Les cris des mouettes. Une odeur persistante de vase mêlée de cordages humides et de sueur. Des rires gras. Du mouvement. Des conversations et des braillements. Roxanne fut tirée de son sommeil lourd par la morsure d'un quelconque animal sur son bras qu'elle chassa d'un revers de main avant d'ouvrir ses paupières encore lourdes. Une atroce migraine lui martelait les tempes, souvenir peu glorieux du dîner de la veille essentiellement composé de cerises à l'eau-de-vie dérobées dans une quelconque arrière-cuisine. Enroulée dans sa cape, elle s'était endormie derrière un tas de vieux cordages pourris abandonnés dans une ruelle non loin des docks.

Elle cligna plusieurs fois des yeux puis bougea lentement pour vérifier que le reste de son corps n'était pas endommagé avant de se redresser tout aussi lentement. Sa tête encapuchonnée émergea au-dessus d'un rouleau de cordages alors qu'elle scrutait les alentours. La ruelle était vide. Parfait. Elle prit appui sur le mur de briques à côté d'elle et se remit péniblement sur ses pieds. La tête lui tourna violemment et elle jura entre ses dents en essayant de retrouver son équilibre et surtout de ne pas vomir.

Quelques minutes plus tard, elle avait retrouvé une partie de ses facultés et sortait enfin de la ruelle crasseuse, repoussant quelques rats du bout de ses bottes. L'air frais sur les quais lui fit du bien malgré les odeurs âcres des hommes et du port. Elle se sentit bientôt suffisamment aguerrie pour partir à la recherche d'une quelconque nourriture et de quelques passants à détrousser. Démêlant ses longs cheveux avec ses doigts, elle les tressa tout en prenant la direction du marché où elle parviendrait peut-être à apitoyer un ou deux commerçants et à faire les poches de quelques pigeons.

De retour sur les quais après sa matinée à la plage, Roxanne se sentait légère et fraîche. Elle était propre et n'avait pas déboursé un écu de la bourse dont elle avait délesté son propriétaire le matin même. La miche de pain du marché commençait à être loin mais elle était habituée à ignorer les tiraillements de la faim. Elle remit sa cape malgré la chaleur du soleil de midi, estimant qu'elle attirerait moins l'attention des marins si elle ne découvrait pas sa gorge et ses bras.

Arpentant les quais d'un pas tranquille de promeneuse, elle passa en revue les navires amarrés, ceux qui venaient d'arriver avec la marée, ceux qui étaient partis, ceux qui n'avaient pas bougé et devaient être à présent vides. Au bout des docks, l'un des vaisseaux attira son attention. Le Razgriz avait fière allure et venait visiblement d'être calfaté et repeint. Quelques hommes montaient la garde, mais rien d'insurmontable. Avec un peu de chance, le cabine du capitaine serait déjà meublée et elle pourrait trouver quelques objets à revendre. Grimpant sur un tas de cordages et de caisses vides, elle s'installa au sommet pour surveiller les allées et venues sur le bateau et attendre le moment propice.

Après deux bonnes heures, le moment opportun se présenta enfin. Les hommes de quart semblaient moins nombreux et un peu endormis à cause du soleil qui cognait et de leur repas probablement trop lourd. Glissant sans bruit au bas du tas de cordage, elle contourna quelques casiers de pêche et des caisses pour atteindre l'amarre de poupe. Agile et souple, elle s'y agrippa pour grimper jusqu'au pont supérieur et de là, se laissa glisser à travers une écoutille. Elle atterrit dans ce qui ressemblait à une cabine de passager mais était encombrée de cordages de toutes tailles et de boulets.

Aussi silencieuse qu'un chat, elle sortit de la cabine et traversa la coursive à la recherche de la cabine du capitaine qu'elle trouva sans mal. Elle referma la porte derrière elle et regarda autour d'elle. Sobre et même presque vide, la cabine principale n'offrait à première vue rien de bien intéressant à voler. Agacée, elle se glissa jusqu'à un coffre dans lequel elle entreprit de fouiller, étalant autour d'elle parchemins et cartes marines.

Raven revenait d'une cession d'entraînement avec les quelques hommes qui n'étaient ni de repos, ni de quart aujourd'hui, principalement des jeunes recrues. Il venait de commencer les exercices d'endurance et de développement musculaire avec eux, doucement histoire de ne pas trop les abîmer, et était globalement satisfait de ce qu'il avait constaté. Il avait fait tout les exercices avec ses hommes, histoire de ne pas rester à ne rien faire, bien sûr ses exigences physiques étaient supérieures à celles des bleusailles qu'il encadrait, mais faute de mieux, il se contentait de ça. Après avoir prit un bon bain, seul avantage qu'il voyait à fréquenter la haute société, il se dirigea vers les quais pour travailler à bord de son navire. Une grande quantité des hommes profitait de l'oisiveté à Terre et seul les Royal Marines ainsi qu'une cinquantaine de matelots occupaient le Razgriz, les uns pour le surveiller, les autre pour le retaper et s'occuper des tâches qu'exige l'entretient du bateau.

Dès qu'il fut sur les quais, sa cape se mis à flotter au gré des rafales de vent. Lui resta un bref instant à regarder les navires présents à quai, nombre d'entre eux étaient des navires marchands de diverses tailles et jauges, les un chargeaient, les autres déchargeaient, mais les quais grouillaient d'activité autour d'eux. Certains d'entre eux seraient coulés ou arraisonnés par les pirates, nombre de marins ne reverraient jamais les leurs, ils ne connaîtraient que les affres de la noyade, une mort rapide ou encore la torture dans les geôles Pirates. Il serra les poings. Ses hommes deviendraient les boucliers de leurs semblables, et même leur main armée. Ses yeux se posèrent enfin sur sa frégate. Le Razgriz était vraiment le fleuron de la flotte Royale, aucun navire n'était plus rapide, la frégate était facile à manœuvrer, légère et pourtant résistante, ses 48 canons lui offraient une puissance de feu plus qu'honorable, un navire correspondant tout à fait au jeune capitaine.

Il monta le long de la passerelle et salua les deux gardes en faction. L'un d'eux lui indiqua que son repas avait été placé dans sa cabine, comme d'habitude, mais Raven avait envie de parcourir son navire, pour voir si tout était réglé ou près de l'être. Son inspection débuta par les vigies. Il aimait la vue qu'on avait de là haut, et appréciait la vigie comme un poste de combat. En effet un homme habile avec un fusil pouvait d'ici représenter un danger avec lequel il fallait compter, et Raven avait ordonné d'installer un nécessaire pour les munitions et le nettoyage de fusils. Dans son idée, un groupe de trois hommes utiliseraient ce nid de pie comme une plateforme de tir, deux qui rechargeaient les fusils et un qui tirait. Satisfait par le travail effectué ici, il redescendit et inspecta le pont. Impeccable, quelques matelots étaient encore en train de le briquer, de même que sur la batterie principale, où certains s'occupaient à briquer aussi les canons. Les cales étaient propres elles aussi, les quelques chats qui s'étaient invités à bord avaient eut raison des rats qui sévissaient régulièrement et les quelques hommes qui se reposaient à bord s'occupaient de les nourrir (les chats). Les poulaines subirent aussi l'inspection du jeune capitaine, et là aussi, on s'occupait encore à briquer les boiseries et les sièges. Satisfait, Raven se dirigea ver sa cabine.

Il avait avec lui un chaton joueur trouvé en fond de cale, et s'amusait avec le petit fauve, qui prenait un malin plaisir à planter ses petites griffes dans les doigts du jeune homme. Il ouvrit la porte de sa cabine et trouva son coffre ouvert et de nombreux parchemins et cartes par terre. Il posa le chaton par terre et ferma la porte de sa cabine. Il remit en place ses parchemins et s'installa à son bureau après avoir ramené un petit fauteuil devant son bureau.

- Venez vous asseoir au lieu de vous cacher...

