Le chant du coq résonna comme chaque matin dans la petite demeure d'Yvan Gaucher. Et comme chaque matin, le vieil armurier se leva du pied gauche, la journée promettant d'être dure.
Yvan avait l'habitude de se lever à cette heure-ci pour aller travailler dans sa forge avant d'ouvrir son modeste magasin néanmoins réputé dans toute la capitale pour la grande qualité de sa marchandise, mais il ne manquait jamais une occasion de râler sur la dureté de son travail et de ses douleurs au dos que cela lui procurait. Mais pour ceux qui connaissaient bien le forgeron, c'était normal, cela faisait parti de son caractère.
Pénétrant dans sa grande forge, il prit son marteau et se mit au boulot. Il commença par terminer la fabrication d'une magnifique épée que lui avait commandé un riche corsaire, puis lorsqu'il eut terminé, il commença les autres commandes diverses, la plupart également commandées par des corsaires plus ou moins riche.
Au bout de deux heures travail, Yvan s'arrêta pour faire sa pause habituelle, qui ne durait jamais plus de dix minutes, avant d'aller ouvrir sa boutique. Le Soleil était déjà haut dans le ciel, et on approchait de midi, mais il y avait rarement beaucoup de client à cette heure-ci, ceux-ci préférant passer ou prendre une commande en début d'après-midi. Mais il arrivait que certains viennent plus tôt dans la journée, Yvan devait donc ouvrir sa boutique dés dix heures. Il mit de côté les commandes pour les avoir à portée de main lorsque les clients viendraient les chercher, puis attendit derrière le comptoir, marmonnant dans sa barbe son agacement de ne rien avoir à faire.

Le gouverneur stoppa sa marche face à la porte et avant de pénétrer dans l'échoppe, toqua trois coups. Avec une démarche royale, il se glissa face au comptoir et enfonça ses yeux noirs dans ceux d'Yvan, de couleur presque similaire. Pour ne pas le gêner, il reporta son regard sur la pièce derrière l'homme robuste et une sourire déchira ses lèvres lorsqu'il aperçut diverses armes. Avec l'agilité d'un jeune homme, Winston se tourna vers sa fille et posa une main sur son épaule, l'invitant à s'avancer. Une fois ceci fait, il appuya l'avant de son bras sur le comptoir. Son regard se porta vers une fenêtre et il réalisa qu'ils allaient devoir faire vite. Jamais il n'était venu dans cette boutique mais on lui avait conseillé, maintenant, cet Yvan allait devoir se montrer à la hauteur de ce qu'il attendait. S'abandonnant au mutisme, le gouverneur racla sa gorge, plus par habitude que pour se la dégager, et énonça comme un écolier récite sa leçon :

- Bonjour, il me faudrait dans les plus brefs délais une arme affûtée pour ma fille, Cécilia. Au vu de son frêle gabarit, une dague légère suffirait amplement mais je veux une qualité excellente. Peu rigide, maniable, tranchante... Tout ce qui amènera la victoire, avec son propre talent bien sûr. J'accorde aussi beaucoup d'importance à l'esthétique. Je paierais le prix qu'il faut, même à l'avance si cela peut vous stimuler. Alors, pouvez-vous me faire ça ? Si c'est le cas, quand l'aurai-je ?

Avec ce flot de précision, l'armurier, s'il ne s'en était pas douté dès le début, devait comprendre qu'il n'avait pas à faire avec l'escrimeur du coin mais au gouverneur, qui souhaitait tout vite et bien fait. Ce dernier fit une faible mimique, semblable à un sourire pour montrer sa satisfaction. Le forgeron ne paraissait pas idiot, il n'allait pas lui fournir un bout de fer après trois longues semaines et son discours expéditif avait suffi. Bien sûr, il répondrait aux questions si Yvan en poserait mais il n'y avait rien à dire. Seulement le prix et le délai, ensuite, le père et sa fille quitteraient la pièce et Winston pourrait enfin retourner à d'autres activités plus préoccupantes.Plus préoccupante que ma propre fille ? Oui, c'est d'Assecia que je dois m'occuper en priorité.

