Caleb avait ouvert son auberge depuis quelques heures déjà. Le soleil commençait à réchauffer la salle. L’aubergiste faisait les mêmes gestes, servait les mêmes personnes. Tout était pareil de jour en jour. Trois têtes nouvelles étaient venues s’installer au fond de la pièce. Caleb les observait, une impression de déjà-vu. Trois bons bougres visiblement, mais pourquoi avait-il la désagréable impression de ne pas les porter dans son cœur ? L’un des trois, un grand gaillard, le visage rempli de balafre, s’approcha du comptoir d’un pas lent, un sourire sadique étirant son faciès.
- Alors tu ne me reconnais pas ? Aurais-tu un p’tit trou de mémoire ? Ça fait un moment, mais tu d’vrais t’en rappeler non ?Il sortit de sa poche un vieux médaillon rayé de part en part. Ce médaillon… Ce fut un flash pour Caleb, un froid paralysant traversa son échine. Ce ne pouvait pas être possible. Il était mort, il l’avait vu tomber… Barag ! Ce tueur sanguinaire ! Une longue histoire entre lui et Caleb. Et pas une histoire très cordiale.
- Donc tu tiens cette… comment dire… bicoque minable ? Il se mit à rire, un rire froid, pénétrant la chair comme des lames de rasoirs. Tu es tombé bien bas, mon pauvre. Ne m’regarde pas comme ça ! Tu croyais vraiment t’être débarrassé de moi aussi facilement ? Tu aurais dû finir le boulot quand tu en as eu l’occasion. Tu es faible et le sera toujours.Il se remit à rire. Même un feu ardent n’aurait pu réchauffer l’atmosphère qui régnait entre ces deux pirates. Caleb se reprit et ouvrit enfin la bouche :
- Qu’est-ce que tu fais là… Sors d’ici… C’est de l’histoire ancienne tout ça. Je ne suis plus de ce monde-là…- Et tu ne le seras plus d’aucun, répondit Barag d’un ton froid.
Il se retourna vers ces deux compères restés au fond de la salle, leur intimant l’ordre de vider l’auberge. Ce qu’ils firent assez efficacement, dégainant leurs pistolets, et menaçant tout le monde. En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, l’auberge était vide. Caleb se préparait, sa main posé discrètement sur son fusil, son précieux fusil.
- Qu’est-ce que tu veux, Barag ? Tu ne crois pas qu’on peut passer à autre chose ?- Tu te fous de moi ?, hurla-t-il.
Après tant d’années à te chercher, ma vengeance est là. Et tu voudrais que je passe l’éponge ?Barag sortait de ses gonds. Une de ses grandes faiblesses, pensa Caleb. Aussi puissant et impitoyable qu’il pouvait être, ses excès de colère déstabilisait son jugement et sa façon de combattre. Les deux sbires se rapprochèrent du comptoir. C’est maintenant ou jamais se persuada l’aubergiste. Il sortit son fusil et tira sur le premier, le touchant au visage. Mort sur le coup. L’effet de surprise réussit, Caleb eu le temps de dégainer son poignard et, attrapant le deuxième par le col pour le coller contre le bar, trancha net sa gorge.
- Que…, hurla à nouveau Barag.
Le sang coulait le long du comptoir, une cascade rouge. La fureur de l’aubergiste remontait en lui. Toutes ces années de piraterie, de sauvagerie, de meurtres sanglants pour des butins dont il ne voyait jamais la couleur. Tout revenait en lui comme une grande claque au visage.
- Crois-tu vraiment que tenir une auberge est amenuisé mes forces ? Loin de là !! Tu veux te venger d’une vieille histoire causée par ta faute. Le bateau devait être vide mais tu étais là avec tes hommes. C’était un abordage sans sang et cris. Mais tu nous as trahis. Le capitaine voulait que je te tue. Et je pensais l’avoir fait. Je ne te manquerais pas cette fois-ci !Caleb hurlait. Une rage qu’il ne pouvait contenir l’envahit. Tout ce raffut alerta des hommes de mains de l’Impératrice. Ils aperçurent par la fenêtre que les choses tournaient mal. Ils s’informèrent auprès des badauds sortit de force de l’auberge et comprirent qu’il n’était pas bon de rentrer maintenant. Leur devoir était de prévenir l’Impératrice de ce qui se passait sur ces terres.
- Je brulerais ton auberge et tout ce qui l’entoure, et si tu en réchappe, je brulerais toute l’île !! Le feu sera ton seul échappatoire ! Et je te regarderais bruler, Caleb. Je regarderais ta chair fondre !! C’en était bien assez. Les hommes de l’Impératrice devaient la prévenir. Si l’issue du combat était de tout bruler, ces hommes ne recevraient qu’un juste châtiment pour attaquer ainsi les terres de la chef des pirates. Ils partirent de ce pas l’avertir, jugeant préférable de les laisser s’entretuer.
