Ulrik Wang
Naufragé
Sujet: Ulrik Wang Jeu 18 Nov - 21:50 | |
| Ulrik Wang Corsaire Nom : Membre de la famille Wang
Surnom : P'tite Mousse, en référence à son métier et à son allure frêle.
Âge : 29 ans, mais on lui donnerait à peine plus de vingt ans en raison d'un problème de croissance.
Groupe : Joyeux Corsaires
Métier : Il travaille en bas de la hiérarchie, à savoir mousse. En même temps, vu sa taille, il n'avait pas beaucoup de possibilités.
Équipage : Indéfini - À venir (Comme d'habitude, je fais ça sous forme de liste)Taille : 160 centimètres. Corpulence : Ulrik est très petit et souffre de sa taille. Il est atteint d'on ne sait quelle maladie qui l'a empêché d'avoir une croissance normale. Il est plutôt malingre. Couleur des cheveux : Noir Coupe de cheveux : Plus jeune, Ulrik aimait avoir les cheveux courts. Depuis qu'il est en mer, il se contente de les laisser pousser. Couleur des yeux : Verts-Jaunes Couleur de peau : Plutôt claire en temps normal, il bronze cependant un peu lorsqu'il est en mer. Style vestimentaire : Ulrik aime les habits décontractés, mais ce qu'il préfère, ce sont ces larges chemises blanches dans lesquelles il flotte. Ses vêtements sont rarement à sa taille, ils sont généralement un peu trop larges pour lui. Il s'arrange toutefois pour qu'ils ne soient pas trop longs. Ulrik aime porter un haut blanc, il l'accompagne volontiers d'un pantalon foncé, car c'est tout de même plus pratique pour s'asseoir, et c'est moins salissant. Il porte parfois une veste bleue marine un peu délavée. Ulrik accorde assez peu d'importance à ses vêtements en général, ce qu'il veut, c'est qu'ils soient agréables et pratiques à porter. Bijoux: Avec ses économies, Ulrik a réussi à s'acheter une bague en or blanc, qu'il ne quitte jamais. Il porte généralement des bijoux fantaisie, peu résistants. Il a notamment autour du cou un certain nombre de ficelles colorées ou à motif, mais on les voit assez peu avec ses vêtements larges. Armes : Ulrik reste fidèle à la dague, qu'il possède depuis ses débuts dans le métier. Néanmoins, dans le cadre de son métier de corsaire, il s'est acheté un sabre, qu'à force il a fini par savoir utiliser. Il s'en servait surtout lors des grandes batailles contre les pirates ou les étrangers, mais a décidé de l'abandonner. Droitier/Gaucher : Gaucher Avec le temps, Ulrik a appris à s'accommoder des railleries des autres. Il a compris que l'essentiel était ce qu'on était à l'intérieur. Depuis, Ulrik met un point d'honneur à se comporter de la manière la plus droite et la plus juste possible. Bien évidemment, cela reste un idéal qu'Ulrik n'atteindra pas. Il est si facile de ''replonger'', selon ses propres termes, c'est-à-dire retrouver un comportement maladroit et désagréable. Ulrik se bat sans cesse contre ses mauvaises manies, et il semblerait bien que ce soit elles les plus fortes. Le sens de l'honneur, Ulrik ne le possède pas, et il ne sait même pas quels avantages il pourrait en tirer. Lorsqu'il pourchasse les pirates, il n'a qu'un seul but : s'en débarrasser. Il n'éprouvera ainsi aucun remord à battre un pirate à terre et si vous osez lui faire remarquer cette cruauté de sa part, il vous répondra que c'était un pirate et qu'il n'avait que ce qu'il méritait. En un sens, Ulrik est un peu naïf et simplet, mais toute la subtilité de son caractère est qu'il désire être meilleur. Il n'a pas conscience de tous ses défauts, qui somme toute sont assez nombreux, mais il tient à se libérer de ceux qu'il connait. C'est dans ce sens qu'Ulrik sait faire preuve d'une droiture d'esprit qui est plutôt admirable. Au final, même s'il n'est pas un saint, et que certaines de ses actions sont répugnantes, on ne peut s'empêcher de le trouver enfantin. Si vous vouliez retracer mon histoire, il vous faudrait tout d'abord vous rendre dans une petite maison de pêcheur, à l'embouchure du Wicekith. Votre regard se tournerait vers la mer, et vous la trouveriez si belle en cette fin de journée. Mais si vous prêtiez attention au bruit aigu que vous entendriez, vous vous apercevrez qu'il s'agit d'un cri de nouveau-né. Tournez vous vers la maison et regardez pas la fenêtre, vous verriez alors une jeune femme aux cheveux noirs allongée dans son lit, son bébé sur elle, et à côté son mari, l'heureux père de cet enfant qui ne savait pas encore toutes les peines que j'allais lui causer. Car oui, ce bébé, c'était moi, et ce que je viens de vous raconter est le tout début de ma vie. La maison où je suis né est située au pointe d'une vieille avancée rocheuse, un lieu des plus banals qui ne vaut pas la peine d'être décrit. Le village vit essentiellement du produit de la pêche de poissons, dont une part est revendue à des marchands qui vont eux-mêmes les vendre aux nobles de Soakith. C'est un cycle sans fin. Nous voyons régulièrement arriver leurs grands bateaux ; les nôtres paraissent minuscules en comparaison, mais comme le disait si bien mon père, ils suffisent à tout bon pêcheur. Enfant, je voyais des beaux adultes bien habillés, visiblement très riches, mais je n'avais pas envie de leur ressembler, plus tard. Mais je brûle les étapes. Ma naissance fut un jour de fête. Les voisins se succédèrent pour voir le petit garçon qui venait de naître. Ils se plaignaient d'avoir trop de petites filles, ce qui ne m'a jamais dérangé. Ma mère reçut quelques cadeaux des plus fortunés, des bibelots sans intérêt pour la plupart, si ce n'était une petite pierre verte qui s'était retrouvée là par hasard. Puisque personne ne savait à qui elle appartenait, on me l'a donna, et ce fut le tout premier jouet que je reçus. Ma famille n'était en effet pas des plus riches, si bien que je devais me contenter de jouets ''fait-maison''. Leur valeur résidait dans le travail que ma mère avait effectué pour les fabriquer. À cette époque, j'étais encore fils unique.