Ou du moins, c'était ce qui demandait le plus d'attention. Cécilia, que le couvent était censé transformer en femme, avait 17 ans ou peut-être 18 ?! Non non... et était capable de se rendre d'elle-même à ses cours de maniement d'armes après avoir obtenu sa dague. D'ailleurs, même s'il venait à peine d'en faire la commande, le gouverneur frémissait d'envie de pouvoir la contempler, de voir enfin quel inestimable cadeau il venait d'offrir à Cécilia. Il ne savait pas ce qui le satisfaisait le plus : le fait de lui prouver un quelconque mais présent attachement ou le fait de se rassurer, en sachant que maintenant, sa fille était armée et venait alors de faire un pas de plus vers son destin. La deuxième option lui parut plus bête que la première et il se comporta donc en gentil père en se tournant vers la jeune fille avec un sourire, forcé.

Alors qu'Yvan était affairé remettre en état une petite épée de qualité moyenne à l'intérieur de sa forge, il entendit sonner la clochette annonçant que de nouveaux clients pénétraient dans la boutique. Il arrêta donc là son travail pour le moment pour se diriger vers le comptoir où il arriva en quelques secondes. Il vit là un homme richement habillé qui devait certainement faire partie du gouvernement. Il n'appréciait pas énormément ces personnes qui profitaient un peu trop de leurs richesses à son goût, mais il garda un visage neutre, quoi qu'un peu boudeur, comme à son habitude. Il vit ensuite apparaitre derrière l'homme une jeune fille, surement la fille de l'homme, tout aussi bien habillée que celui-ci. Celle-ci avait de magnifiques cheveux blonds, mais elle paraissait si fragile et si légère qu'on était presque à croire qu'un coup de vent aurait pu l'emporter au loin en dehors de la boutique. Yvan la trouva fort jolie, mais cela déjà de longues années qu'il ne s'intéressait plus aux jeunes filles de cet âge, tout comme les autres femmes plus agées d'ailleurs. Il n'avait de toute manière jamais éprouvé de l'amour pour une femme, ne fut-ce que pour sa mère, morte il y avait déjà plusieurs dizaines d'année de cela, alors qu'il ne devait avoir qu'une quinzaine d'année. Ce souvenir le rendu triste pendant quelques fragments de seconde, mais il se ressaisit bien vite et ne laissa rien apparaitre sur son visage grincheux.

Lorsque l'homme du gouvernement lui parla, il comprit qu'il avait devant lui le gouverneur en personne. Celui-ci avait l'air de s'y connaitre en armurerie, car il donna de nombreux détails et précisions lorsqu'il décrit l'arme qu'il voulait. Il s'agissait d'une dague pour sa fille, la dague devrait donc ne pas être trop grande, vu la finesse des bras de la jeune fille, bien qu'une dague ne fusse jamais une arme lourde, et elle devrait être très esthétique, comme l'avait si bien demandé le gouverneur. Il retint donc toutes les caractéristiques que devraient avoir l'arme en question. Il fut assez frustré que le gouverneur précise tout cela, car toutes ses dagues étaient toujours tranchantes et maniables, sa marchandise n'était tout de même pas de la pacotille ! Il le fit savoir, bien que discrètement, par un léger froncement de sourcils, car il n'était pas du tout comme ces gens coincés qui étaient toujours souriants et hypocrites lorsqu'ils se trouvaient en compagnie du gouverneur. Il répugnait à lécher les bottes d'une personne, si puissante fut elle, et ce n'était pas demain la veille que cela allait changer. Il répondit donc d'une voix quelque peu bougonneuse :

- " D'accord, je le ferai ! Je devrai l'avoir terminer dans quelques jours, environ deux ou trois journées entières, car je n'ai que peu de travail, ces temps-ci ! Vous voulez venir le chercher ou faut-il que je le fasse livrer ? Pour ce qui est du prix, vous déciderez de cela vous même quand le travail sera finit, je ne veux pas entendre dire que je fais payer des prix exorbitants pour des armes de mauvaises qualité, vous jugerez donc vous même le moment venu ! "

A ces mots, il fit un sourire, bien que très faible, et celui-ci fut à peine perceptible. Il tapa des doigts sur le comptoir, montrant qu'il n'avait pas toute l'après-midi devant lui, posant son coude sur le dessus du comptoir en bois et reposant sa tête dessus. Ce comportement n'était certainement pas celui à adapter face au gouverneur de la ville, mais Yvan s'en contrefichait, et bien qu'il n'ait jamais entendu dire de mal du gouverneur, il n'appréciait que très peu celui-ci. Cela relevait du préjugé, mais Yvan n'en avait rien à faire, tout ce qu'il voulait c'était que cet entretien ce termine vite qu'il puisse enfin se remettre au travail.