Caleb quant à lui était on ne peut plus prêt à en découdre. Bien des années s’étaient écoulées depuis qu’il avait arrêté la piraterie, mais au vu de ce qu’il venait de faire à ses deux incapables, il n’avait pas perdu la main. Il sortit de dessous le comptoir son épée.
- Puisqu’il en est ainsi, Barag, allons-y. mais un seul de nous deux traversera le seuil de cette porte, crois-moi. Caleb s’approcha de Barag doucement. Il savait que ses dernières paroles allaient l’énerver, ce qui pourrait faciliter le combat. Et jackpot. Barag était fou de rage. Il bouillonnait et fonça comme un taureau sur l’aubergiste. Ce dernier l’esquiva d’un pas sur le côté, le laissant s’écraser lamentablement sur le comptoir. Le combat avait débuté. Fou de colère, Barag renversa tout ce qui se trouvait à sa portée, prit une bouteille qui trainait et la lança sur Caleb. Celle-là, il ne put l’esquiver. Seulement le temps de lever le bras, et la bouteille s’y écrasa, propulsant des débris de verre. Ils éraflèrent le visage de Caleb, le déstabilisant un peu. Mais ce n’était pas le moment de faiblir, car le pirate fonçait déjà sur lui. Il réussit à esquiver deux coups d’épées qui aurait pu être mortelles, repoussa le troisième de sa lame, et lança une attaque sur le bras armé de Barag. Manqué ! Rapide le bougre. Les lames continuèrent de s’entrechoquer pendant quelques minutes. Les tables étaient renversé, les chaises utilisées comme armes ou boucliers, l’auberge ne ressemblait plus à rien. Cela ne pouvait plus durer. Caleb redoubla d’attaques et de parades, cherchant le point faible de son ennemi. Enfin ! Une attaque toucha son adversaire à la jambe, le faisant chanceler, mais il riposta aussitôt, entaillant le bras droit de Caleb. Le sang chaud coulait le long de son bras, déposant ses gouttes sur le sol. Tandis qu’il coulait, la rage, elle, montait crescendo. C’en était trop ! Caleb ne laissa pas le temps à Barag de respirer, souffrant de sa jambe tailladée. Il l’attaqua sans relâche, hurlant toute la colère qu’il avait en lui. Une, deux, trois, cinq, dix coups de lames. La onzième trancha la main armée de Barag, arrosant Caleb d’une giclée de sang chaud. La douzième entailla profondément le bras gauche du pirate. Et vint enfin le coup de grâce. La lame s’enfonça dans le torse de Barag, le traversant de part en part.
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- Comment… espèce d’enf…, eut-il le temps de dire avant que Caleb ne tourne sa lame dans le corps devenu flasque du pirate sanguinolent.
Un dernier râle, une dernière secousse et Barag n’était plus de ce monde. Caleb lâcha son épée resté planté dans le corps agenouillé devant lui. Il retourna une chaise renversée et s’assit, regardant autour de lui. Son passé l’avait rattrapé, une vie de piraterie sanguinaire qu’il pensait loin derrière lui. Elle était là, devant lui. Baignant dans son sang. L’auberge était saccagée. Une chaise avait même traversé une vitre, éparpillant du verre. Tout le monde avait fui le combat autour de l’auberge. Ne voulaient-ils pas être mêlés à tout ça, surement. Caleb était seul. Comme il l’avait toujours été. Il arracha l’épée du corps qui s’effondra en avant, envoyant une dernière giclée de sang. Caleb en avait ses vêtements pleins. Sa douleur au bras le sortit de sa torpeur. Il s’avança vers le bar et sortit une bouteille de rhum. Il en bu à grande gorgées et mit le restant de la bouteille sur sa plaie, se retenant d’hurler.
C’était fini pour son auberge, jamais il ne pourrait y mettre les pieds sans que ses clients ne craignent une attaque. Ainsi donc sa vie de tavernier s’arrêtait là. Il lui fallait trouver quelqu’un pour reprendre le flambeau. Il avait déjà son idée en tête. Un petit jeunot, droit dans ses bottes. Il l’avait repéré, se doutant bien qu’un jour où l’autre la mer lui manquerait et qu’il repartirait. Il s’affaira à tout remettre en ordre, du mieux qu’il pouvait, mais cela allait lui prendre un peu de temps.
***
Une semaine plus tard, l’auberge avait été remise au propre et la vitre réparé. Il avait pu recontacter le jeune Milo Soneas, jeune gaillard, prêt et motivé à redonner vie à cette auberge.
C’est le cœur lourd de bons et mauvais souvenirs que Caleb reprit le chemin de la mer, se retournant une dernière fois pour admirer cette auberge qu’il avait tant bichonné. Une nouvelle vie s’ouvrait à lui, et il comptait bien la saisir.