Je montai sur mon premier bateau très jeune. Je devais avoir à peine plus de deux ans. J'étais fasciné par l'embarcation de mon père, cette petite barque un peu vieillie qui passait pour moi comme le plus fabuleux des trésors. Le bois était vieux et craquait sous le poids de mon père ; pour ma part, j'étais assez léger pour m'y déplacer sans aucun bruit. Deux petits bancs avaient été posés au fond de la barque, sans compter les quelques tonneaux où mon père rangeait les poissons et le matériel de pêche. Le bateau se dirigeait grâce à une voile très fine, qui se serait déchirée à la moindre tempête. La barque me paraissait immense et son odeur de poisson me présageait déjà de grandes aventures. Mon père commença alors à ramer afin de nous faire sortir du port, puisque, lorsque le vent commença à pouvoir nous pousser, il laissa la voile faire son affaire. Mais je regardais plutôt la mer, accoudé au bord de la barque. Je tendais ma main vers l'eau avec difficulté, et quelques fois une vague venait lécher ma paume. Ça me faisait rire. Ma main sentait le sel, une odeur que j'apprécie encore aujourd'hui. Mon père nous arrêta à un endroit assez proche de la côté ; je me souviens avoir protesté et voulu qu'il m'emmène au bout du monde. C'est alors qu'il me parla pour la première fois de l'île des pirates, Ybella. Si nous continuions trop vers l'Est, nous tomberions nez à nez avec les pirates. Et ceux-ci n'étaient pas des cœurs tendres : ils n'hésiteraient pas à tuer un père et son petit garçon, même s'ils n'avaient rien à nous voler. J'écoutais avec une fascination mêlée d'horreur le récit de leurs attaques, de leur appâts du gain, des butins fabuleux qu'ils conquéraient... La pensée d'une telle richesse me faisait rêver, mais je frissonnais à l'évocation des horreurs qu'ils commettaient... Ayant sans doute deviné mon trouble, il m'invita alors à l'observer pendant qu'il pêchait. Il avait un grand filet qu'il lançait dans l'eau ; s'il le lâchait, il le perdait, et il faudrait en faire un nouveau. Régulièrement, il remontait le filet pour ramasser les quelques poissons qui y étaient accrochés, puis le rejetait à la mer, dans l'attente de nouvelles prises. Je n'avais encore jamais vu de poisson vivant : jusqu'alors, ils étaient morts quand ils arrivaient dans mon assiette. Il était étrange de voir qu'ils perdaient toute leur grâce quand ils étaient hors de l'eau. Dans la mer, ils nageaient rapidement et sans hésitation, comme de minuscules flèches argentées. Mais à l'air libre, ils sautaient dans tous les sens sans vraiment parvenir à s'échapper. Ils étaient pathétiques, mais enfant, cela me faisait rire... Bientôt, le ciel commença à se couvrir. Mon père jugea plus prudent de rentrer. Nous repartîmes à la rame. Quant à moi, je me tournai une dernière fois vers l'Est, intrigué par les fameux pirates. Puis-je dire que c'est de là que vint ma vocation ? Je n'en sais rien. Moi, je rêvais de grandes aventures, de richesses, de pirates morts, tués par mes coups d'épée meurtriers. Je n'avais pas prévu de devenir mousse...
Je n'ai pas reçu d'éducation, ce qui fait que je ne sais pas lire ni écrire. Dès que je fus assez fort pour porter les filets, j'embarquais presque tous les jours avec mon père et nous allions pêcher dans des coins divers et variés. Progressivement, mon intérêt pour l'île des pirates se tarit. Cela tenait à deux principales raisons : tout d'abord, j'étais incapable d'apercevoir Ybella, et si cela donnait dans les premiers temps à l'île un aura de mystère, très vite cela me lassa. Ensuite, je grandissais. Je n'étais plus aussi naïf qu'auparavant, je n'avais plus le même besoin d'histoires qu'à deux ans. Pour un peu, je me considérais déjà presque comme un homme, puisque je travaillais pour nourrir ma famille. Je rejetais l'enfance, mais je n'avais pas la maturité d'un adulte... Si je n'étais plus fasciné par les pirates, je m'efforçais de craindre, comme tous les marins, de croiser un jour leur route. J'étais nourri par les ragots du port, si bien qu'Ybella ne m'apparaissait plus comme un lieu hors du commun. J'en étais venu à n'accorder aucune importance aux pirates. En parallèle, je me liai d'amitié avec les garçons du village, de vrais chenapans qui se prenaient aussi pour des hommes. J'adoptai leur démarche nonchalante et leurs tics habituels à force de jouer avec eux dans ce qui tenait lieu de docks. Ce fut une période insouciante de ma vie. C'est avec eux également que je goûtai la première fois de l'alcool : nous trouvions le goût atroce, mais aucun de nous ne l'aurait avoué. Ce fut une habitude que nous prîmes dès lors qu'il nous fallu nous démarquer de bandes de garçons plus jeunes que nous. J'aurais beaucoup de choses à raconter sur la vie des garçons dans les villages portuaires, mais ce n'est pas le plus intéressant de mon histoire.
Ma vie bascula, si j'ose dire, à l'âge de dix ans. Ma mère venait de mettre au monde une petite sœur. Une petite sœur. C'était la catastrophe pour moi. Je devais désormais tout partager avec ma sœur, y compris mes parents, et chacun sait que ceux-ci se comportent plus gentiment avec leurs filles que leurs fils. Ils lui donnèrent mes anciens jouets. Je piquai une crise quand je vis que ma pierre verte en faisait partie. Ils ne comprenaient pas mon intérêt pour ce banal caillou qui m'avait aidé à faire mes dents. Mais qu'importe ce qu'ils en pensaient. Une nuit, je volai la pierre verte dans le berceau de ma sœur. Évidemment, elle ne s'en rendit jamais compte, puisqu'elle était trop petite pour se rappeler qu'elle la possédait. Je cachai la pierre dans l'une de mes poches. Si mes parents remarquèrent sa disparition, ils ne dirent rien non plus. La vie continua toujours sur le même chemin monotone. Je me dirigeais vers l'adolescence, où le désir de liberté était plus fort que tout. J'accompagnais toujours régulièrement mon père à la pêche. Avec ma bande, nous commencions sérieusement à nous intéresser aux filles tout en prenant l'habitude de boire de temps en temps un coup dans une taverne. L'homme qui gérait celle-ci ne s'offusquait pas de vendre de l'alcool à de si jeunes garçons, du moment qu'il amassait de l'argent. Parfois, je me demande si l'arrêt précoce de ma croissance n'y serait pas lié. Je l'ignore. J'ai toujours été raisonnable avec l'alcool, jamais plus d'un verre à cette époque. Cela me suffisait amplement. Certains garçons, qui étaient plus vantards que les autres, en buvaient plusieurs, et étaient malades le lendemain. Ça m'était arrivé une fois, si bien que je n'avais plus jamais abusé, même en étant adulte. Je peux être très sage, parfois.