Cécilia suivit son père jusqu'à ce qui semblait être une armurerie. Elle se retrouva entourée d'armes en tout genre, ce qui ne la mit pas vraiment à l'aise. Elle frissonna mais ne fit rien paraître de son malaise. Elle resta planté là, et regarda tour à tour son père, le forgeron et les pièces à vendre qui étaient exposée sur les murs ou dans des vitrines. Elle ne rata cependant rien à la conversation entre le gouverneur et le marchand. Il voulait qu'elle ait une dague mais elle en avait déjà une, et elle ne saurait pas s'en servir plus que maintenant. Elle n'osa pas prendre la parole tout de suite, mais se rappela pourquoi ils étaient ici. Son père voulait qu'elle devienne un femme plus forte, or prendre la parole, dans une conversation entre homme, montrerait les efforts qu'elle pouvait faire pour changer. Elle prit son courage à deux mains et décida de rétorquer.

- Mais père, j'ai déjà une dague, dit-elle en la lui tendant. Et puis, un pistolet ne serait pas plus efficace si on venait à m'attaquer ? J'ai peur de ne pas pouvoir apprendre à me servir d'une lame aussi vite que d'une arme à feu.

Alors qu'Yvan attendait la réponse du gouverneur, la jeune fille qui se trouvait aux côtés de celui-ci se manifesta en répliquant :

- Mais père, j'ai déjà une dague. Et puis, un pistolet ne serait pas plus efficace si on venait à m'attaquer ? J'ai peur de ne pas pouvoir apprendre à me servir d'une lame aussi vite que d'une arme à feu.

Yvan ne fut que très peu attentif lorsque la jeune fille blonde commença à parler, mais quand le mot "pistolet" résonna dans son oreille, il se reconcentra aussitôt sur ses paroles. Il déclara, s'adressant au gouverneur tout comme à la jeune fille :

- " Je fais également des armes à feu, alors si vous le désirez, je pourrai vous faire un magnifique pistolet à la place de la dague que vous m'avez commandé, mais cela sera forcément plus long et plus couteux, cela étant bien plus délicat de fabriquer une arme à feu. Mais ne vous inquiétez pas, le prix restera correct et je ferai l'arme demandée dans les plus brefs délais, que se soit une dague ou un pistolet. "

Cette fois-ci, un vrai sourire, bien que toujours assez petit, apparut sur le visage d'Yvan. Car s'il n'appréciait pas trop ce gouverneur, il ne fallait pas non plus s'en faire détester, ce qui serait mauvais pour son petit commerce, car cet homme était très influent, et faire mauvaise impression devant lui ne serait pas une bonne idée, même si cela ne plaisait pas trop au vieux forgeron de faire comme tous ces lèches-botte qui s'amusait à courtiser les personnes de la haute société. Il releva donc sa tête qu'il appuyait sur son coude, et attendit un peu plus décemmet une décision de la part de ses nouveaux clients.

Comme bien souvent, Winston était plongé dans un certain mutisme écoutant sa fille et le marchand discuter. Il entendait tout mais préférait les laisser finir avant de répondre, après tout, ils paraissaient si bien s'y connaître tous deux. Un sourire narquois éclaira son visage. Ainsi donc, sa fille suggérait qu'une arme à feu lui serait davantage utile qu'une dague. Même si elle n'en savait rien et qu'il aurait pu discourir sur tous les atouts d'une arme affûtée, il se contenta d'hôcher la tête. En un point, elle avait raison : il lui serait simple d'appuyer sur la gâchette mais sous la terreur, saurait-elle prendre son courage à deux mains et tirer sur l'adversaire un coup qui se devrait lui être mortel ? Psychologiquement, Winston jugeait plus facile de se défendre d'une épée que de tuer de sang froid son ennemi, pour Cécilia. Cependant, ce n'est pas comme s'il manquait d'argent et sa fille devait exceller en tout. Il lui achèterait donc une arme à feu et une arme blanche. Quand elle lui tendit sa petite dague, le gouverneur soupira. Il ne se souvenait pas de lui avoir fait cadeau d'une telle chose. Elle était plutôt lourde pour sa taille, pas très belle mais elle lui fit une entaille quand il passa son doigt sur la lame. Soit elle pouvait continuer d'utiliser cette arme mais ce n'était pas la meilleure qu'on puisse voir aux mains de la fille du gouverneur. Il resta donc sur son choix, rendit l'arme à Cécilia et fixa le vendeur de ses yeux noirs.