Des pas. Des pas qui se rapprochent. Vive comme l'éclair, Roxanne bondit sur ses pieds et se glissa dans une encoignure sombre au pied de l'étroite couchette fixée au mur. Retenant son souffle, elle attendit, immobile et plus silencieuse qu'une statue de sel, tout en se morigénant intérieurement. Bon sang mais quelle idiote de s'être ainsi laissée surprendre ! Elle observa le jeune homme qui venait d'entrer. Le capitaine de la frégate, semblait-il. C'était bien sa veine. Il ne parut même pas surpris de voir le désordre qu'elle avait laissé en fouillant les coffres et s'installa tranquillement à son bureau. Un bref instant, elle songea qu'elle allait peut-être passer inaperçu jusqu'à son départ, mais cet espoir fut bientôt anéanti. Des tiraillements sur le bas de sa cape lui firent baisser les yeux sur le chaton qui s'était approché sans bruit et s'amusait maintenant à planter ses griffes et ses crocs minuscules dans le velours fané. Le moindre mouvement pour le repousser trahirait sa présence aussi lui adressa-t-elle un regard éloquent dans une tentative puérile de lui faire lâcher prise. Pas du tout impressionné par le regard furieux, le chaton tira de plus belle sur le bas de sa cape en émettant des petits gargouillis adorables. C'est à cet instant que retentit la voix calme et posée de l'homme assis à son bureau.

- Venez vous asseoir au lieu de vous cacher...

Elle ferma les yeux avec un soupir résigné puis hocha la tête en silence. Il fallait se rendre à l'évidence, sa tentative de cambriolage avait tourné court. Déterminée à accepter les conséquences de ses actes, ainsi qu'elle avait toujours subi les châtiments sans se plaindre, elle ramassa le petit chat qui poussa un miaulement étonné de ce soudain traitement de faveur, puis se redressa contre la cloison et le serra contre elle. Sa cape et sa capuche dissimulaient sa silhouette et laissaient son visage dans l'ombre, mais elle n'était pas encore décidée à dévoiler son identité à cet homme, fut-il le Gouverneur en personne. Restant sur ses gardes, elle s'avança lentement et se planta devant le bureau, le chaton blotti contre les replis sombres de sa cape et ronronnant à qui-mieux-mieux. Méfiante, elle dévisagea le capitaine sans se soucier de découvrir son propre visage resté dans l'obscurité de sa capuche, et marmonna d'une petite voix enrouée et boudeuse.

- J'ai rien volé, je l'jure.

Le chaton avait rapidement trouvé l'intrus, planqué dans un recoins sombre de la cabine, et s'était retrouvé dans les bras du visiteur, ce qui, à l'entendre ronronner tout son soul, devait grandement lui plaire. Une forme se dessina quelques secondes après l'invitation du jeune capitaine, une forme toute encapuchonnée et emmitouflée dans une longue cape dissimulant les formes de l'individu ainsi que les traits de son visage. Raven ignorait donc s'il s'adressait à un homme ou à une femme, voir même si l'individu était majeur ou non. D'un pas résigné le visiteur, devenu pouponnière à chaton en deux secondes, s'avança lentement vers le bureau derrière lequel Raven attendait. A trois pas de lui, la silhouette s'arrêta, ne souhaitant visiblement pas s'asseoir, et dit, d'une voix au timbre indéfinissable :

- J'ai rien volé, je l'jure.

Un petit sourire étira le visage de Raven sur la droite. Bien sûr que rien n'avait été volé, puisqu'il n'y avait rien de vraiment précieux dans la cabine du jeune capitaine, sa bibliothèque personnelle, le seul objet un tant soit peu précieux du capitaine, ne serait installée qu'un jour avant le départ, avec tout les livres qu'il avait acheté et/ou obtenus au fil du temps. Le reste de son mobilier consistait en un coffre plein de cartes et de parchemins, un autre plein de vêtements, encore à terre, ainsi qu'en une longue vue, un compas, une équerre et une règle. Le sextant se trouvait accroché à la place du crucifix, qui avait été remis à l'aumônier pour qu'il puisse faire ses offices.

- La question n'est pas de savoir si vous avez dérobé telle ou telle chose, jeune inconnu, comme vous avez du le constater, cette cabine est vide d'objets précieux. La question serait plutôt de la manière la plus convenable de vous punir pour cette intrusion...

Raven se leva et croisa les bras dans son dos. L'individu était très petit, mais qui ne l'était pas face à Raven ? Faisant un peu durer le plaisir il alla à la fenêtre. Aucun risque que l'individu ne s'échappe, la porte était solide et il avait fermé à Clé, et il tenait ladite clé dans sa main gauche. Après avoir regardé dehors quelques secondes il s'adossa à une poutre verticale et se retourna vers son "invité".

- Je suppose que si vous venez voler, c'est que vous n'avez que ce moyen pour subsister... mais vous vous êtes fait attraper, et naturellement, il est de mon devoir, en temps que victime, mais surtout en tant que capitaine du navire "visité" de vous punir.

Raven n'avait pas besoin de prendre un air dur, il avait naturellement l'air menaçant. Mais cela ne trompait rarement celles et ceux qui savaient lire en vous, c'est d'ailleurs comme ça que Raven avait connu un certain nombre d'aventures, la personne en face de lui, le pouvait-elle ? Il poursuivit néanmoins :

- Il se trouve cependant que mon équipage n'est pas au complet... alors je pense avoir trouvé quelque chose d'intéressant pour les deux parties : Je vous engage en tant que matelot pour au moins la prochaine campagne. Vous serez nourri et logé, on vous fournira deux uniformes et il sera à votre charge de vous en occuper, vous recevrez également la solde de base pour les matelots. En échange, vous devrez obéir aux ordres de vos supérieurs, vous acquitter de vos tâches et surtout, si vous acceptez, participer dès demain aux entraînements quotidiens afin de vous familiariser avec la discipline et les armes, ainsi qu'aux efforts que demande la vie en mer. Si vous le souhaitez, et si vous êtes encore en vie après cette campagne, vous ferez partie intégrante de mon équipage pour les campagnes à venir... Qu'en pensez vous ?

La personne en face de lui devait se dire que c'était plutôt rapide comme proposition, mais Raven avait de fait un besoin urgent de nouveaux matelots et il se refusait à pratiquer l'enrôlement de force. Certes, l'individu avait le choix entre trimer comme un fou pendant plusieurs mois et pouvoir s'en sortir ou passer une éternité dans les cachots... guère différent de l'enrôlement de force en soi...

À la mention d'une punition, Roxanne eut instinctivement envie de reculer vers la porte. Elle ne bougea pas de sa place cependant, et carra un peu les épaules, prête à affronter le châtiment mérité pour son lamentable échec. Comme s'il avait senti a tension qui l'habitait, le chaton s'était dressé dans ses bras, accrochant ses griffes au velours de sa cape pour escalader la silhouette vers le visage toujours encapuchonné. Elle le laissa faire, toute son attention fixée sur le capitaine qui s'était levé à présent et la dominait d'au moins deux têtes.

Il lui tourna le dos pour aller à la fenêtre comme si elle était quantité négligeable, et elle eut envie brusquement de bondir vers la porte, ou mieux encore de sauter à la gorge du type, son couteau à la main. Une moue blasée se dessina sur ses lèvres dans l'ombre de la capuche, et une fois encore elle renonça à cet insensé projet pour rester là où elle se trouvait. Gardant un silence prudent, elle l'écouta jusqu'au bout débiter son petit discours, clouée sur place par la stupéfaction autant que par la méfiance.

Bien sûr il était immense et menaçant par rapport à sa frêle silhouette. Mais curieusement il ne l'impressionnait pas tant que ça. Sans arme et sans élever la voix, il avait réussi à lui faire sentir à quel point il serait dans son intérêt de lui obéir. Il se voulait menaçant mais elle avait la curieuse sensation que cet homme lui voulait du bien. Il lui offrait une porte de sortie honorable en tout cas, même si cela signifiait entrer à son service pour plusieurs mois. Restait à savoir si elle préférait cela aux cachots humides et puants où elle ne pourrait sans doute pas se prémunir des agressions physiques des autres détenus et des gardiens.