À douze ans, je fus embauché comme mousse sur le bateau d'un marchand de Glenia. Il avait une livraison urgente à faire au monastère d'Ulirac. Il avait besoin de renouveler son équipage après une attaque de pirates dont il avait survécu par miracle. Il s'appelait Moël Therversont, gentiment surnommé ''M'sieur Moël'' par son équipage. Il recrutait à la taverne, où ma bande s'était à nouveau réunie. Je n'avais pas toujours à mon verre, intrigué par l'homme jovial qui faisait rire les clients à l'autre bout de la taverne. Il avait alors lancé, en imitant l'accent du coin : « C'lui qui veut faire partie d'mon équipage, l'a qu'à d'mander ! » Cela les fit rire de plus belle. Le soir, quand j'en parlai à mon père, je fus étonné de voir qu'il considérait cela comme un projet sensé. Il avait effectivement entendu parlé de Moël Therversont, et les remarques étaient généralement positives. En outre, cela me permettrait de voyager et de me perfectionner dans la marine. Nous allâmes tous les deux lui rendre visite le lendemain matin. Son navire me paraissait aussi immense que la barque de mon père quand j'avais deux ans. On voyait notamment qu'il avait été réparé, mais j'étais trop anxieux pour vraiment m'en soucier. Pourtant, c'était justement ses réparations qui l'empêchait de recruter un personnel de qualité : pour un bateau, le sien était en assez mauvais état, mais comme j'avais appris par la suite, c'était un bateau de Soakith. Il n'avait pas le temps de retourner là-bas pour le faire véritablement réparer par des artisans. Aussi s'était-il contenté de quelque chose de superficiel, car il devait absolument rattraper la perte de sa cargaison lors de la dernière attaque des pirates. Le capitaine nous accueillit chaleureusement. Il maniait le langage avec beaucoup plus de délicatesse qu'il n'avait laissé voir la veille à la taverne. Il écouta les arguments de mon père, me jugea du regard, et annonça qu'il m'engageait en tant que mousse : « Pour l'instant, mon garçon, étant donné ta petite taille, ça te conviendra très bien. Plus tard, lorsque tu auras fait tes preuves et développé un peu plus tes muscles, tu pourras devenir matelot à part entière. Mais pour l'instant : bienvenue à bord ! Tu peux m'appeler ''M'sieur Moël'', comme les autres. » Sa décision remplit de joie toute ma famille. Grâce à mon travail, nous avions peu gagner assez de confort pour qu'on puisse désormais se passer de mes services. Et il fallait dire que cela restait toujours une bouche en moi à nourrir, considérable même pour un garçon de mon âge. Quelques jours plus tard, j'embarquai avec Moël.
En tant que mousse, ma position n'était guère enviable, mais elle me convenait parfaitement. J'avais à effectuer toutes les sales besognes, celles que les autres ne voulaient pas. Je passais un temps fou à nettoyer le pont, c'était devenu ma spécialité. Mais j'aidais le cuisinier lorsqu'il me le demandait, par exemple. Lors des escales, j'allais à terre pour aider les marins à remonter les barils d'eau fraîche. J'étais le plus jeune de l'équipage, si bien que le capitaine et son équipage me prirent sous leur aile. Ils me montraient un tas d'astuces pour vivre en mer sans les conforts terrestres, comment faire des nœuds, et même à manier la dague, au cas où un équipage pirate nous attaquerait. Moël m'en offrit même une en guise de salaire. Elle était simplement mais résistante, s'adaptait parfaitement à la morphologie d'un garçon de mon âge. Initialement, elle ne devait m'être utile que les premières années, mais ma très faible croissance a fait que je la garde toujours. Elle est un peu vieille, mais pas trop usée, car je lui accorde un soin tout particulier. À vivre en mer, je pris l'accent, les habitudes et les goûts des marins, excepté peut-être pour l'alcool, qui n'avait pas le même goût que chez moi car beaucoup plus fort. Il me rendait beaucoup trop malade, si bien que je perdis l'habitude de boire. Ça aurait été aussi votre cas si vous aviez été malade en pleine mer, où vous aviez du mal à vous habituer à être constamment sur l'eau. J'ai bien cru que j'allais mourir ce jour-là, mais je pense qu'il s'agit surtout de l'imagination fertile d'un jeune garçon. Au terme du périple, Moël était satisfait de mon travail, si bien que je fus autorisé à rester. C'est à ce moment-là que je reçus ma dague. Les cinq années que je passai à bord de son navire furent parmi les plus heureuses de ma vie. J'avais l'impression de m'être trouvé une nouvelle famille, qui remplaçait celle que j'avais laissé près du Wicekith. Et c'est là que je remarquai que je ne grandissais plus. J'avais atteint ma taille définitive à quatorze ans, et j'étais franchement petit et chétif. C'était un sujet de plaisanterie parmi l'équipage. Si cela m'avait d'abord ennuyé, j'avais très vite appris à ne pas faire attention à une bande de marins alcoolique. Moël aussi trouvait cela drôle, mais il se montrait plus compatissant. Il s'efforçait toujours de comprendre ce que je ressentais. Et c'est grâce à lui que mon intérêt pour les pirates se réveilla.
Nous ne fûmes jamais attaqués par les pirates. Pourtant, je me rappelais les histoires que me racontait mon père, et elles m'intriguaient de nouveau. Je savais qu'une personne était capable de répondre à mes questions : le capitaine lui-même. Aussi, un soir où il était seul à regarder la mer, je m'avançai vers lui. « Eh, M'sieur Moël ! » Il se retourna, puis sourit quand il me vit. C'était peu de temps avant que je quitte l'équipage, et bien que j'étais plus âgé que lorsque j'y étais entré, je ne paraissais pas beaucoup plus vieux. D'un signe de tête, il m'encouragea à parler. « Comment qu'ils sont, les pirates ? - Pourquoi me demandes-tu cela ? - Comment ça ! Ça m'intrigue ! On dit que vous les avez vu, et que c'était pour c'la que vous r'cherchiez un nouvel équipage quand j'suis venu... - C'est exact. Crains-tu les pirates, pour me poser une telle question ? - Ben justement... J'sais pas trop... Mon père m'a raconté des histoires quand j'étais gosse, mais bon, j'étais gosse, quoi. Et pis y les a p'têtre même pas rencontrés, les pirates ! Alors j'sais pas. Mais vous, vous savez, hein ? J'suis sûr qu'vous savez. Vous les avez vus, ces pirates ! Vous savez ce que c'est ! - Tu serais bien fou de ne pas les craindre... - Pourquoi ? - Ils ne sont pas comme nous, tu sais. Ils n'ont pas été éduqués de la même manière. Ils viennent tous la même île... - Ybella ? - Oui. Cela fait-il partie des histoires que ton père te racontait ? - Y m'a juste dit qu'les pirates habitaient là... quand j'étais gosse... j'voulais aller voir là-bas, mais y voulait pas... - Il avait raison, tu sais... Ybella n'est pas un lieu sûr. C'est le repaire des pirates. S'y rendre, c'est se résoudre à une mort certaine. -Et donc, les pirates sont comment ? -Cruels. Sans scrupules. Pour un peu, on dirait qu'ils ont perdu leur cœur. Je n'ai jamais vu un pirate faire preuve de sentiment... Je suppose que c'est antinomique. (Je ne compris pas ce mot) Ils sont gouvernés par l'homme le plus impressionnant que j'aie jamais rencontré... Van Lowen. » Allez savoir pourquoi, ce simple nom me fit frissonner. Ce n'était qu'un homme, après tout, mais la manière dont Moël en parlait m'amenait à penser qu'il était bien plus que cela. Un personnage intéressant, somme toute. Je me demandais si j'avais envie de croiser sa route, un jour... Peut-être pas. Moël se tut, bouleversé par ce qu'il m'avait raconté. Respectant son silence, je m'éloignai sans trop savoir que penser des pirates.
