seul mouvement, se contentant de suivre la chute des yeux. Il entendait les sanglots du prince. Il s'était cru fort ? Morwan ne l'avait pas imaginé si faible... le chemin vers le statut de guerrier serait indéniablement long et douloureux et peut être ne serait-il pas près au prochain test.

-Partez.

Les sanglots que Morwan entendait transformèrent cet ersatz d'ordre en une pitoyable supplique. Il devait partir de toute façon, l'humiliation devait faire son chemin, et le prince avait besoin de temps seul. Son regard s'arrêta alors sur une silhouette féminine apparemment essoufflée qui dardait sur lui un regard furieux. Elissa était revenue, et apparemment en courant. Morwan soupira en fermant les yeux. La présence de la jeune princesse n'était pas souhaitable en cet instant.

- Que s'est-il passé? Pourquoi l'attaquer ainsi? Il n'est qu'un apprenti guerrier!

Le guerrier Naakti rouvrit les yeux et les planta dans ceux de la jeune demoiselle, un regard dur et froid. Puis, il alla chercher son arc et son carquois, sans remettre la partie supérieure de sa toge. Il aimait la caresse du vent sur son torse. Se tournant vers la princesse, il l'attrapa par le bras avant qu'elle n'aille au chevet de son frère et l'entraîna sans efforts avec lui. Il ne l'aurait pas imaginée aussi légère, en même temps les seuls êtres qu'il avait porté étaient ses proies ou ses adversaires lors d'entraînements à mains nues. Alors qu'il l'entraînait avec lui, et une fois qu'il s'était assuré être suffisamment loin pour que le prince ne l'entende pas, se planta devant la demoiselle, toujours en la tenant par le bras pour ne pas qu'elle s'enfuie.

- Avant tout choses sachez que c'est lui qui a voulu ce combat. Il m'a même demandé de le frapper comme je frappais mes camarades, mais de tels coups auraient pu le tuer, aussi je ne l'ai pas frappé avec toute ma force. Ensuite, je sais pertinemment que vous avez envie de savoir comment il va, mais je vous interdit d'aller le voir avant que ce soit lui qui ne vienne vers vous. De plus je ne suis pas sûr qu'il vous aurait accepté à ses côté dans une telle situation.

Morwan respira profondément. Il allait dévoiler à la demoiselle la raison qui l'avait poussé à faire ce qu'il avait fait, et repris son explication avant qu'elle n'ouvre la bouche pour parler.

- Pour finir, sachez que tout ceci, c'est très bien pour lui, c'est même excellent. Votre frère est faible, plus faible que vous le croyez, et une défaite aussi humiliante le lui a certainement fait comprendre. A partir de maintenant, je pense et j'espère qu'il va se donner à fond dans son entraînement. Seulement cet entraînement ne sera pas tout, et il aura sans doute encore besoin d'une autre défaite aussi humiliante pour le comprendre. On apprend mieux de ses erreurs quand on les constate soit même, et votre frère doit apprendre à le faire seul. Il aura certes besoin de vous et de votre soutient, mais pour l'instant il ne lui faut que la solitude.