Lèvres closes, elle le dévisagea un long moment, réfléchissant à sa proposition. Naviguer était son rêve depuis toujours et il lui offrait là une belle opportunité de commencer à gravir les échelons. Mais la Marine Royale ! Elle ne pouvait s'empêcher de craindre leurs règles strictes et la hiérarchie pompeuse à laquelle elle serait soumise. Par ailleurs et malgré son jeune âge, elle était une femme, et elle n'ignorait pas que le reste de l'équipage ne l'accueillerait à bras ouverts que si elle écartait les cuisses pour chacun d'entre eux. Une seule solution s'offrait à elle : se faire passer pour un garçon. Mais pas question de se couper les cheveux comme les ribaudes songea-t-elle dans un sursaut de rébellion. Tout dépendrait donc de la réaction du capitaine à sa vue.

Avec un soupir résigné, elle dégagea l'une de ses mains de la fourrure douce du chaton qu'elle maintint calé contre sa poitrine, et abaissa sa capuche pour dévoiler son visage. Ses longs cheveux bruns et brillants ruisselèrent aussitôt sur ses épaules, encadrant un visage fin et pâle où brillaient deux prunelles mauves à l'éclat farouche. Un petit rictus vaguement moqueur étirait ses lèvres roses lorsqu'elle lança un regard plein de défi au capitaine en lui répondant de sa voix basse et un peu trop grave.

- Ai-je vraiment le choix ?

La silhouette resta un moment silencieuse, semblant peser le pour et le contre d'une telle proposition, puis elle dégagea une de ses mains du chaton et se débarrassa de sa capuche, dévoilant le visage et la longue et brune chevelure... d'une jeune femme. Raven ne s'y attendait pas, mais il avait émit la proposition et ne souhaitait pas revenir dessus. Après tout, une femme pouvait aussi se battre et participer aux tâches quotidiennes du navire.

- Ai-je vraiment le choix ?

Certes ce choix ne lui appartenait plus depuis qu'elle avait posé les pieds à bord du Razgriz, mais cela ne semblait pas la déranger plus que ça, étrangement. Elle était d'un gabarit normal pour un homme au sortir de l'enfance, lui trouver un uniforme ne serait pas trop compliqué. Il faudrait lui raccourcir légèrement les cheveux pour qu'elle puisse les mettre en une queue de cheval. Pour comprimer sa poitrine des bandes de lin serrées assez fort pourraient limiter les dégâts. Les braies portées par les membres d'équipage étaient droite, aucun risque de voir ses formes avec ça... Le visage par contre risquait d'être un fameux problème. La jeune femme avait un visage typiquement féminin, et même un homme avec un tel visage serait surement sexuellement abuser. Et puis le problème du couchage serait aussi un problème épineux. Tout comme serait celui de l'hygiène... comment ferait-elle pour se laver devant tout les autres ? Et pour se soulager ?

- J'avoue que je ne m'attendais pas à une jeune femme... mais ce qui est dit est dit et je ne reviendrais pas sur ma décision. Il nous faudra donc vous travestir. Raccourcir très légèrement vos cheveux et prendre l'habitude de les coiffer en queue de cheval, trouver le moyen de comprimer votre poitrine. Pour votre visage, il faudrait essayer de le faire paraître moins féminin...

Elle pourrait toujours le dissimuler sous le turban que les hommes de Raven avaient adopté comme coiffe officielle du Razgriz, sans doute pour ressembler à leur capitaine ?

- Ces conditions vous conviennent-elles ? Pensez vous pouvoir vous en sortir ?

Roxanne le contempla un moment en silence, impassible, ne s'attendant pas vraiment à ce qu'il maintienne sa proposition dans ces conditions. Il le fit cependant, la surprenant encore, et s'attirant autant son estime que sa méfiance. Elle le toisa encore un peu farouchement, puis détacha le chaton du devant de sa cape pour se défaire de la lourde étoffe de velours et lui dévoiler le reste de sa silhouette. Sa poitrine était si menue qu'elle ne serait pas vraiment un problème songea-t-elle. Même avec le corsage serré de sa robe, la courbe se dessinait à peine. Une bande de lin bien nouée suffirait à l'aplatir complètement. Elle cala le chaton sur son épaule au creux de son cou et croisa les bras sans quitter le capitaine des yeux.

- Pas question de toucher à mes cheveux. Je les relèverai sous un machin enroulé comme vous avez là sur le crâne. Et pas question de renoncer à mes bottes.

Elle avait dit cela avec détermination comme pour le mettre au défi de la contredire et tout en soulevant un peu le bas de sa robe défraîchie pour lui montrer les cuissardes luisantes qu'elle arborait dessous. Bien sûr il restait un tas de problème à régler, notamment pour l'hygiène et les besoins naturels, mais tout ça trouverait forcément une solution. L'essentiel était que le capitaine accepte et ne la prenne pas pour le bonniche. Un sursaut de méfiance lui fit recroiser les bras sur sa poitrine en posant sur lui un regard de défiance.

- Et pas question de passer dans votre couchette pour avoir le poste, j'vous préviens.

Elle plissa un peu les yeux puis haussa les épaules légèrement en redescendant le chaton contre sa poitrine pour le câliner.

- Pour le reste, j'peux m'débrouiller. J'suis plus coriace que j'en ai l'air.

- Pas question de toucher à mes cheveux. Je les relèverai sous un machin enroulé comme vous avez là sur le crâne. Et pas question de renoncer à mes bottes.

Oui certes elle le pourrait, et puis les cheveux longs n'étaient pas vraiment un problème dans la marine, de plus si elle adoptait directement ce qui semblait être l'emblème du navire pour les marins, elle se ferait plus rapidement une place. Quand à ses botes, elles disparaîtraient aussi sous les braies donc elle pouvait les garder.
Elle avait adopté visiblement le chaton, ce qui semblait réciproque car le félin ne manifestait aucune velléité de s'enfuir. si la population de chats persistait à bord, peut être pourrat-il lui en laisser la charge entre deux corvées ?

- Et pas question de passer dans votre couchette pour avoir le poste, j'vous préviens.

Allons bon, voilà autre chose !! L'avait-elle pris pour un maniaque, un dépravé ? Ou pire, pour un proxénète ? Raven était au fait qu'une jeune femme pouvait être mariée dès l'âge de 16 ans, certaines plus jeune encore,et à des hommes en âge d'être leurs pères, voire même leurs grands pères, mais lui trouvait cet état de fait grotesque, et même proprement dégoûtant. Au pire il lui aurait effectivement proposé sa couchette, mais uniquement parce qu'il dormait à l'auberge du port lorsqu'il était à Terre et qu'il voulait être sûr qu'elle ne lui ferait pas faut bond jusqu'au départ

- Pour le reste, j'peux m'débrouiller. J'suis plus coriace que j'en ai l'air.

Bonne nouvelle qui pouvait en être une mauvaise aussi... elle avait en effet l'air débrouillarde, un peu trop, et Raven détestait voir sa confiance bafouée, flouée, piétinée, surtout quand il venait potentiellement de sauver une vie. Elle semblait en avoir fini avec ses envies et ses mises en gardes, alors Raven entama les siennes.

- Bien, vous semblez effectivement avoir plus d'un tour dans votre sac, et je puis vous assurer que cela vous sera utile bien avant la fin de cette campagne. Concernant vos bottes, qui vous sont si précieuses, pour une raison que j'ignore, vous pouvez les garder, du moment que vous les fassiez disparaître sous vos braies. Concernant la coiffure, ce type turban est devenu, pour une raison que j'ignore, la coiffe officielle du Razgriz, donc plus vite vous en mettrez, plus vite vous serez acceptée, vos cheveux seront néanmoins raccourcis en cour de voyage, vous n'y couperez pas, c'est obligatoire, tout comme le port de l'uniforme. Maintenant l'épineuse question de ma couchette... j'allais justement vous y contraindre par peur de vous voir me faire faux bond, mais rassurez vous, je dors habituellement à l'auberge du port... maintenant, puisque vous semblez plus que réticente à y passer la nuit, donnez moi une preuve que vous ne me ferez pas faux bond... votre seule parole ne me suffira pas, je vous préviens...

