-
Ohé en bas ! Terre ! Terre sur bâbord. Butchlet leva les yeux vers la vigie qui se trouvait quelque part au-dessus du fatras d'espars, de poulies, de manoeuvres et de voiles. La brume commençait à se dissiper et le commandant n'était pas malheureux d'avoir réussi conserver un cap à peu près correct en dépit de la tempête qu'ils venaient d'essuyer et la brume qui s'était levé le matin suivant cette nuit apocalyptique qui avait durement éprouvée l'Equinoxe et les hommes qui y servaient, mousse comme commandant, gabier comme canonnier. Butchlet agrippa la lisse de la dunette en voyant les derniers lambeaux de brumes se dissiper en petits tourbillons qui passaient au-dessus d'eux en s'enroulant dans les mâts avant de disparaître. La terre commençait à se dessiner, une vaste ligne noire qui coupait l'horizon gris. Il se dirigeait droit dessus. Derrière eux, comme pour célébrer leur arrivée, montait le soleil, un soleil rose qui donnait un peu de couleur, un peu de vie à cet équipage.
La cloche pointa six heures du matin l'équipage de quart fut relevé. Ils étaient trempés, la brume avait empli tout le navire d'une humidité qui dégoulinait le long des voiles. Il faisait encore frais mais Butchlet savait que ça ne durerait plus. Il attrapa une longue-vue et la pointa devant lui.
Fändir... Ils y étaient. Le pilote tenait la barre tranquillement, un bon petit vent établi les poussait gentiment vers Assecia, où tout finirait pour recommencer. Butchlet se tourna vers un enseigne qui fouillait dans le coffres à signaux.
-
Monsieur Alamy, je vais aller me changer. Soyez assez aimable pour réveiller le troisième lieutenant Janome et lui dire de venir me voir dans ma cabine.L'enseigne Alamy n'avait jamais que dix-sept ans, il était roux et plutôt fin. Son visage constellé de tâches de rousseur lui donnait un air juvénile qui jurait quelque peu avec son uniforme.
-
J'y vais commandant. Il disparu en trottant lorsqu'il s'élança dans l'échelle qui rejoignait l'intérieur de la petite frégate. Butchlet ne tarda pas à prendre le même chemin après avoir donner les instructions au pilote qui se tenait près de la roue. Il arriva dans sa chambre, elle n'était pas bien grande mais lui suffisait amplement. Il n'en revenait toujours pas, malgré le fait que tout ai volé dans la cabine durant la tempête, tout avait été remit en place comme si de rien n'était.
Il repensa à la tempête qu'ils avaient éprouvés avant d'arriver en mer Zannir... Elle avait été fatale à une portion importante de l'équipage, Butchlet se demandait encore comment l'Equinoxe avait réussi à rester à flots. Le mât de hune s'était fait arraché dès le début puis la mer était devenue si grosse que le mât de beaupré avait plongé dans une vague qui l'avait brisé aussi simplement qu'une brindille desséchée. Bien des voiles s'étaient dechirées et sans la solide construction de l'Equinoxe, la frégate aurait dématé dès le début de l'ouragan.
Toute la nuit, l'équipage s'était battu contre les lames, les bourrasques, la pluie et les mouvements du navire malmené. Parfois l'un d'entre eux passait par-dessus bord, certains étaient aperçus, d'autres non, victimes inaperçues des caprices du temps.
Butchlet frissona et se débarassa de sa chemise qui était trempée. Quel spectacle horrible devait être celui de voir son navire s'éloigner dans l'obscurité avant de mourir... La porte s'ouvrit et Butchlet cru un instant qu'il s'agissait de l'officier le plus haut-gradé après lui, le troisième lieutenant. Mais ce n'était que son maître d'hôtel, Francis. Il portait un plateau.
-
Je m'suis permis d'vous faire vot' café m'sieur, 'me suis dit qu'vous en auriez p'tet envie... Butchlet souria tristement en voyant le solide marin poser son plateau sur le bureau.
-
Vous avez bien fait Francis, merci.Tout l'équipage avait été terriblement affecté par cette tempête, ils avaient perdu des amis ou seulement des connaissances mais sur un navire "petit" comme l'Equinoxe, tous se connaissaient de près ou de loin et il était dur de voir l'un des siens mourir. Le second-lieutenant était passé par dessus bord, les deux quartiers-maîtres avaient péris, l'un écrasé par un canon qui avait rompu son attache et l'autre pour avoir été emporté lors de la chute du mât de beaupré. Plusieurs mousses, cinq au total, deux fusiliers et deux enseignes étaient aussi manquants ou tués.
La porte s'entrebailla et laissa apparaître la tête du troisième lieutenant Janome.