- Eh bien soit, puisque tu souhaites une arme à feu, je t'offrirai un mousquet en plus d'une dague, Cécilia, soupira-t-il. Si je vous paye le triple pour chacune des armes, y'aurait-il moyen de les avoir plus vite et en un même temps ? Des marins ont aperçu un bâteau sur le large, peut-être bien avec des voiles noires, il serait enfin temps qu'elle sache se défendre. Enfin même sans ça, je préfère la célérité. Nous ne repasserons pas, j'opte donc pour la livraison... Satisfaite ma fille ?

Il la regarda un bref instant. Plus elle grandissait, plus elle ressemblait à sa mère mais il espérait qu'elle n'hériterait pas du même sort. Pour l'instant, elle avait le même caractère : naïve, douce e peureuse mais ce n'était pas une question d'héritage. Avant de se faire capturer par les pirates, Cécilia était bien différente. Elle ne faisait peut-être pas les quatre cents coups mais elle se montrait plus courageuse. A qui la faute ? Winston aurait du la garder près de lui ? C'est ce qu'il allait faire, ce qu'il faisait même depuis qu'elle était rentrée mais cela ne lui apportait que des prétendants, pour la plupart, morts maintenant. Un rictus nerveux l'envahit et se dissipa aussitôt en songeant à une bien triste chose : un cimetière des prétendants de Cécilia. Lugubre ou amusant ? Le gouverneur hésitait. Enfin ce n'était pas tout mais il avait à faire, il s'approcha donc de la sortie en attendant la réponse de l'armurier. Une fois de retour au palais, il irait sûrement voir Dan, son intendant, pour s'informer des visites en sa longue absence puis vaquerait à ses occupations habituelles. Cependant il ne savait pas qu'une étrange rencontre l'attendait dans les rues d'Assécia. A force de penser trop à lui, il ne savait plus quoi "se dire" et regarda sa fille. Qu'allait-elle faire ensuite ? Lire inlassablement ? Il n'en était pas question, si elle n'avait pas d'emploi du temps intéressant, il lui en trouverait un.

- Au fait, tant que j'y pense Cécilia, que comptes-tu faire cet après-midi ? Si tu n'as rien de prévu, tu pourrais commencer dès maintenant tes cours d'escrime, ou aller acheter une tenue adéquate pour la maniement des armes ou encore m'aider en me secondant même si ma journée n'est pas la plus chargée qui soit ! Enfin peut-être que tu avais quelque chose en tête.

Comme lire et rester inactive, à attendre que la force vienne du ciel. Bien sûr, prononcer ses paroles à voix haute aurait été exposé sa vie privée face à ce commerçant qui n'avait rien demandé. D'ailleurs, il aurait pu lui poser la question en sortant mais pour une fois, il n'avait pas envie de faire preuve de patience. Quelque chose de bien étrange pour le gouverneur qui pourtant était toujours le premier à se taire ou à tourner sept fois la langue dans sa bouche comme qui dirait...

La jeune fille était ravie, elle avait enfin toute l'attention de son vieux père. Mais à quel prix? Elle allait devoir apprendre à se battre contre des pirates ! Un désastre... Elle dût prendre sur elle pour ne pas tomber dans les pommes, ni même devenir encore plus pâle qu'elle ne l'était déjà. Elle tenta de se ressaisir avant de répondre.

- Oui père, retournez à vos affaires urgentes, je m'occupe du reste puis je vous rejoindrez. Vous avez tant à faire, je peux me débrouiller seule maintenant.

Elle trembla de tous ses membres n prononçant ces mots. Elle qui ne savait pas se déplacer seule en ville sans escorte elle allait être livrée à elle même. Elle attendit que son père sorte de l'armurerie avant de se tourner vers l'artisan. Elle resta là à le regarder longuement en réfléchissant a ce qu'elle devait dire ou faire avant de se lancer.