Elle le considéra d'un oeil torve en resserrant les bras sur sa poitrine ce qui tira au chaton un miaulement indigné. L'histoire des cheveux ne lui plaisait pas, mais alors pas du tout. Cela dit, il serait toujours temps d'en rediscuter quand il voudrait les lui couper. Une lueur de franche stupéfaction passa dans ses yeux lorsqu'il proposa de lui laisser sa couchette pour dormir jusqu'au départ, mais elle demeura aussi impassible qu'elle le pouvait, s'attendant à tout instant à un coup tordu. Curieusement il n'avait pas l'air du genre à profiter de la situation. Elle soupira de nouveau et commença à se détendre. Tout cela prenait une tournure inattendue qui n'était pas pour lu déplaire. Elle n'aurait qu'une campagne à tenir sous ses ordres et ce ne pourrait lui être que bénéfique de mettre en pratique tout ce qu'elle avait appris en observant les navires et les équipages dans le porte.

Elle se décida d'un coup à lui faire confiance. Elle était comme ça. Prenant des décisions réfléchies mais déterminées, et s'y tenant. Elle se percha alors assise sur le bord du bureau et croisa les jambes alors que se dessinait sur son visage son premier vrai sourire.

- Je crois qu'on va bien s'entendre Capitaine.

Elle baissa les yeux sur le chaton et le câlina en souriant toujours tout en continuant à parler au jeune homme.

- Vous pouvez me tutoyer vous savez. Surtout si je suis rien qu'un matelot sur vot'bord. Et puis vous aurez qu'à m'appeler par mon nom : Morlame.

Elle leva la tête pour fixer ses yeux lavande sur les siens et fronça légèrement les sourcils, l'air de réfléchir sérieusement à quelque chose.

- Si vous me jurez que vous viendrez pas réclamer des trucs que je veux pas donner, je veux bien rester là jusqu'au départ.

Pas question de lui avouer qu'elle n'avait de toute façon nulle part où dormir, et si ça pouvait lui économiser le prix d'une chambre sur la bourse qu'elle avait volée au marché, ce serait tout bénéfice pour elle. Son regard se fit curieux en dévisageant toujours le capitaine.

- ça vous fait pas peur d'embaucher une chapardeuse comme moi ?

Toujours adossé à la poutre, le regard fixé sur la demoiselle au chaton, le jeune capitaine la scrutait. Elle semblait se détendre, bon début, sans doute acceptait-elle finalement de servir sous ses ordres ? Ou bien était-elle satisfaite de constater qu'il n'avait nullement l'intention d'abuser d'elle ? Toujours est-il qu'un sourire se dessina sur les lèvre de la future matelote et Raven sentait qu'ils finiraient par arriver à un consensus satisfaisant pour eux deux.

- Je crois qu'on va bien s'entendre Capitaine. Vous pouvez me tutoyer vous savez. Surtout si je suis rien qu'un matelot sur vot'bord. Et puis vous aurez qu'à m'appeler par mon nom : Morlame.

Parfait, elle acceptait. Raven se dit juste que ça lui ferait bizarre de l'appeler "Monsieur Morlame" en sachant pertinemment qu'il s'agissait d'une jeune femme, mais il faudrait qu'il s'y habitue rapidement. En attendant, elle n'avait toujours pas donné de preuves de sa bonne volonté au jeune capitaine qui n'attendait que ça.

- Si vous me jurez que vous viendrez pas réclamer des trucs que je veux pas donner, je veux bien rester là jusqu'au départ.

Il était satisfait qu'elle accepte de passer les nuits jusqu'au départ dans sa cabine, il lui serait plus simple ainsi de la surveiller. Non pas qu'il ne pouvait pas lui faire confiance, mais il ne voulait pas être le dindon de la farce. Pas une nouvelle fois.
Elle planta dans les yeux du jeune capitaine ses yeux. De beaux yeux en vérité, une couleur agréable et surtout, important pour Raven, des yeux qui affichaient une volonté farouche de le croire.

- ça vous fait pas peur d'embaucher une chapardeuse comme moi ?

Raven sourit franchement. Si elle avait été au fait des origines et spécialités de bon nombre de ses matelots, elle n'aurait jamais posé cette question. Bon nombre de ses matelots étaient d'anciens voleurs, assassins, ivrognes que la marine avait recueillis et à qui elle avait offert une seconde chance, et aucun ne repartirait dans son ancienne vie. Ceux qui l'avaient souhaité se retrouvaient chez les pirates, dans les geôles gouvernementales ou pendus au gibet de la place publique. Au final les déserteurs étaient tous appelés à mourir, et il espérait que la demoiselle ne serait pas du nombre. Avec de la chance peut être ferait-elle carrière dans la marine ?

- J'espère que votre parole et votre confiance ne font pas partie des choses que vous ne voudrez pas me donner... Pour ce qui est de vos craintes, vous êtes un peu trop jeune à mon goût, si cela peut vous rassurer...

Il alla caresser la tête du chaton qui, immédiatement entreprit de mordiller la main si généreusement offerte.

- J'ai encore du travail à faire ici, si vous souhaitez de la lecture, je dois avoir quelques livres qui traînent au dessus de mon lit. Je vous enfermerais ici tout les soirs, réveil le matin à six heure précises. Je viendrais plus tôt demain pour vous apporter un uniforme à votre taille, puis vous me suivrez pour l'entraînement matinal. Vous aurez intérêt à être endurante jeune fille, je n'exige de mes hommes rien de moins que la perfection, et sachez que mes hommes sont considérés comme faisant partie de l'élite de la marine...

Le sourire du capitaine avait quelque chose de chaleureux et de rassurant. Elle avait envie de lui faire confiance, envie de croire qu'à son service, à ses côtés, les choses pouvaient changer. Il lui offrait une chance inespérée de réaliser son rêve de naviguer, et de cela, elle lui serait toujours reconnaissante, même si elle se laisserait pendre par les pouces plutôt que de le lui dire en face. Elle émit un petit gloussement à sa remarque sur son âge et hocha la tête avec un petit air sérieux tout d'un coup.

- Je fais pas confiance aux hommes. Jamais. Je suis rien qu'une menteuse et une voleuse. Sinon jamais j'aurais survécu seule aussi longtemps. Mais j'ai qu'une parole et je vous la donne. Je sais c'que c'est l'honneur et j'oublierai pas la chance que vous m'donnez.

Elle baissa les yeux sur la grande main qui caressait le chaton dans ses bras et l'écouta tout d'abord sans rien dire, un peu songeuse. Elle ignora purement et simplement sa proposition de lecture, mais leva les yeux vers les petits carreaux brillants des fenêtres. Dommage qu'il y ait tant d'hommes à bord sinon elle serait volontiers montée dans les voilures pour profiter de l'air et du paysage. Peu importe après tout, autant profiter de sa dernière journée de liberté pour se reposer et explorer son nouveau foyer. Elle fixa de nouveau ses grands yeux mauves et étincelants sur le capitaine et lui adressa un franc sourire.

- Je sais bien que vous avez pas trop de raisons de m'faire confiance vu la situation, Cap'taine. Mais j'vous jure que vous r'gretterez pas de m'avoir à vot'bord. Je suis endurante, ça y'a pas d'souci.

Elle s'abstint de mentionner qu'elle détestait recevoir des ordres et qu'il lui faudrait probablement un moment pour s'adapter à l'obéissance que nécessitait l'appartenance à un équipage. Il le découvrirait bien assez tôt, et de toute façon, elle ferait son possible pour rester à sa place, bien trop heureuse d'échapper aux geôles gouvernementales. Souriant toujours, elle libéra une main pour faire un petit salut militaire gentiment moqueur.

- Si vous l'permettez Cap'taine, j'vais m'occuper de c'bébé tigre et explorer avec lui ma cellule... 'Fin vot'cabine quoi...

Elle sauta au bas du bureau et se retrouva de ce fait juste devant lui, le nez dans sa chemise. Se tordant le cou pour le regarder, elle s'amusa une fois encore de l'énorme différence de gabarit entre eux.

- Une dernière chose Cap'taine... J'ai deux ou trois trucs précieux à conserver. Vous avez un coffre ou un truc de c'genre ou vous m'permettriez d'les mettre ?

Visiblement, le fait qu'il la considère comme étant trop jeune pour se permettre de la courtiser sembla amuser la jeune femme. Mais Raven était ainsi fait, pétrit de principes un peu en dehors du temps, un peu bizarres aussi, mais il n'était pas à une bizarrerie près, et le fait d'engager une femme comme matelot et la travestir n'était certes pas la pire...