J'y réfléchissais parfois, pendant le temps qu'il me restait. Quelques fois, j'en venais à partager l'horreur de Moël au point d'espérer ne jamais les rencontrer. Quelques fois, la curiosité l'emportait et j'avais envie de les voir. Et d'autres fois, j'avais envie de prendre les armes contre eux pour leur faire payer les horreurs qu'ils avaient infligées à leurs victimes. Car Moël m'avait convaincu que tout ce qui se racontait sur eux était vrai. J'étais indécis et plein des fougues de la jeunesse.
Aussi, lorsque quelques mois plus tard vint le moment de le quitter, ma voie était déjà tracée. Nous venions de livrer une cargaison à Assecia lorsque Moël nous annonça sa décision de rentrer à Soakith. Malgré nos soins, le bateau était en trop mauvais état pour continuer ainsi. Désormais, il ne pouvait plus y échapper : il fallait qu'il prenne la mer pour retourner chez lui. S'il avait toujours retardé sa décision, la peur des pirates en était la cause : car s'il s'aventurait trop loin de Fändir et que les pirates attaquaient, il était perdu. La première fois, il n'avait dû son salut qu'à un équipage de corsaire qui passait par là ; mais cette fois-ci, il n'aurait pas la même chance. Il devait être sûr de lui avant d'entreprendre ce voyage. Moël proposa à ceux qui ne souhaitaient pas rejoindre Soakith de quitter l'équipage. Nous avions trois jours pour prendre une décision : ceux qui partiraient seraient alors laissé à Assecia, libres de faire ce qu'ils voulaient. La plupart ne voulurent pas quitter Moël, car ils n'auraient pas su quoi faire s'ils quittaient l'équipage. Certains étaient trop âgés pour se faire réembaucher ailleurs et désiraient de tout leur cœur continuer à naviguer. D'autres étaient trop attachés au capitaine pour s'en séparer. Quelques téméraires ne craignaient pas les pirates et étaient certains de ne jamais les rencontrer. Quant à moi, je ne pouvais me résoudre à Fändir. Quitter ainsi sa terre natale, à seulement dix-sept ans, c'était trop pour moi. Je ne connaissais rien de Soakith, mais je pensais que si tout le monde parlait à Moël, ce n'était pas le genre de lieux que j'aimerais fréquenter. Rester loin de ma famille était faisable, mais certainement pas aussi loin. La menace des pirates me paraissait insignifiant, car malgré ma petite taille, je me sentais invincible. Je n'étais tout simplement pas prêt à quitter ma famille aussi définitivement. Impensable. Je préférais encore être séparé par la mort, car c'était une barrière qu'on ne peut franchir. Ce qu'on est bête quand on est jeune.
Finalement, je quittai l'équipage avec de nombreux regrets. Les adieux furent difficiles, mais moins que si ça avait été ma famille, j'en étais convaincu. J'étais laissé à l'abandon dans une ville que je ne connaissais pas, Assecia. Je ne savais pas vraiment ce que je comptais faire. Deux choix s'offraient à moi. Soit je m'arrangeais pour retourner au Wicekith, mais pour cela, je devrais sans doute me faire engager par un équipage lambda, car il était hors de question de voyager par la terre : je ne connaissais que les mers de Fändir. Soit je réalisais un vieux rêve dont je n'avais vu l'opportunité que très récemment : aller à la rencontre des pirates en devenant corsaire. Je sais, cela paraît très beau, et particulièrement à un jeune de dix-sept ans qui rêve de son avenir. On s'imagine un grand guerrier voguant à bord du plus splendide des vaisseaux, adulé par les jeunes femmes en détresse qu'on aurait sauvé des pirates. On n'aurait jamais été blessé, toujours victorieux, toujours souriant. Évidemment, dans mes rêves, je faisais abstraction de ma petite taille, c'était beaucoup plus idyllique ainsi.
Je réussis à me faire engager sur le bateau du capitaine Zparek. C'était l'un des hommes les plus grands qu'il m'eut été donné de voir, il faisait presque le double de ma taille. Il était solidement bâti, les muscles de ses bras étaient pas exemple pour gros que ma propre tête. Pour achever son portrait, il avait les yeux bleus les plus froids de tout Fändir. Pourtant, quand il ne combattait pas les pirates, il était d'une gentillesse incomparable. Il acceptait volontiers de raconter d'où venaient toutes les cicatrices qu'il avait sur le corps, généralement d'un combat contre les pirates, mais parfois c'était plut anecdotique. La cicatrice en forme de serpent qu'il avait sur le visage, par exemple, lui venait d'une chute dans les rues d'Assecia, une nuit où il avait trop bu. Il avait trébuché et était tombé violemment face contre terre. Son visage avait été alors couvert de sang et son nez à moitié cassé. Il n'avait gardé comme souvenir de cette nuit-là que cette fameuse cicatrice. Cela amusait les marins. Mon départ avec le capitaine eut lieu une semaine après avoir quitté l'équipage de Moël. Zparek n'était pas contre un mousse supplémentaire pour son magnifique navire, la Vengeance Désirée. Toute peinte en bleue nuit, la coque se confondait avec la ciel comme le soleil se couchait, si bien qu'on aurait dit un bateau fantôme. Zparek assurait que cela lui permettait d'approcher plus discrètement les pirates. Bien sûr, en pleine journée, le vaisseau était beaucoup plus voyant, mais cela ne le gênait pas outre mesure. Nul doute que celui-ci respirait beaucoup plus l'opulence que celui de Moël. Les quartiers du capitaines et de ses subalterness étaient considérables. J'y entrais quelques fois pour y faire le ménage et j'étais impressionné par toutes les richesses que j'y voyais : lit double avec de grosses couvertures très douces, beaucoup d'oreillers, d'immenses vitres avec vue sur la mer, des miroirs, des bibelots divers, des tableaux, des tapis, des gardes-robes bien remplies, des bureaux lumineux où il devait être agréable de travailler... Cela n'avait rien à voir avec la minuscule cabine que je partageais avec les autres mousses dans la cale : le confort était sommaire et cela sentait le renfermé. Mais qu'importe, je ne restais là que la nuit et je n'avais que très peu de possessions personnelles. Le jour, j'aidais un peu partout sur le bateau. Ma réputation de laveur de pont commençait à se faire : on disait de moi que je transformais le bois en miroir. Les marins aimaient y contempler leur reflet et voir les désastres que la vie en mer peut causer sur l'organisme. Avec mon petit corps, j'étais relativement épargné, car j'avais moins de besoins que les autres, mais une portion identique à la leur. L'un des rares avantages à être petit...