- Et bien, il me faudra donc une dague, un mousquet et n plus une lame pour l'escrime. Pouvez vous me faire des armes légères et faciles à manier ? C'est que je n'ai aucune expérience au combat et je n'ai pas beaucoup de force dans les bras non plus... Et il faudrait nous les livrer le plus tôt possible....

Elle avait essayé d'être le plus sûre d'elle possible. Elle espéra ne pas être passée pour une idiote au yeux de cet homme qu'elle ne connaissait pas. Auvmoins elle essayer de faire du mieux qu'elle pouvait, c'était déjà ça...

Ah, le gouverneur avait enfin fini par prendre une décision, cette conversation allait enfin toucher à sa fin. Il était temps, car Yvan avait encore du travail avant de pouvoir se mettre à la fabrication du pistolet et de la dague, et comme le gouverneur les voulait de la meilleure qualité possible pour sa fille, cela prendrait du temps, au moins une semaine avec les autres petits travaux à côté. Et il ne pourrait pas aller plus vite, à moins de se tuer à la tâche, et il ne voulait pas priviligier un de ses clients pour une cause de classe sociale et d'argent, il préférait rester dans ses règles de conduite et ce n'était pas le gouverneur de tout le continent qui ferait changer cela. Il répondit donc, poliment, comme à tous ses autres clients :

- " Et bien, je ferai comme vous le demandez. Je pense pouvoir terminer les deux armes et vous les livrer pour la semaine prochaine. Je sais que cela est beaucoup de temps par rapport à la célérité dont vous voulez que je fasse preuve, mais j'ai déjà plusieurs autres commandes, et je ne peux prendre trop de retard, cela serait irrespectueux pour mes autres clients. "

Après ces paroles, Le vieux forgeron se tut, réfléchissant au prix des deux armes. Mais alors qu'il finnissait de déterminer la valeur d'une dague et d'un pistolet de qualité mais en réduisant le prix pour cause du temps de fabrication, la jeune fille du gouverneur pris la parole, en lui demandant de faire des armes légères pour qu'elle puisse les manier, et qu'il fallait vraiment leur livrer le plus tôt possible. Il sourit, car cette jeune fille lui semblait plus sympathique que son père, même s'il n'y avait aucune raison à cela, car il avait toujours préféré les êtres innocents qu'étaient les enfants, surtout quand ils étaient calmes. Cela était certes assez contradictoire avec la vente d'armes servant à se battre et parfois à donner la mort, mais Yvan était ainsi. Il répondit donc d'une voix plus aimable :

- " Je ferai comme cela, jeune demoiselle, et je ferai ce que je peux pour vous l'apporter le plus tôt possible, mais j'ai beaucoup de travail et la confection des armes n'est pas une mince affaire vous savez. "

Après ces paroles, Yvan garda son sourire en regardant la jeune fille frêle et fragile, qu'il n'arrivait à imaginer combattre à l'aide d'armes. Elle devrait plutôt essayer autre chose, il n'y avait pas qu'une seule façon de battre un ennemi. mais cela n'était pas ses affaires, et il attendit donc que la vente soit close qu'il puisse retourner à son travail à sa forge.

La jeune fille regarda le forgeron d'un air plus qu'impressioné. Il était costaud, mais surtout, il savait de quoi il parlait. Ce métier n'avait plus aucun secret pour lui semblait-il. Elle l'envia un instant. Elle même n'avait aucune passion, aucune activité dont elle pouvait être fière de maitriser. Arriverait-elle un jour à trouver sa voie ? Ainsi que sa place au sein de ce monde ? Que pouvait-elle bien faire de sa vie ? Comment son avenir allait-il évoluer ? Elle aurait bien voulu avoir des réponses mais elle savait pertinemment que le moment n'était pas auportun pour ça et surtout qu'elle serait la seule à les trouver. Son père pourrait certainement lui dicter quoi faire mais elle preferrait essayer de trouver cela toute seule. Non pas parce qu'elle en avait envie - ne pas réfléchir à ce que l'on doit faire et obéir simplement aux ordres est bien plus simple que de prendre sa vie en main - mais parce qu'elle voulait devenir une femme importante pour cette colonie, et pour cela elle devrait devenir influente au lieu de se laisser influencer, simple question de logique !