- Je fais pas confiance aux hommes. Jamais. Je suis rien qu'une menteuse et une voleuse. Sinon jamais j'aurais survécu seule aussi longtemps. Mais j'ai qu'une parole et je vous la donne. Je sais c'que c'est l'honneur et j'oublierai pas la chance que vous m'donnez. Je sais bien que vous avez pas trop de raisons de m'faire confiance vu la situation, Cap'taine. Mais j'vous jure que vous r'gretterez pas de m'avoir à vot'bord. Je suis endurante, ça y'a pas d'souci.

Endurante hein? Certes la vie de la rue procurait une certaine endurance, mais elle n'était rien comparé à ce que le jeune Capitaine exigeait de ses hommes et membres d'équipages. Un voleur savait courir, et avait une assez bonne endurance, mais savoir courir était inutile sur un bateau. Et pourtant, la course d'endurance était préconisée par Raven, car, par un mécanisme qu'il ignorait, elle permettait une bonne résistance à la fatigue. Bien sûr il n'y avait pas que ça. Elle permettait aussi de muscler les jambes, et, par quelques exercices, permettaient une augmentation de l'agilité.
Raven dû de nouveau soutenir le regard de la jeune femme qui tenait toujours la boule de poil. Le félin et la recrue formaient un duo plutôt...étrange. Une forme d'osmose peut être ?

- Si vous l'permettez Cap'taine, j'vais m'occuper de c'bébé tigre et explorer avec lui ma cellule... 'Fin vot'cabine quoi...
- Fais comme tu le sens, mais il n'y a pas grand chose à explorer dans ma cabine...

Le jeune homme retourna à son bureau et commença à faire des prévisions pour son programme d'entraînement, Course évidemment, mais aussi musculation, et entraînement aux sabres. Quelques exercices de tirs pour les Royal Marines et ceux qui le souhaitaient parmi les matelots, exercices à la hache et à la gaffe d'abordage, rien ne serait épargné pour faire des hommes du Razgriz la terreur des pirates. Trois mois que Raven avait le commandement du navire et il n'avait pu faire que quelques tests en mer. Ses Marines s'entraînaient à s'en faire bouillir le sang et les matelots s'entraînaient déjà régulièrement pour ceux qui n'étaient pas de corvée sur le bateau. Mais s'il voulait en faire les pires ennemis de ces rats des mers qu'étaient les pirates, il allait devoir encore augmenter le rythme et la puissance des entraînements, et surtout pour les nouvelles recrues qui arrivaient au compte goute. Le temps passé à l'entrainement ne serait pas perdu, on ne s'entraînait jamais assez et un bon entraînement pouvait faire la différence entre la vie et la mort au combat.

- Une dernière chose Cap'taine... J'ai deux ou trois trucs précieux à conserver. Vous avez un coffre ou un truc de c'genre ou vous m'permettriez d'les mettre ?

Perdu dans ses pensée le capitaine du Razgriz en avait presque oublié sa nouvelle recrue et son petit protégé. Il posa un regard un peu étonné sur la jeune femme puis réfléchit quelques instants. Oui il avait bien un coffre dont il ne faisait plus rien et qui était vide. Il pouvait tout à fait s'en défaire et le laisser à la jeune Morlame.

- J'ai un vieux coffre qui ne me sert plus, je te l'apporterait demain avec ton uniforme... ainsi qu'une petite collation en guise de petit déjeuner.

Roxanne tourna un moment dans la cabine, s'imprégnant de l'atmosphère, touchant les cloisons et les coffres ça et là. Elle s'approcha d'un hublot et observa un moment les eaux calmes du port. Elle se sentait déjà bien à bord, ainsi qu'elle l'avait toujours pressenti. Le chaton était paisiblement installé contre sa poitrine et elle le grattouillait distraitement en arpentant la pièce. La réponse du Capitaine lui fit lever les yeux, et elle lui sourit avec reconnaissance.

- Entendu, on marche comme ça alors.

Elle revint vers le bureau et darda ses prunelles mauves sur le jeune homme avec une curiosité non dissimulée.

- Vous m'avez pas dit vot'nom... Et vous m'avez pas d'mandé mon prénom... Vous voulez pas savoir ?

Sans attendre sa réponse, elle tourna les talons et fila s'installer sur la couchette du capitaine. Adossée à la cloison de planches, elle replia ses jambes contre elle et continua de câliner le petit chat enchanté tout en regardant le capitaine. Bien que le connaissant mal et peu, elle se sentait à présent proche de lui. Peu de gens avaient fait preuve d'une telle générosité et d'une telle justesse à son égard sans rien lui demander d'autre en retour que sa confiance et sa loyauté. Or, de la loyauté elle en avait à revendre, et elle était désormais acquise à cet homme étrange. Elle était bien décidée à devenir son ombre et à apprendre de lui tout ce qu'il lui faudrait savoir pour gravir les échelons. Elle avait envie cependant de le taquiner, de pousser un peu les limites, de savoir jusqu'à quel point elle pouvait le titiller.

- Vous avez une amoureuse ?

Elle le fixait de ses grands yeux lavande emplis d'innocence comme si sa question était totalement naturelle, un très léger sourire malicieux étirant cependant ses lèvres.

Il n'entendit pas la réponse de la jeune femme. Il avait prit deux rouleaux de parchemins et avait commencé à écrire une forme de contrat, pour officialiser l'enrôlement de la jeune femme à son bord.





"

Le jeune homme hocha la tête, satisfait de sa production, il entrepris de le recopier à l'identique sur un autre parchemin, un exemplaire pour lui, un autre pour la nouvelle venue à bord, il songea qu'il lui faudrait aussi rajouter un nom sur le registre de bord.
Un petit mouvement le tira de ses papiers, la demoiselle était revenue.

- Vous m'avez pas dit vot'nom... Et vous m'avez pas d'mandé mon prénom... Vous voulez pas savoir ?

Raven reposa sa plume et regarda la jeune femme et son petit protégé.

- Je n'ai pas besoin de savoir ton prénom, cela m'éviterait de commettre des erreurs qui pourrait t'être préjudiciables en t'appelant par un prénom féminin.Quand à moi je m'appelle Raven.

Il repris sa plume et recommença sa copie. C'était un exercice qu'il n'aimait guère car son caractère faisait qu'il s'évertuait à recopier à l'identique, jusqu'à la forme des lettres. Faire de la paperasse n'était pas une tâche qu'il affectionnait particulièrement, mais hélas, plus on montait en grade et plus on avait de papiers à remplir et à lire, à écrire et recevoir. Raven s'était juré qu'il ne monterai pas plus haut que Capitaine, il voulait encore vivre l'aventure, le frisson du combat, l'exaltation d'une victoire gagnée de ses mains, et surtout pas finir coincé entre quatre murs à crouler sous les papiers, à ne sortir en mer qu'une fois l'an et ne voir en ses escadres et navires que des petits points sur une carte.
En face de lui, la jeune Morlame ne semblait pas en avoir fini avec lui.

- Vous avez une amoureuse ?

Raven ne posa pas sa plume, mais posa sur la gamine un regard surpris. Elle venait de lui faire comprendre qu'elle se refusait à lui, même si le jeune capitaine n'avait jamais songé à quoi que ce soit de sexuel avec elle, et maintenant elle lui demandait s'il avait une femme dans sa vie, avec d'étranges lueurs dans les yeux et un sourire malicieux aux lèvres.
Il ne pu s'empêcher de penser à la chaste innocence de la fille du gouverneur qu'il avait rencontré un peu plus tôt, qui se serait pâmée simplement pour avoir pensé cette question. Il ne su retenir un sourire en coin... il préférait le monde de la franchise à celui des masques de la haute société.
Raven planta son regard dans celui de la jeune femme.

- J'ai eu de nombreuses aventures, au gré des escales et des demoiselles séduites par je ne sais trop quoi en moi, maintenant elles ont toutes trouvé mari et je leur rend visite de temps en temps... Mais sinon je suis célibataire.

Son sourire en coin s'étira d'avantage. Essayait-elle de le jauger ? Jouait-elle? Raven se dit que si elle voulait jouer, il jouerait aussi.