Le jour avant la première attaque contre les pirates, le capitaine Zparek fit venir les nouvelles recrues dans son office. « Vous allez devoir prouver aux autres que vous méritez votre place ici ! Vous voulez être des corsaires et représenter fièrement notre gouverneur ? Alors voici l'occasion rêvée ! Demain, nous allons attaquer un navire pirate qui s'approche un peu trop des côtes de Fändir... Et il est hors de question que quiconque reste à fainéanter ici tandis que les autres se démèneront contre les pirates ! Vous allez chacun devoir vous battre. Vous avez droit à l'arme de votre choix. Si jamais vous n'en avez pas... débrouillez-vous pour vous en faire prêter une. Et que ça saute ! »
Le soir-même, je fouillais dans ma sacoche pour en sortir la dague de Moël. Je n'avais que cela et pas forcément envie d'emprunter une lame à quelqu'un. Je connaissais l'équipage : ils étaient fiers et trouveraient forcément le moyen de me faire regretter de demander leur aide. Je ne m'étais encore jamais vraiment battu, mais je savais que j'avais plus de chance de m'en sortir avec une arme connue. J'étais tout excité à l'idée de me battre, mais c'était une belle illusion. Le lendemain, je me tenais avec les autres sur le pont, attendant avec impatience le moment de l'attaque. Les corsaires expérimentés étaient très calmes. Ils avaient des armes très variées, courtes, longues, plutôt pointues, très tranchantes, simples, décorées... Leur personnalité semblait s'y refléter. Les corsaires plus jeunes avaient des armes plus neuves également : on voyait qu'elles avaient moins servies que celles de leurs aînés. Globalement, ceux-ci discutaient entre eux avec insouciance. Quant aux petits derniers, dont je faisais partie, l'angoisse se lisait sur la plupart de nos visages. Nous avions vraiment l'air de canards boiteux. C'était à se demander si nous allions survivre à notre premier combat... Puis le capitaine Zparek apparut sous les acclamations des corsaires. Il fit un long discours sur l'importance de notre rôle, l'honneur, la justice, et d'autres choses, mais je ne comprenais pas vraiment ce qu'il disait. Du coin de l'œil, j'observais le bateau pirate que nous allions devoir attaquer. Il me paraissait bien petit en comparaison du nôtre. Cela s'annonçait un combat facile. Quand Zparek, se tut, les corsaires se mirent à crier et bientôt, ils sautèrent vers le bateau pirate, que certains de nos marins avaient préalablement agrippé. À mon tour, je m'élançai, et pour la première fois je me retrouvai plongé dans l'horreur d'une bataille. Les premiers hommes tombaient déjà, le sang coulait sur le pont – et mon instinct de mousse-laveur me fit grogner. Nettoyer tout cela aurait été très difficile. Mais très vite, je repris pied dans la réalité quand un pirate arriva vers moi. Apparemment, il ne paraissait pas décontenancé par mon aspect juvénile. Il me donna un coup d'épée au ventre. J'eus beau sauter en arrière, la lame traça une entaille dans mon ventre ; elle me semblait profonde. Au temps pour ma gloire. Je m'écroulai, étonné par ce que je ressentais à l'endroit de ma blessure. J'avais mal et cela me brûlait mais c'était quelque chose... de bizarre... Je ne pourrais pas l'expliquer. Je croyais que j'allais mourir ; c'est mon visage je crois qui convainquit mon attaquant que c'était bien le cas. Il s'éloigna vers un autre combat sans chercher à m'achever, persuadé que c'était fini pour moi. Nous avions tort. Je fermai les yeux et laissai ma tête reposer sur le sol. Un liquide poisseux commençait à se mêler à mes cheveux, mais je n'y prêtais guère attention. Je n'étais même pas angoissé par l'idée de mourir : je trouvais cela tellement irréel que je ne savais plus où j'en étais. Mort, vivant, quel importance ? Je ne sentais que ma blessure au ventre, si douloureuse et pourtant si intrigante. Doucement, je passais ma main gauche sur ma blessure, puis la regardai couverte de sang. Couverte de mon sang. J'avais du mal à me faire à cette idée. Je réprimais une envie de rire. Mon sang. Rien que cela. Bientôt, les bruits de combat se turent et il se trouvait que les corsaires avaient gagné. Les derniers pirates étaient en train de se faire tuer, puis les cadavres étaient jetés par dessus bord. Les corsaires récupéraient leurs corps, séparant les blessés des morts. Je fus transporté sur notre bateau jusque dans l'infirmerie. Autour de moi, j'entendais les gémissements de mes compagnons. J'étais étrangement calme. Abasourdi, même. C'était une situation tellement nouvelle pour moi... Je ne comprenais rien. Au bout d'un temps considérable, quelqu'un examina ma blessure. « Incroyable ! Ta blessure est profonde, mais elle n'a pas atteint d'organe vitaux. Un vrai miracle... Comment t'as fait ton coup, vieux ? C'est ton premier combat, hein ? C'pas croyable ! T'as d'la chance, c'est moi qui t'le dis ! Tu seras sur pied dans quelques jours, à temps pour la prochaine attaque. » Je ne commençai à gémir à mon tour que lorsque je fus assuré de rester en vie.
Après chaque combat, le capitaine Zparek retournait en ville pour recruter de nouveaux membres d'équipage. C'était à ce moment-là qu'il nous donnait notre paie. Mon salaire était minime, mais largement suffisant pour un jeune homme casanier comme moi. En dehors de mes besoins, je ne dépensais pas plus d'argent que nécessaire. J'avais même réussi à mettre de l'argent de côté. Parmi l'équipage, on se disait que les butins étaient beaucoup plus importants que ce qu'on nous laissait croire, mais que Zparek et ses hauts membres d'équipage gardaient tout pour eux. D'après ce que j'avais vu dans leurs quartiers, cette rumeur ne devait pas être infondée. Mais je n'étais pas du genre à réfléchir beaucoup à ces choses-là. Mes autres combats furent quelques peu meilleurs. Je récoltais certes toujours autant de blessures, mais j'avais déjà tué quelques pirates. C'est alors que l'un des matelots, avec qui je m'étais lié d'amitié, me conseilla de m'acheter une arme avec une lame plus longue que ma dague. C'était un corsaire expérimenté, qui avait eu pitié de ma taille et qui me considérait un peu comme le fils qu'il n'avait jamais eu. Il me donna quelques pièces pour m'en acheter une et me laissa seul dans Assecia. Drôle de père, quand même. Il m'avait simplement conseillé la boutique d'un de ses amis, mais je devais me débrouiller tout seul pour la trouver. Très sympathique de sa part. J'interrogeai quelques passants, mais la plupart m'évitaient comme la peste. Soit. Finalement, je me mis à errer dans la ville et c'est par hasard que je trouvais son enseigne : un lion vert avec une épée plantée dans le ventre. Absolument charmant, me diriez-vous. Mais mon soulagement était grand. Quand j'entrai, je fus assailli par une odeur étrange : celle d'une arme neuve. Au fond, un vieil homme s'activait à décorer le manche d'un couteau. Apparemment, celui-ci devait valoir très cher, puisqu'il était doré et brillait fortement. Le vieil homme leva la tête vers moi : « Un couteau pour le gouverneur... Faut bien que je me recycle, parce que les armes, j'ai de la concurrence ! Mais qu'est-ce que tu veux, gamin ? - Ça. » Je lui désignai une arme qui avait attiré mon attention à cause de sa forme. J'aimais bien sa couleur, un peu plus brune que les autres. Elle était jolie. Je la voulais. « T'es sûr, gamin ? C'est pas la meilleure de mes armes... En même temps, t'as pas l'air d'être très friqué... T'as des sous, au moins ? - Ouais. - Et tu sais compter ? - Ouais. » Forcément, je savais compter. C'était indispensable, quand je marchandais avec mon père. J'avais appris à lire les nombres et à les calculer, à manier les pièces également, à négocier... Pour le lui prouver, je sortis la somme qui était indiquée sur la pancarte. « Ça t'convient, vieux ? - Ouais, ça me va... Elle est à toi. Tu sais t'en servir ? - Nan, mais j'apprendrai. » Il parut intrigué mais avant qu'il puisse me donner le moindre conseil, j'étais déjà parti, mon sabre pendant sur le côté. Mon ami le corsaire fut étonné de me voir revenir avec cette arme, mais il haussa les épaules : après tout, ce n'était pas son problème.