-
Vous m'avez fait demander monsieur ? Butchlet ne supportait pas cet homme qui agissait de manière tyrannique et injuste avec les hommes qu'il commandait et parlait de manière méprisante et acide.
-
C'est exact monsieur Janome, nous sommes en vue de Fändir, nous n'allons pas tarder à arriver si le vent tient bon. Une fois que nous serons à quai, vous prendrez personnellement les réparations en main avec l'aide des derniers officiers. Je me rendrais chez le gouverneur pour nous mettre sous ses ordres.
Autre chose, je ne vous nomme pas second car vous êtes trop jeune et manquait d'expérience, aussi je demanderais de nouveaux hommes, y compris un nouveau Lieutenant une fois à la demeure du gouverneur.-
Je comprends monsieur... Puis-je me retirer ? Bolitho avait perçu le regard plein de haine que lui avait lancé le jeune homme.
-
Vous pouvez y aller.*****
Poussée par un bon petit vent qui était resté établi, l'Equinoxe avait laissé les falaises de Cadalik sur bâbord et la muraille naturelle de Fändir passait désormais derrière eux. Ils allaient entrer dans la baie d'Assecia. On voyait le phare qui trônait, majestueux. Butchlet avait revêtu son plus bel uniforme après s'être fait rasé de près par Francis.
-
Envoyez les couleurs fändiriennes !Le pavillon s'élevait le long de la drisse et Butchlet appela la chef canonnier.
-
Monsieur Yoque ! Préparez les canons pour la bordée de salut !Puis l'Equinoxe fut dans la baie, battant le fier pavillon de la marine locale. Butchlet pris une longue-vue et pointa Assecia qui se montrait enfin à eux. Elle était vaste et rappelait certains ports à Butchlet. Il y avait des myriades de bâtiments, des vastes vaisseaux militaires aux exigus navires de pêche familiaux.
- Saluez !Un à un, les canons tonnèrent pour saluer le fort qui leur rendait la pareil. Du port, Butchlet pu voir des éclairs réflechissant le soleil. Il allait falloir faire une manœuvre parfaite, tous les observaient en se demandant quel était ce bâtiment sorti de nul part.
L'Equinoxe, frégate de sa Majesté, arrivait en rade d'Assecia.
Butchlet regardait les navires à quai à côté desquels régnait une intense activité. Vraisemblablement, tous les quais étaient occupés et des nombreux bâtiments patientaient en rade, au mouillage et entre eux de nombreuses petites embarcations faisaient la navette entre les navires et la terre ou entre les navires eux-mêmes. Il était temps de rejoindre ces bâtiments.
-
Carguez-moi ces voiles ! Faites mouiller l'ancre ! Bosco ! Prenez le nom de cet homme !Tandis que les gabiers repliaient la toile et que l'Equinoxe se laissait porter par la force des voiles restantes. Il y eu un grand "plouf" à l'avant et Butchlet eu la confirmation que le navire était mouillé. Tandis que les hommes se relâchaient après cette éprouvante traversée, Butchlet appela son maître d'hôtel.
-
Francis ! Mettez mon canont à l'eau ! Aussitôt dit, aussitôt fait. Le canont glissa le long du bord et toucha l'eau. Les marins étaient déjà en train de s'installer aux postes d'aviron sous la surveillance du patron d'embarcation qu'était Francis. Butchlet confia ses ordres au troisième lieutenant.
-
Monsieur Janome, en plus des ordres que je vous ai confié, vous trouverez une enveloppe scellée vous indiquant les dispositions à prendre en cas de disparition de ma personne. Elle se trouve dans le tiroir de mon bureau. Alors que ce dernier approuvait et que Butchlet se préparait à partir, il se retourna.
-
Monsieur Janome. N'oubliez pas que ces hommes sont sous vos ordres et sous votre responsabilité. Traitez-les humainement et ils vous le rendront... J'espère revenir vite. Sur ces mots, il tourna les tâlons et quitta le bord tandis que la garde du bord lui rendait les honneurs. Tandis que les marins poussaient sur leur avirons, l'Equinoxe s'éloignait doucement. Pour la première fois depuis l'ouragan, il voyait son navire de loin. Quel état misérable. Le navire sans son beaupré était dénaturé.butchlet commençait à comprendre pourquoi tant de longue-vues s'étaient tournées vers eux. Le navire avait dû faire sensation. Ils passèrent derrière un imposant vaisseau de ligne qui lui cacha la vue de sa frégate. Les odeurs de la ville lui parvenait déjà, les bruits également. On entendait des animaux, des appels, des insultes, des cris... Ils arrivèrent au niveau des quais et Butchlet laissa ses hommes repartir en leur disant qu'il prendrait un canot.
Il se retourna et fit ses premiers pas sur le sol de Fändir... Il devait arriver chez le gouverneur d'ici une petite demie-heure.