-Pourquoi ? tu es intéressée ?

Roxanne émit un petit gloussement étouffé et bondit sur ses pieds au grand dam du chaton qui poussa un miaulement de protestation. Serrant le petit animal contre son coeur, elle revint une nouvelle fois vers Raven et s'assit sans vergogne sur un coin de son bureau, les jambes pendantes. Le capitaine avait l'air amusé par sa question, mais il répondit sans détour, ce qui ne fit que renforcer l'estime qu'elle éprouvait déjà pour lui. Elle soutint son regard sans ciller, semblant réfléchir à la question de savoir si elle était intéressée. Finalement, un sourire rusé étira ses lèvres et elle se pencha pour approcher son visage tout près de celui de Raven.

- J'vais vous dire un s'cret Cap'taine. Je sais tout c'qu'y a à savoir sur c'qui s'passe dans un plumard... Tout ça sans avoir jamais rien fait moi-même... Vous me suivez ?

Elle se redressa un peu, sans le quitter des yeux, et eut un autre petit gloussement.

- En plus de ça, vous m'avez bien fait comprendre que j'vous intéressait pas, alors comptez pas sur moi pour m'rouler à vos pieds...

Un peu plus sérieuse, elle baissa les yeux et recommença à caresser le chaton qui se mit à ronronner, ravi de toute cette attention.

- Franchement les filles comme moi ont pas beaucoup de valeur dans not'monde, mais si y'a une chose que j'sais, c'est que j'veux pas finir dans un bordel. J'ai qu'un bien en c'monde, c'est ma vertu, et j'compte bien la garder.

Appuyant ses dires d'un petit hochement de tête déterminé, elle posa les yeux sur les parchemins qu'il était en train de noircir.

- Où c'est que j'dois mettre une croix ?

Un coin du bureau du jeune homme se trouva rapidement orné d'une demoiselle visiblement amusée par la tournure des évènements serrant contre elle un chaton, subissant docilement tout les changements de postures de son perchoir en protestant de temps en temps. Raven pour sa part continuait de recopier le contrat qui allait unir Morlame à son équipage pendant la prochaine campagne. mais, soudainement une ombre se profila, il leva la tête pour se retrouver presque nez à nez avec sa nouvelle recrue. Décidément, l'avoir à son bord ne promettait pas d'être de tout repos, enfin, elle finirait par se plier aux règlements elle aussi.

- J'vais vous dire un s'cret Cap'taine. Je sais tout c'qu'y a à savoir sur c'qui s'passe dans un plumard... Tout ça sans avoir jamais rien fait moi-même... Vous me suivez ? En plus de ça, vous m'avez bien fait comprendre que j'vous intéressait pas, alors comptez pas sur moi pour m'rouler à vos pieds...

Elle devait avoir surpris quelques couples pratiquant le coït pendant leurs ébats et n'avait apparemment rien perdu du spectacle. Voyeurisme forcé car surprise en plein cambriolage ou voyeurisme intéressé ? Quelle importance de toute façon, elle n'était pas à bord pour ça. Quand au fait d'avoir une femme rouler à ses pieds, il n'y avait guère qu'une pirate mourante pour l'avoir déjà fait, et Raven lui avait rapidement donné le coup de grâce d'une balle dans la tête. Il n'aimait pas porter la main sur les femmes, mais quand elles se précipitaient sur lui une hache d'abordage en main et la bave aux lèvres, il n'avait pas d'autre choix, et la mort fauchait les malheureuses.

- Franchement les filles comme moi ont pas beaucoup de valeur dans not'monde, mais si y'a une chose que j'sais, c'est que j'veux pas finir dans un bordel. J'ai qu'un bien en c'monde, c'est ma vertu, et j'compte bien la garder.

Elle avait raison. Dans ce monde, les femmes n'avaient d'intérêts que pour procréer ou assouvir les pulsions et envies de leurs compagnons/maris/amants/tortionnaires, rares étaient celles qui accédaient à des postes à responsabilité élevée. Elles étaient bien souvent des marchandises plus que des êtres vivants. Et celles qui souhaitaient échapper à cet état de fait se réfugiaient dans la clandestinité, se plaçaient sous la protection d'une grande dame, entraient au couvent ou... faisaient la plus grande erreur de leur vie et devenaient pirates. Et Raven ne faisait que très exceptionnellement des prisonniers, la plupart du temps les pirates abordés étaient tous massacrés, du capitaine jusqu'au plus jeune des Mousses.
Morlame posa son regard sur le parchemin que Raven acheva rapidement de terminer.

- Où c'est que j'dois mettre une croix ?

Le Capitaine leva vers l'adolescente un regard surpris. Elle ne savait donc pas lire ? Normal qu'elle se méfiât de bon nombre d'hommes, ne sachant pas déchiffrer les mots sur le papiers, on pouvait lui faire signer tout et n'importe quoi, même le fait qu'elle acceptait de servir en tant que prostituée...

- Ne mets pas de croix, essaie de réécrire ce mot (il désigne du doigt le nom Morlane) ici (il désigne maintenant l'espace vide sous le mot Matelot).

Quelle reste sans savoir lire était désolant. Cela expliquait pourquoi elle n'avait pas daigné regarder les livres que Raven lui avait proposé comme lecture. D'un certain côté il avait été chanceux d'être élevé dans son orphelinat, car il avait apprit beaucoup de choses utiles... comme lire et écrire par exemple...

- Bien... Tous mes hommes savent au moins lire, et un peu écrire pour certains, donc, à partir de ce soir, je tâcherais de t'apprendre à lire, si tu es d'accord...

Roxanne cala le chaton sur son épaule et prit la plume avec un gros soupir. Elle regarda l'objet comme si c'était un ennemi puis se pencha sur le parchemin et s'appliqua à imiter les gestes de Raven. Tirant un peu la langue, elle s'efforça de copier au mieux ce qu'il lui avait désigné d'un trait maladroit et imprécis. Cela fait, elle se redressa avec un sourire, enchantée de sa prestation. Arquant un sourcil avec un regard éloquent pour Raven, elle lui signifiait ainsi qu'elle lui faisait confiance pour ne pas lui faire signer n'importe quoi.

- Bien... Tous mes hommes savent au moins lire, et un peu écrire pour certains, donc, à partir de ce soir, je tâcherais de t'apprendre à lire, si tu es d'accord...

Elle se figea avec une brève grimace et regagna la couchette avec un soupir. Récupérant le chaton agrippé à son cou, elle s'allongea sur le côté, face au capitaine, et l'installa devant elle pour grattouiller le ventre qu'il lui présentait sans vergogne. Elle ne répondit pas immédiatement, réfléchissant à la proposition avec sérieux. Bien sûr qu'elle aurait aimé savoir lire et écrire, mais devoir subir des leçons ne l'enchantait pas du tout. Une moue boudeuse se dessina sur ses lèvres alors qu'elle répondait enfin, le regard fixé sur le petit animal.

- C'est vraiment pas la peine. Je vois pas à quoi ça me servira pour briquer le pont ou hisser les voiles...

Elle haussa les épaules puis se roula en boule en serrant le chaton contre elle. Les yeux fermés, elle bâilla longuement et marmonna encore d'une voix un peu pâteuse.

- Ils savent lire les pirates ?

Elle ne réagit à la nouvelle que par une moue boudeuse, et s'allongea sur la couchette pour jouer avec son petit protégé. Raven ne pensait vraiment pas que sa proposition soulèverait aussi peu d'enthousiasme de la part de la demoiselle. Après tout elle ne se ferait pas(ou plus) avoir par un écrit qu'elle aurait signé et qui disait l'exact contraire de ce qu'elle attendait. Mais peut être qu'elle ne comprenait pas l'extraordinaire avantage à savoir lire ? Avec le temps peut être qu'elle comprendrait. Il décida de laisser cette proposition en suspend et se promis d'y revenir à un moment donné.

- C'est vraiment pas la peine. Je vois pas à quoi ça me servira pour briquer le pont ou hisser les voiles...

Certes... ce n'était pas sur les voiles qu'elle pourrait s'entraîner, et encore moins en briquant le pont. Bah, tôt ou tard elle se rendrait compte de l'importance de ce savoir. Pour l'heure, elle avait baillé à s'en décrocher la mâchoire, allait elle s'endormir ? A entendre la voix pâteuse qu'elle utilisa pour répndre à son capitaine, il n'y avait pas de doute.

