Iris s’était arrêtée au milieu des petits pains dès l’instant où le prêtre prononça ses premiers mots. Bien que dos à son interlocuteur, la jeune femme tendit l’oreille et se montra plutôt attentive, comme un élève sérieux l’est avec son professeur. Pendant ce petit moment, elle ne tenta ni de prendre la fuite, bien que cela fut sa première intention, ni même de se retourner. Un petit sourire imperceptible avait pris place sur ses lèvres rosies par la chaleur de la pièce. Elle faillit rire à pleine voix, mais se retint à temps, de peur que les personnes présentent interprètent mal son comportement.

Les questions d'Angelo étaient parfaitement justifiées et Iris se doutait que beaucoup étaient ceux qui se les étaient posées avant lui. Les réponses, elles, étaient sûrement moins agréables à entendre. Avaient-ils seulement besoin de savoir qu'elle avait assassiné quelqu'un il y a quelques semaines à peine ? Et sans remord qui plus est ? Pouvaient-ils comprendre qu’elle n’avait fait que se défendre d’une agression ? En tuant un homme important, elle s’était attirée la colère de sa famille et de ceux qui lui étaient proches, au point qu’il avait réclamé son arrestation. Aujourd’hui, elle fuyait les villes, mais était forcée d’y entrer de temps en temps pour trouver de quoi manger. Comme aujourd’hui par exemple, le maïs des champs voisins n’étant plus vraiment à son goût.

La jeune femme se retourna doucement, ne levant que très tardivement le regard. Les yeux d’Angelo étaient fascinants. Un mélange subtil de vert et de marron. Ils incarnaient la douceur et la sagesse. Pourtant, il semblait si peu sûr de lui. Quel étrange personnage ! Les autres avaient l’air beaucoup plus à l’aise, bien que la situation soit quelque peu inhabituelle.

- Si j’avais eu d’autre choix que de chaparder, croyez-moi je l’aurais fait…dit-elle en s’adressant principalement au propriétaire de la boulangerie. Mais…j’avais trop faim…et dans le dernier verger que j’ai visité l’homme a lâché son chien pour me chasser. Je pensais qu’il y avait moins de risques ici… Je vous jure je ne vous volerai plus, ne me punissez pas s’il-vous-plait ! Je paierai ce pain de n’importe quelle manière, mais ne me dénoncez pas aux soldats ! On me couperait la main ! Encore pire, on m’exécuterait ! Je vous supplie monsieur !

Elle était à genoux, à la fois craintive et affolée. Son cœur battait à la chamade, ses joues étaient étrangement rouges. Une arrestation pour un simple vol suffirait à ce que l’on découvre la vérité ! Que pouvait-elle faire pour qu’ils la prennent en pitié ? Leur dire la vérité ?

- On me chasserait de n’importe quel travail convenable. Regardez-moi ! Même un cochon sent la rose à côté de moi. Je n’ai pas de vêtements mettables…avoua-t-elle en serrant la cape pour y abriter la robe souillée de sang, de boue et d’urine.

-Tss.

L’expression peinte sur le visage d’Iris changea du tout au tout. La peur laissa place à la colère. Un sourire acide, méchant, qui trahissait son profond dégoût pour les propos d’Angelo prit place sur ses lèvres. Un instant elle se demanda ce qu’elle détestait le plus au monde : la Religion ou celui qui la faisait vivre ? Le Créateur ou Angelo ? Aucun ne lui était venu en aide lorsqu’elle en avait réellement eu besoin. Aucun n’avait nourri son petit frère, soutenu ses parents et empêché qu’elle intègre une maison de prostitution. La faim, les larmes. Rien de tout cela n’avait été excusé. Aujourd’hui elle portait le sang de son Maître sur les mains. Triste avenir que le Créateur lui avait réservé ! Etait-ce son destin, d’être traquée, humiliée et affamée ?

D’un geste de la main elle chassa le prêtre, désirant le voir s’éloigner. Brièvement elle se retourna et saisit la poignée de la porte. Une porte qui ne menait à rien, si ce n’est à une cour infranchissable. Honteuse d’avoir emprunté le mauvais chemin, elle rougit un instant puis reprit sa bonne vieille expression : celle d’une jeune fille dépassée, colérique et trop fière pour se dire en difficultés. Ils étaient tous comme Jei. Ils la prenaient en pitié, lui proposaient de l’aide alors qu’ils ne la connaissaient même pas. Qu’allaient y gagner, si ce n’est un « merci » et quelques sourires emprunts de gratitude ? Rien. A moins qu’ils attendent quelque chose d’elle, dans le plus grand secret. Ce quelque chose, elle ne comptait pas le leur donner.

- Vous êtes très drôle, Angelo !

Sa gorge se serra. Elle se sentait déjà honteuse des propos qu’elle allait prononcer à son encontre. Pourtant ils sortirent de sa bouche aussi naturellement d’une comptine pour enfant.

- Votre Dieu m’a abandonné. Tout comme il a abandonné bien des gens. Que sont censées m’apporter vos paroles ? Du réconfort ? Je n’en veux pas. Je n’en ai pas besoin. Gardez donc votre pitié pour les personnes qui viendront frapper à votre porte de leur plein gré ! Un jour peut-être, vous vous retrouvez dans la même situation qu'eux. Là, plus que quiconque, vous désirerez la miche de pain que vous aurez offerte à une personne que vous ne connaissiez même pas.