Certes, les premiers combats avec ma nouvelle arme furent compliqués : je n'y étais tout simplement pas habitué et j'ai bien failli me faire décapiter plusieurs fois avant de me sentir un peu plus à l'aise avec mon sabre. Mais dès lors que ce fut fait, j'éprouvai une étrange satisfaction à la manier. On me disait souvent que ma manière de me battre n'était absolument pas réglementaire, on s'en moquait, du moment que j'étais efficace. Je les approuvais totalement. Rien n'est plus beau que punir un pirate. C'est ainsi. C'est également indirectement grâce à elle que j'acquis le surnom de ''P'tite Mousse''. J'étais devenu un expert en nettoyage de lames ensanglantées. Bien évidemment, le produit nettoyant que j'utilisais produisait beaucoup de mousse, d'où le féminin de mon surnom. Il était non seulement efficace pour les planches de bois, mais aussi pour le métal. Tout se transformait en miroir sous mes doigts, mais j'étais trop modeste pour le reconnaître.
Je restai quatre années dans cette équipage. Ce fut suffisant pour maîtriser assez bien ma lame afin de ne pas me faire tuer. Je commençais à faire partie des corsaires habitués, bien que du fait de ma petite carrure, je ne quittai pas le rang de mousse : j'étais trop chétif pour m'opposer aux matelots qui m'imposaient des tâches. Pas d'armes entre nous avait stipulé le capitaine Zparek : uniquement des combats à main nue. Autant dire que je n'avais aucune chance face à ses grands gaillards. De plus, j'étais bien utile dans le rôle de ''P'tite Mousse'', ils n'auraient pas voulu se séparer de moi. C'est pourquoi la mort se chargea de le faire. La dernière attaque que je connus sur ce bateau fut l'ultime bataille de la majorité de mes compagnons. Un jour, nous nous attaquâmes à un vaisseau pirate de grande importance. Les pirates étaient expérimentés, si bien que nous fûmes rapidement décimés. Zparek appela à la retraite, mais il fut égorgé par un pirate venu par derrière. Il s'écroula avec un air de terreur absolue sur le village. Pour la première fois, il perdait. Nous fûmes quelques survivants à se jeter dans la mer et à ne pas se faire rattraper par les pirates. Notre navire fut coulé une fois qu'ils en eurent extrait toutes les richesses. C'en était fini de notre équipage. C'est une chance que nous ne nous éloignions jamais trop loin de la côte. Nous n'étions pas aussi téméraires que les pirates car nous devions régulièrement renouveler l'équipage. Je réussis à rejoindre à la nage la terre ferme en une journée. J'eus de la chance de ne pas être blessé, car j'en aurais certainement souffert dans l'eau salée. La terre ferme. Je me couchai sur le sable, exténué. Le soleil commençait à se coucher. Je savais que je devais vite rejoindre une ville, un village, qu'importe, du moment que c'était la civilisation. Si je restais là, je risquais d'attraper froid ou de me faire détrousser par des brigands. Encore que je n'avais rien à perdre, étant donné que toutes mes économies étaient désormais entre les mains des pirates. C'était une journée particulière. Je n'avais pas perdu. Nous avions perdu. Et perdre, dans notre métier, était quelque chose de fatal. J'avais déjà perdu, mais nous avions toujours gagné. Ce qui arrivait à une personne n'avait aucune importance. Nous étions un groupe soudé. J'étais simplement du genre à avoir une chance provocatrice, qui me sauvait des situations les plus désespérées. Bientôt, je me levai, essorant mes vêtements. Je me mordis la lèvre quand je vis que le courant m'avait emmené bien plus au Nord d'Assecia que prévu. Le fleuve Jelith n'était pas très loin d'ici. Sans avertir mes autres compagnons, qui étaient toujours étendus sur la plage, je me dirigeai vers les quelques habitations que j'apercevais au loin. La nuit tomba bientôt, et ma petite taille fut de nouveau une aubaine, car je me déplaçai sans me faire apercevoir. Je sentais une présence humaine, mais ce n'était peut-être que mon imagination. Je fus soulagé d'atteindre le village et lorsque j'entrai dans la taverne, je me saoulai pour la première fois depuis bien longtemps.
Le lendemain, le réveil fut difficile, j'avais trop forcé sur l'alcool. Étrangement, cela me donnait l'impression de n'en être que plus vivant. J'avais vraiment un drôle de rapport à la douleur : elle était un lien entre la vie et la mort. Je l'acceptais quand elle me menait à la mort, mais elle me narguait en me rattachant à la vie. Mes amis étaient morts, j'étais en vie. Difficile de m'y faire. Il me fallait trouver un travail au plus vite, car je n'avais plus de pièces une fois mon repas et ma chambre payés. Je me renseignai afin de savoir qui avait besoin d'aide, et on me donna le nom d'un pêcheur, Cascius Norn. Depuis que les pirates lui avaient pris son fils unique, il n'osait plus repartir en mer. Si je l'aidais, il m'aiderait sans doute en retour. Les présentations furent brèves, mais Cascius accepta immédiatement. Nous prîmes la mer le jour-même et ramenâmes plus de poissons qu'il n'en fallait pour nourrir sa famille et moi-même. C'était un bon début. Ses affaires reprenaient. Après trois mois passés à ses côtés, où je redécouvrais mes dons de pêcheur et de marchand de poissons, nous sentîmes chacun que nous étions prêts à nous séparer. Cascius avait repris confiance en lui et désirait former un apprenti pour l'aider dans son commerce. Quant à moi, je comptais retourner à Assecia afin de trouver un nouvel équipage de corsaire. Je me joignis à un marchand du village qui désirait vendre ses produits en ville. Nous partîmes sur les routes quelques jours plus tard, à l'aube. C'était la première fois que je voyageais de cette manière. Je n'étais pas dépaysé par les tremblements de son chariot, mais être entouré de verdure était déroutant. La mer, j'y passais des journées entières, et voilà que je me retrouvais loin d'elle, comme un poisson hors de l'eau. À la différence près que je pouvais respirer. Je trouvai le voyage long, mais pas ennuyeux pour autant. J'observais cette nature qui m'entourait, qui constituait mon pays, mais que je connaissais si mal. Elle était reposante et vivifiante à la fois. Les gazouillements des oiseaux donnaient à la fois l'impression d'être dans un air et la certitude d'être bien vivant. Je croisai des animaux terrestres que je n'avais jamais vus, et qui pourtant étaient la faune classique de Fändir : lapins, cerfs, moutons... Tant d'animaux si doux et si inoffensifs. Nous vîmes bien sûr des bêtes sauvages, mais nous nous arrangeâmes pour rester à distance d'elles. Assecia finit par apparaître au loin : mon périple terrestre s'achevait. J'allais bientôt retourner en mer.