-Merci bien monsieur le forgeron, faites de votre mieux. Personnellement, moins vite j'aurai ces armes à la main, mieux je m'en porterai. Vous pourrez venir les livrer quand vous en aurez fini. Voilà une avance mais le gouverneur vous payera le reste de la somme dûe une fois les armes en notre possession car je n'ai pas plus d'argent à vous donner, dit-elle en lui tendant une petite bourse.

Elle ne se déplaçait jamais avec trop d'argent mais elle connaissait la valeur de la monaie et savait que dans cette bourse il y avait suffisamment d'argent pour nourrir une famille modeste pendant plusieurs jours. Elle savait donc que cela représentait une bonne avance. Il fallait aussi qu'elle s'en garde un peu pour se chercher de nouveaux habits. Elle attendit que l'artisan soit satisfait de la transaction avant de pouvoir partir.

Alors qu'il parlait, il remarqua chez la jeune fille du gouverneur le regard impressionné qu'elle lui portait. Cela l'amusa, un mince sourire apparut de nouveau sur ses lèvres. Mais s'en rendant compte, il l'effça de suite, se demandant ce qu'il lui arrivait aujourd'hui à sourire sans arrêt. Il se reconcentra sur sa cliente et écouta attentivement ce qu'elle avait à lui dire, puis regarda avec un air étonné la bourse qu'elle lui tendit. Il n'avait pas l'habitude que ses clients le paient en avance, ne serait-ce qu'en partie, et cela l'étonna d'autant plus que la somme n'était pas si petite, et qu'elle valait bien le prix d'une dague de qualité moyenne. Il remercia donc la frêle jeune fille d'un simple hochement de tête, puis rangea la bourse dans un petit coffret de métal, qu'il dut ouvrir puis refermé avec une clé d'allure ancienne. Il se retourna ensuite vers sa jeune cliente :

- " Et bien, merci, ma petite demoiselle. Marché conclu ! "

Il commença ensuite à tendre sa grande main en direction de sa cliente comme à son habitude, mais se rappelant de qui il avait en face de lui, il se rattrappa rapidement. Il n'allait pas serrer de sa forte poigne la douce et fragile main d'une enfant d'apparence si frêle, il avait peur de lui faire mal. Et, laissant s'échapper un faible " Au revoir ! ", il retourna à son travail, ronchonnant dans sa barbe, comme à son habitude.

La jeune fille fut bien heureuse d'avoir pu conclure un marché avec l'armurier. Elle avait su se débrouiller seule et rien que cela relevait de l'exploit. Le commerçant parut bien surpris de la somme que contenait la bourse et elle espérait qu'il n'essayerait pas de la duper. En réfléchissant à la question, elle se dit que de toute façon son père serait là pour vérifier la qualité du travail et assurerait ses arrières en cas de maladresse de sa part. Même s'il prenait la fuite avec l'argent, les hommes du gouverneur le rattraperaient bien vite et le pendraient sur le champ. Il n'y avait donc aucun souci à se faire. Le forgeron semblait pressé. Il la remercia et retourna au travail. Cécilia haussa les épaules et sortit de la boutique.

Ce n'est qu'une fois dans la rue qu'elle se rendit compte qu'elle était seule, sans garde pour la protéger. La foule s'agitait dans la rue, une tempête semblait approcher et tout le monde voulait protéger ses biens. Au moins, dans l'excitation et l'empressement personne ne ferait attention à elle, du moins elle l'espérait. Elle hésita à chercher une échoppe de vêtements, mais d'une, elle avait peur de se perdre dans le dédale des sombres rues de la capitale et faire une mauvaise rencontre, et de deux, elle avait peur de l'orage. Mieux valait rentrer sans tarder au palais. Elle retournerait plus tard se chercher une nouvelle tenue ou même elle ferait venir le meilleur couturier de la ville directement jusqu'à ses appartements. Certes elle devait se forger un caractère mais elle trouvait en avoir assez fait pour aujourd'hui et ne voulait pas prendre trop de risques inutiles dès maintenant. Elle remit donc sa capuche sur la tête et repartit vers le palais d'un pas pressé.