- Ils savent lire les pirates ?

Raven se rembruni d'un coup. Que venaient donc faire ces rats des mers dans la conversation ? Et pourquoi pensait-elle aux pirates ? Avait-elle l'intention de les rejoindre après ? Si tel était le cas, Raven ne se laisserait pas attendrir et la pourfendrait comme toute celles et ceux qui avaient fait l'erreur de vouloir le combattre. Le jeune capitaine ignorait s'il avait une esquisse de réputation chez les pirates, il n'avait jusqu'ici épargné que trois pirates, et rares étaient ceux qui avaient survécus aux engagements avec l'Aurore. Un seul navire avait pu s'enfuir après avoir gravement endommagé la voilure du bâtiment royal, un coup de chance monumental selon Raven, le capitaine pirate avait choisi d'abandonner les trois quarts de son équipage sur le navire ennemi pour sauver sa peau. Tous avaient été massacrés jusqu'au dernier, malgré leur supplications.

- Je t'avoue que je n'ai pas rencontré assez de pirates vivants suffisamment longtemps pour me parler de ça... pour moi un bon pirate est un pirate mort... je me bats chaque jours pour éradiquer purement et simplement cette maudite engeance de la surface des océans, du plus vieux loup de mer jusqu'au plus jeune mousse...

Son ton s'était fait plus dur, plus froid. Il ne blaguait pas sur les pirates, il prenait le sujet avec le plus de sérieux dont il était capable. Ne serait-ce qu'en mémoire de tout ses frères assassinés, il avait voué sa vie jusqu'ici à la destruction de la menace des pirates, et il continuerait. Tous seraient passés au fil de l'épée ou pendraient au gibet pour le plus grand plaisir des mouettes et autres opportunistes nécrophages...

- Et tant que je vivrais aucun pirate n'échappera à ma justice...

Surprise par la virulence de son ton, elle ouvrit un oeil pour le regarder, puis le referma avec un soupir.

- Franchement, je connais pas trop de pirates moi... Pas du tout en fait...

Avec un petit gloussement, elle se recroquevilla davantage sur elle-même, le chaton bien calé contre son coeur, et s'endormit d'un coup, comme l'enfant qu'elle était encore parfois malgré ses dénégations. Bercée par le roulis, elle resta ainsi quelques minutes sagement endormie, mais très vite elle commença à s'agiter en gémissant doucement. Dérangé dans sa tranquillité, le chaton se mit à miauler et lui mordilla les mains, ce qui finit par la réveiller en sursaut. Troublée, elle reprit son souffle lentement en câlinant le petit chat sans oser regarder Raven de crainte de voir qu'il avait remarqué son agitation. Elle songea avec un nouveau soupir que c'était probablement le léger tangage de la frégate qui lui faisait cet effet et qu'il lui faudrait quelques jours pour s'adapter.

Elle se remit à jouer avec le chaton, le laissant mordiller et griffer légèrement sa main, tout en jetant des coups d'oeil discrets et brefs à Raven. Le capitaine était assez mystérieux à ses yeux. Tout d'abord parce qu'il semblait avoir des principes stricts et n'avait pas cherché à profiter de la situation. Et ensuite parce qu'il éprouvait visiblement une aversion profonde pour les pirates qui tenait plus du sentiment personnel que du simple devoir de marin au service du Gouvernement. Elle se promit de trouver le moyen d'élucider ces mystères à la première occasion. De toute façon, il n'était pas question de s'éloigner de Raven dans les premiers temps, surtout tant qu'elle ne serait pas certaine de l'effet de son déguisement sur le reste de l'équipage.

- Dites... Je vous ai pas d'mandé... J'pourrai garder mon couteau ?

Joignant le geste à la parole, elle avait fait remonter le bas de sa robe jusqu'en haut de sa cuisse pour lui dévoiler l'étui tout simple dans lequel elle avait glissé une dague ouvragée, juste au dessus du bord de sa botte.

La demoiselle sembla surprise par le ton du jeune capitaine, elle le regarda d'un œil presque vitreux puis referma les yeux et répondit d'une voix pâteuse :

- Franchement, je connais pas trop de pirates moi... Pas du tout en fait...

Grand bien t'en fasse pensa le capitaine du Razgriz en la regardant s'endormir.
Pour sa part il revint à ses papiers. Il rangea le contrat de Morlame dans le cahier prévu pour les enrôlements, nota son nom dans les registres d'équipage, nota également les dépenses supplémentaires pour les uniformes et armes du nouveau matelot Morlame et regarda dans les stocks de hamacs s'il en restait un pour lui (elle). Ceci fait, il consulta une fois de plus les registres d'équipage. Il avait à ses ordres directs 85 Royal Marines, une cinquantaine de mousses et 93 matelots en comptant la toute nouvelle recrue. Il lui manquait encore son second et 65 Royal Marines ainsi que 107 matelots pour être dans des conditions optimum pour mener une campagne, les mousses étaient certes utiles mais ne comptaient pas vraiment dans le décompte des hommes d'équipage de la marine. Ce qu'il avait actuellement était largement suffisant pour manœuvrer le bateau,mais largement insuffisant pour engager le combat et, à plus forte raison, le remporter.
Normalement son second devait arriver avec les Royal Marines qu'il manquait ainsi que quelques volontaires du port de Glenia, ils avaient un peu de retard mais rien de bien inquiétant jusqu'ici. Raven espérait juste avoir assez de temps pour entrainer tout le monde de façon satisfaisante avant le départ en mission. Un entrainement progressif et échelonné pour en faire chaque jours un peu plus que la veille, tout en se reposant un jour sur trois. Repos complet bien sur. Raven tournait déjà avec trois équipes qui s'en traînaient à la chaîne. Ainsi il y avait tout les jours une équipe en repos pendant que les deux autres travaillaient ou s'entrainaient. Raven s'occupait des entrainements évidemment, son corps lui réclamait quotidiennement son besoin d'exercices, et avec la promesse de l'amiral de venir constater l'entrainement et l'état du bateau, il fallait mettre les bouches doubles.

Alors... endurance, musculation, entrainement avec les armes, le charpentier a demandé de former une équipe d'urgence pour réparer la coque si besoin... combien d'hommes puis-je lui laisser ? Voyons... 144 hommes aux canons, il reste 56 matelots et la cinquantaine de mousses. La moitié des mousses servira à l'approvisionnement des canons, le reste sera dispersé à la sainte barbe, pour préparer les approvisionnements... comptons une dizaine de mousses, à l'infirmerie, pour transporter les blessés et aider le médecin de bord, pas plus de six, l'espace sera compté, je peux, en prenant quelques risque accorder au charpentier une petite dizaine des mousses ainsi qu'une quinzaine de matelots pour former son équipe d'urgence... il restera 30 matelots pour manœuvrer le navire, c'est pas énorme mais c'est le minimum possible...

- Dites... Je vous ai pas d'mandé... J'pourrai garder mon couteau ?

Raven leva la tête. Morlame venait de se réveiller et remontait sa robe le long se sa cuisse pour dévoiler son arme. Une dague ouvragée glissée dans un étuis adapté à la cuisse. Belle arme en vérité.

- Bien sûr que tu pourras la garder, mais fais juste attention à ne pas te la faire chaparder... si tu sais t'en servir, lors d'un abordage une arme cachée peut s'avérer très utile.

Raven désigna ses armes qui, toujours fixées sur la ceinture, pendaient à un porte manteau.

- Pour ma part je ne cache rien, toutes mes armes sont à la vue de tous... mais certaines cachent des surprises...

Roxanne rabattit ses jupes avec un petit gloussement.

- Soyez certain que je sais parfaitement la manier...

Elle suivit son regard vers la ceinture accrochée à laquelle pendaient ses armes et les observa un moment en plissant les yeux.

- Quel genre de surprises ?