Trouver un nouvel équipage ne fut pas très compliqué. Ayant déjà fait partie de celui du capitaine Zparek, j'avais un peu d'expérience en la matière. Le nouveau capitaine, Oblizo Mornet, était un jeune homme à peine plus vieux que moi, bien que la différence d'âge paraissait plus conséquente. Il fut très surpris de savoir que j'avais vingt-et-un ans, étant donné ma petite taille. Le capitaine Mornet était très élégant : un vrai séducteur. Rien à voir avec ma tenue décontractée et ma coupe de cheveux négligée. Alors que j'avais un véritable accent des bas-fonds, même dans sa manière de parler s'exprimait sa grâce et son élégance. Il était certain que nous venions de deux mondes complètement différents. C'est pourquoi il me proposa comme tous les autres un travail de mousse : je n'étais pas assez distingué pour être un bon matelot. J'acceptai sans hésitation et voilà comment je m'embarquai pour la partie la plus étonnante de ma vie. À côté du Troubleur des Eaux Pirates, la Vengeance Désirée paraissait minable. Le Troubleur était construit avec des planches de bois très clairs, dont le capitaine m'instruit longuement sur la fabrication et la manière de le nettoyer. Le navire en paraissait presque blanc. Il me fit visiter ses quartiers, avec des instructions très précises sur la manière de les entretenir. On y accédait par un couloir étroit, où ses subalternes habitaient. On entrait alors dans un salon privé, qui faisait office de hall. Deux canapés confortables se faisaient faces, entourés par trois fauteuils. Au centre, la table basse était destinée à accueillir le thé. Du thé, rien que cela. La pièce était remplie de miroir de formes diverses, avec des commodes remplies de matériel de navigation. On accédait à trois pièces différentes. Tout à gauche était située sa chambre : lit à baldaquin, grandes commodes et armoires, énormes miroirs, superbes tableaux, tapis confortables, objets de décoration diverses. On y sentait la richesse. La pièce du milieu faisait office de bureau, mais outre le meuble ainsi nommé, on y trouvait surtout entreposé les plus belles pièces des butins volés aux pirates. J'étais stupéfait face aux statues en or et aux bijoux précieux. Enfin, la dernière pièce était une sorte de salle de bain. Il fallait acheminer l'eau jusqu'à la baignoire, mais celle-ci contenait un trou : dès qu'on y ôtait le bouchon, l'eau s'écoulait dans une bassine en dessous, que les marins devaient rejeter à la mer. C'était un système astucieux. En comparaison au reste de ses appartements, la salle de bain semblait austère. Le capitaine me précisa que mon rôle serait avant tout de faire le ménage. Pourquoi me donnait-on toujours à faire le ménage ? Parce que j'étais petit ? Cela ne signifiait pas que j'étais dénué de force. Mais allez l'expliquer aux autres.
Mornet était bien différent des autres capitaines que j'ai connu. Il n'avait rien de l'homme joufflu et jovial qui plaisantait avec ses hommes. C'était un chef inné et charismatique qui prenait grand soin à se distinguer de son équipage. D'un simple regard, vous saviez qu'il était le capitaine. L'équipage, en revanche, était on ne peut plus classique. Ils ressemblaient comme deux gouttes d'eaux à l'équipage de la Vengeance. Il y avait les vétérans, toujours calmes et sûrs d'eux, un peu plus vieux que les autres : ils avaient vu beaucoup de combats. Il y avait les habitués, ceux qui faisait ce métier depuis un certain temps déjà et qui commençait à prendre les habitudes des vétérans. Ils avaient un air suffisant toujours collé au visage, mais étaient moins brutaux qu'ils ne le montraient. Enfin, il y avait les nouveaux, ceux qui débutaient à peine dans le métier et qui ne savaient pas vraiment ce qui les attendaient. Pour ma part, j'étais plus serein. Je n'étais pas dans l'ignorance, comme eux. Comme Zparek, Mornet nous réunit la veille de la première attaque. Mais son discours était bien différent que celui du défunt capitaine : il proposait aux plus jeunes d'observer le combat. Ceux qui le voulaient pouvaient en revanche participer, à condition de posséder une arme. Ma dague était accrochée à ma ceinture et mon sabre sagement rangé dans la cabine des mousses. Lorsque je me proposai, il en fut étonné : « N'êtes-vous pas quelque peu... chétif... pour vous battre ? - Eh, z'inquiétez pas ! J'en ai vu d'autres. Vous savez, j'suis corsaire depuis quatre ans, alors des combats, j'en ai d'jà. Et j'en suis rescapé. Ouaip. Zparek est mort, mais moi, j'suis en vie. Y me disait que j'avais une chance du tonnerre, mais j'le croyais pas trop. Nan, c'est vrai : j'me bats, c'tout. » Mornet céda. « Après tout, pourquoi pas... Faîtes donc vos preuves, Wang, si c'est ce que vous souhaitez... J'espère seulement que votre arme est efficace. » Je saluai avant de partir. C'était étrange de se faire vouvoyer : il était le tout premier.
La première attaque se déroula de façon similaire à celles que j'avais connues avec Zparek, si ce n'est que mes compagnons étaient différents. Je maniais avec fureur mon sabre et tuais trois pirates, un véritable record pour moi. Le capitaine Mornet me fit remarquer que ma manière de me battre n'était pas ''conventionnelle'', mais il fallait reconnaître son efficacité. Je pouvais participer aux autres attaques sans problème.
Pendant sept ans, je vécus à bord du Troubleur, avec Mornet pour capitaine. Nous allions moins souvent que Zparek recruter en ville, car Mornet gérait différemment son équipage... Je faisais le ménage tous les jours dans sa suite, puis je m'attelais à nettoyer le pont. J'étais redevenu ''P'tite Mousse'', le laveur de lames et de parquets qui faisait de la mousse alors qu'il était mousse... Les attaques contre les pirates étaient régulières et rapidement menées. Nous prenions toujours le dessus avec une efficacité que n'avait pas Zparek. Quant au butin, il se montrait plus équitable, bien que gardant une bonne partie pour lui quand même. Mon salaire était largement supérieur à celui que mon ancien capitaine me donnait. Régulièrement, j'astiquais de nouvelles statues dans le bureau de Mornet. Pendant ce temps, je me sentais mûrir. Je gagnai en expérience et en force, j'étais plus sûr de moi, quoique mes méthodes étaient parfois contestées. Sur le bateau, j'étais un agréable ''P'tite Mousse'', mais quand je me battais, j'étais enragé. Peu à peu, le nombre de pirates tués par attaque augmenta. Je n'hésitais pas à me montrer cruel et imprévisible, voir parfaitement sanguinaire. Cela dérangeait un peu, mais la justice triomphait toujours pour moi. La justice, c'est de tuer les pirates.
Je savais que j'intriguais le capitaine, je le sentais aux regards qu'il me lançait. J'étais le plus proche de son âge, puisque je n'avais qu'un an de moins que lui. La plupart des membres de son équipage était soit plus vieux que lui, car habitués ou expérimentés, soit plus jeunes, car novices en la matière. Le problème avec mon âge était qu'on se situait généralement entre ces deux extrêmes. Nous manquons un peu d'expérience, il faut nous encadrer encore : la preuve étant que j'étais un véritable monstre. Enfin, c'est ce qui se disait. Ne croyez surtout pas que je suis d'accord avec ces dires : selon moi, eux manquaient de fermeté. En plus de cela, j'étais considéré comme naïf et simple d'esprit par Mornet ; il est vrai que je n'ai ni son intelligence ni son éducation. Nos styles étaient complètement différents. C'était ça qui l'intriguait. Quant à moi, ces considérations ne m'intéressaient pas.
À vingt-huit ans, je quittai son équipage. Nous avions attaqué un vaisseau assez puissant ce jour-là. Je m'étais élancé comme un fou dans la bataille, mais j'avais été coupé dans mon élan par la lame d'un pirate malveillant qui s'enfonçait dans ma jambe. Je le tuai, mais le mal était fait : je n'arrivais plus à la bouger. Ce fut une véritable souffrance d'attendre la fin des combats, bien évidemment gagnés par l'équipage du grand capitaine Mornet. Je fus de nouveau transporté dans l'infirmerie du bateau. Cette fois, je n'étais pas fasciné par ma propre douleur, car je savais que j'allais rester vivant. Bientôt, le médecin m'examina, et son pronostic fut assez pessimiste : « Votre jambe est bien touchée. Vous allez vous rétablir, mais si vous reprenez trop tôt les combats, vous allez boiter. » Oh, génial, pensai-je. J'enfonçai mon oreiller contre ma tête, comme si je désirais m'étouffer.
Le résultat fut sans appel : je ne pourrais pas me battre avec au moins huit mois, car je ne pouvais pas me permettre de sauter et de m'appuyer sur ma jambe comme j'avais l'habitude de le faire. Je pouvais même difficilement continuer à faire le ménage pour le capitaine. Mornet vint d'ailleurs m'annoncer une très mauvaise nouvelle : j'allais devoir quitter l'équipage : « J'espère que vous comprenez ma décision. Dans cet état, le mieux que vous pouvez faire est de vous reposer. Je vous donnerai un supplément pour combler la perte de votre emploi. - Trop gentil d'vot' part ! - Je suis sincère. Cela me désole de devoir me séparer ainsi d'un si bon aide ménager, mais j'ai besoin d'un équipage actif. Vous vous remettriez mieux sur la terre ferme, Ulrik. » Je faillis m'étrangler. Il m'avait appelé par mon prénom. Cela non plus, personne ne l'avait fait depuis que j'avais quitté ma famille. Décidément, ce Mornet était un sacré phénomène. Il se méprit sur ma réaction, croyant que parler de la ''terre ferme'' m'angoissait. Je le détrompai : « Ben non, figurez-vous qu'j'ai d'jà vécu sur la ''terre ferme'', tiens ! Ben oui, vous croyez quand même pas qu'j'suis né en pleine mer, si ? - Alors quoi ? - Z'avez d'jà vu quelqu'un m'appeler Ulrik, vous ? » Il prit le temps de réfléchir à ma question, puis convint que non. Je continuai : « Ben v'là c'qui m'étonne ! - Eh bien... vous pouvez toujours considérer cela comme une attention de votre ancien capitaine... - Mouais... Pas sûr... - Vous êtes un être étrange, Ulrik. - Vous de même, Oblizo. » Il se mit alors à rire. « Vous avez une meilleure mémoire que je ne l'avais escompté... Vous pouvez m'appeler ainsi, après tout, maintenant que vous ne faites plus partie de mon équipage... - Genre j'suis un simple d'esprit. - Entendons-nous pour dire que nous n'avons pas reçu la même éducation... - Ça, c'est sûr ! Moi, j'ai été él'vé à la dure dans une maison d'pêcheur ! Z'en dites quoi, de c'la ? - Que j'aimerais beaucoup en savoir plus... » La suite de la conversation relève du domaine public. Je lui racontai mon passé, il en fit de même. Il m'a fait confiance en me parlant ; aussi ne le trahirai-je pas en révélant ses secrets. S'ils vous intéressent, vous n'aurez qu'à lui demander, si jamais vous en avez le courage. Toujours est-il qu'au terme de notre conversation, il avait eu les réponses aux questions qu'il se posait et moi aux questions que j'aurais dû me poser.
Le lendemain, nous atteignîmes le port d'Assecia. Je reçus mon salaire, ainsi que le supplément qui m'avait été promis. Puis je fus abandonné dans la ville avec interdiction absolue de repartir en mer. Mais même si je l'avais voulu, je n'aurais pas pu tant ma jambe était gonflée et inutilisable. Je pris le temps de me reposer. Je trouvai où emploi dans une taverne, où je devins apprenti cuisinier. Avec le supplément de Mornet, je me payai un minuscule appartement au dessus des docks, où je pus prendre soin de ma jambe. Les jours où je ne travaillais pas, je m'installais à la fenêtre et regardais avec envie la mer qui s'agitait à quelques mètres de là. Si proche, si inaccessible... Pour la première fois depuis longtemps, je fis attention aux ragots qui circulaient en ville. L'actualité était plus intéressante à terre. À la taverne, ils étaient nombreux à se les échanger. J'écoutais avec parcimonie, même si je ne voyais pas ce que j'aurais pu en faire.
Désormais, les huit mois sont passés. Ma jambe est complètement guérie, le médecin que j'ai consulté me l'a assuré. J'ai abandonné le sabre et ne compte pas le reprendre, mais je reste fidèle à ma dague. À la taverne, on me propose un poste de cuisinier, mais j'ai refusé car je veux retrouver ma vraie passion : la mer. Je vais redevenir corsaire.
Dernière édition par Ulrik Wang le Mar 21 Déc - 14:27, édité 1 fois |
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