La possibilité de devoir se servir de sa dague au cours d'un abordage ne l'avait pas encore réellement effleurée. Jusque là elle ne s'était servie de son arme que pour se défendre en cas de besoin. Soudain la perspective de combattre, des pirates qui plus est, lui donna un frisson. Elle s'interrogea sur ses capacités réelles et comprit l'importance de l'entrainement, si dur soit-il, pour des gens comme elle, qui n'étaient pas de combattants au départ, pas des soldats du moins.

Pour la première fois, elle réfléchit aux implications réelles de son engagement. Beaucoup de choses risquaient de changer pour elle, pour qui elle était, et pour son avenir aussi. Cependant, c'était une opportunité inespérée de progresser dans la hiérarchie maritime. Du moins si elle parvenait à faire croire à tout le monde qu'elle était un homme. Il serait toujours temps de dévoiler sa véritable identité le jour où elle serait capitaine, encore que ça ne soit probablement pas une idée judicieuse.

Curieusement l'idée de se faire passer pour un homme tout sa vie lui apparaissait tout à la fois assez excitante et triste. Même si la possibilité d'avoir un homme dans sa vie était très loin d'être à l'ordre du jour, elle n'avait encore jamais songé qu'elle puisse rester célibataire toute sa vie. En fait elle n'y avait jamais réfléchi aussi sérieusement et trouvait cela perturbant, comme si elle devait choisir dès à présent de l'orientation de toute une vie.

Toutes ces réflexions ne lui avaient pris que quelques secondes et elle fixait toujours les armes du capitaine, se demandant quels secrets elles pouvaient bien recéler.

- Soyez certain que je sais parfaitement la manier...
- Je l'espère pour toi car sois sure que tu en auras bien besoin, et bien plus tôt que tu ne le penses...

De fait, Raven pensait faire un entrainement particulier avec la demoiselle pour juger quel groupe d'entraînement lui conviendrait le mieux, et ce dès le lendemain. Le quartier maître connaissait les entraînements par cœur et il suffisait au capitaine de lui dire de forcer un peu plus pour qu'il le fasse. Ensuite, Raven faisait régulièrement des entraînements particuliers avec tel ou tel élément pour voir s'il pouvait passer à la catégorie supérieure ou non. Ceux qui passaient dans une catégorie plus élevée voyaient leurs entrainements physiques se raccourcir, tout en restant assez éprouvants, mais avaient aussi des cours de tactiques et de visée au canon surveillés par des officiers des Royal Marines. Ainsi montait-on en grade sur le Razgriz, par le mérite et uniquement le mérite.

- Quel genre de surprises ?

Morlame ne quittait pas les armes de son capitaine des yeux. Raven se doutait qu'elle cherchait en ce moment même quelles pouvaient être les bizarreries apportées aux armes qu'elle voyait.
La rapière était tout à fait normale, à ceci près qu'elle n'était pas celle en vigueur dans la marine pour les officiers, il s'agissait de celle forgée par son frère forgeron pour ses quinze ans, une arme superbement forgée à laquelle Raven tenait plus que tout. Sa caractéristique principale était que la garde représentait un tigre en pleine détente, toutes griffes et crocs dehors. Pour la petite histoire, il avait grièvement blessé en duel un de ses camarades nobles qui sous entendait que cette arme n'était "pas faite pour un gueux" selon ses propres dires et qui avait tenté maintes fois de la lui dérober. Privé de service actif à cause de cette blessure, ce noble se trouvait maintenant comme aide de camp de l'Amiral général en métropole.

Ses deux pistolets dans leurs étuis ne présentaient rien d'anormal non plus, si ce n'est leurs crosses toutes deux renforcées d'acier et équipées de petites dents, une fois le pistolet déchargé, on devinait sans peine à quoi l'arme pouvait servir : de casse tête. Une fois sorti de l'étui, on s'apercevait que les pistolets avaient chacun deux canons, une surprise en soi car ainsi armé, l'homme qui se serait jeté à terre pour éviter la première décharge ne pourrait éviter la seconde.
Évidemment tout ceci restait caché, sauf aux membres d'équipage qui avaient déjà vu leur capitaine tirer, ou alors de ceux des Royal Marines qui avaient déjà servit sous les ordre de Raven sur l'Aurore, ces derniers avaient trouvé à leur supérieur le surnom de "Tigre des mers" sans doute à cause de celui présent sur la rapière.
Raven regarda Morlame, qui semblait attendre une réponse de sa part. Un sourire en coin étira son visage sur la gauche, et il s'adossa à sa chaise.

- Tu t'en rendra compte par toi même, jeune matelot, pour l'heure essaie de deviner

- Tu t'en rendra compte par toi même, jeune matelot, pour l'heure essaie de deviner

Roxanne esquissa une grimace dépitée et examina plus attentivement les armes sans bouger de là où elle se trouvait. Impossible à cette distance de trouver la moindre particularité à ces armes, hormis la garde ouvragée de la rapière. Plissant les yeux, elle reconnut un tigre bondissant et l'admira un moment. Le travail semblait minutieux et d'une finesse rare. Renonçant à comprendre sans examiner les armes plus avant, elle haussa les épaules avec une moue boudeuse et souleva le chaton pour frotter sa joue contre sa tête.

- Je sais pas Cap'taine, j'donne ma langue au chat... Va falloir me montrer...

Un éclat malicieux brilla dans ses yeux lavande et elle se glissa hors de la couchette en y laissant le chaton. Celui-ci tourna en rond deux ou trois fois puis se coucha sur le dos, les pattes en l'air comme un appel aux caresses. Elle le délaissa cependant et s'approcha de la patère à laquelle pendait le ceinturon. Elle ne toucha pas les armes mais se contenta de les observer avec minutie. Les crosses de ses deux pistolets étaient également particulières. Elle tourna autour un moment puis reporta son attention sur Raven.

- Elles ont été faites spécialement pour vous, hein ? Z'avez d'la chance...

Elle ressortit son couteau de l'étui de sa cuisse et laissa retomber sa robe. Examinant la lame et le manche, elle laissa échapper un petit soupir puis leva de nouveau les yeux sur le Capitaine.

- Vous voulez savoir comment j'l'ai eu ?

La nouvelle recrue sembla quelque peu désappointée par la réponse de son supérieur et eut une mimique boudeuse. après avoir observé les armes suspendues, elle reporta son attention sur le jeune félin pour une énième séance de mamours

- Je sais pas Cap'taine, j'donne ma langue au chat... Va falloir me montrer...
- Vas voir d'un peu plus près alors...

Le jeune capitaine la regarda observer ses armes. Sans la perdre des yeux il s'approcha de sa bannette et s'empara du chaton qui, dès qu'il fut dans ses mains, s'empressa de lui mordiller et griffer les doigts. Morlame regarda longuement la Rapière et les crosses des pistolets. Raven savait ses deux pistolets chargés aussi se tenait-il sur ses gardes, peut être n'était-elle rien d'autre qu'une pirate chargée de le surveiller?

- Elles ont été faites spécialement pour vous, hein ? Z'avez d'la chance...

Raven acquiesça. Il ne pu répondre car sa gorge c'était serrée. De la chance... la rapière était un cadeau qu'un de ses défunts frères lui avait forgée et donnée juste avant d'expirer, ce jour là il avait perdu tout les membres de sa famille d'adoption, tous sans exceptions, non il n'avait pas eut de chance pour cette arme. Les deux autre avaient été faites pour lui en effet, et là il avait eut un peu de chance. Sa matelote venait de sortir la petite dague de son étuis. Raven, après avoir repris son calme, ne pu s'empêcher de penser que l'arme était bien trop ouvragée pour être l'arme d'une voleuse, elle devait être le fruit d'une de ses nombreuses rapines.

- Vous voulez savoir comment j'l'ai eu ?

Il s'était déjà posé la question de savoir comment l'objet était arrivé dans ses mains, mais les paperasses avaient rapidement occultée la question. Mais maintenant qu'elle soulevait le problème, la curiosité du jeune capitaine était piquée...

- Je m'étais justement posé la question, comment l'as-tu eue? Aïe !!

Le fauve avait réussi à trouver un endroit sensible sur les doigts du jeune capitaine, une blessure due à un certain piège à rat dans une certaine bibliothèque, et la zone était encore légèrement sensible... Mais Raven, après avoir donné une gentille pichenette sur le museau du chaton, attendait l'histoire de Morlame.